Léger Paul-Émile

"Dans le village où j'ai grandi, il y avait deux sortes d'enfants: ceux qui devaient rentrer à la maison le soir à sept heures pour réciter le chapelet en famille avec le Cardinal... et les autres. Quelques années plus tard, j'ai pu enfin voir de mes yeux l'homme qui rythmait nos soirs. Il avait rehaussé de sa présence pourprée les fêtes du centenaire du collège où j'étais pensionnaire.

À ce moment-là, le cardinal Léger était prince de l'Église au sens littéral du terme: l'immense autorité de l'Institution romaine passait par sa personne. Il poussait l'orthodoxie au point d'éloigner des théologiens qui, étant ouvertement partisans de la théorie de l'évolution, refusaient d'interpréter littéralement le récit de la Genèse sur les origines de l'homme et des espèces animales. Dans le même Québec, le frère Marie-Victorin avait adhéré à la théorie de l'évolution 30 ans plus tôt.

Il n'empêche qu'en 1962, le cardinal Léger faisait partie de l'avant-garde au Concile Vatican II et l'on sait -Claude Ryan et Gérard Pelletier l'ont rappelé cette semaine - comment il se laissa peu à peu séduire par les idéaux de la Révolution tranquille. Qui donc a dit que le Québec est passé de l'ancien régime à la post-modernité en moins d'une génération? S'il y a une personne dont la carrière résume cette marche forcée, c'est bien le cardinal Léger.

On sait la discrétion avec laquelle, après une gloire que les rois eussent pu lui envier, il est passé dans une ombre à peine illuminée par les distants éclats de ses voyages en Afrique. Cette retraite a coïncidé avec l'affaiblissement de l'autorité au Québec: celle de l'Église (...)"

Source: Jacques Dufresne, Le Cardinal, le Québec et l'autorité, La Presse, 16 novembre 1991

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