Monnaie

«Les manuels de théorie économique conventionnelle présentent la monnaie comme toute «chose» qui sert à la fois de médium d'échange ou de numéraire, d'unité de compte, et de réservoir de valeur. Son rôle premier est de faciliter les échanges. Avant la monnaie, c'était le régime du troc. Pour qu'il y ait échange, il fallait que les deux parties en présence aient exactement le bien qui convenait à l'autre. Sinon, l'échange ne pouvait s'effectuer. La monnaie a découpé la transaction en deux parties indépendantes: l'achat et la vente. Quand la monnaie existe, il suffit d'une cohésion sociale minimale et d'un faible degré de confiance pour qu'une personne accepte en contrepartie pour un bien qu'elle possède un numéraire qu'elle croit et compte pouvoir échanger contre d'autres biens plus tard.


Monnaie fiduciaire


Ce minimum de cohésion sociale et de confiance qui est au fondement de toute monnaie émane soit d'un acte de foi, d'une acceptation générale du numéraire par la communauté, soit d'un édit des autorités qui l'établit comme cours légal dans un territoire donné. Ces deux sources de monnaie ont des conséquences fort différentes. Dans le premier cas, la monnaie peut sourdre soit d'une coutume immémoriale, ou d'une convention émergeant par chance ou librement négociée, ou être le résultat d'une concurrence entre monnaies privées. Dans la plupart des cas, on voit émerger des monnaies qui vont se concurrencer sur la base de leur fiabilité ou coefficient de crédibilité respectives. Le ou les numéraires qui perdurent sont ceux qui sont le plus vastement ou localement acceptables dans un réseau d'échange donné. Des régimes de monnaies parallèles au niveau local, régional et national sont possibles. C'est ainsi qu'on a recensé pas moins de 300 devises locales de par le monde (dont 85 monnaies locales dans 26 états américains - la plus fameuse étant celle des «Ithaca HOURS»), servant surtout comme base de troc multilaréral au niveau local (Frick, 1996). Personne ne contrôle ces monnaies et elles sont une sorte de vaseline qui facilite les échanges.

Dans le second cas, la monnaie est la production d'un monopole d'État qui impose le médium d'échange et tente de le contrôler. L'État bénéficie de ce monopole de multiples façons: la monnaie sert à la fois de source d'unité symbolique du pays, de source de revenu pour l'État, pour autant que le coût de production de la monnaie est moindre que sa valeur nominale (c'est ce qu'on appelle le seigneuriage), d'instrument de politique publique de stabilisation du niveau de l'emploi et des prix à la Keynes, et de moyen pour le pays de se donner une certaine indépendance politique en ayant sa devise propre.»

Source: Gilles Paquet, "Monnaie et gouvernance", L'Agora, vol. 6, no 1, nov.-déc. 1998; pour la suite, cliquez ici

courriel: paquet@admin.uottawa.ca

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Essentiel

L'histoire de la monnaie est étroitement liée à la montée du formalisme dans la vie quotidienne.
« Le caractère abstrait du moyen d’échange fut renforcé une première fois par l’introduction de la monnaie ; de l’avis des ethnologues, celle-ci ne fut inventée qu’une seule fois, par les Grecs d’Asie Mineure à ce qu’il semble. Ce caractère abstrait fut renforcé une seconde fois, et cela tout d’un coup, lorsqu’on eut l’idée de remplacer les moyens de paiement matériels, naturellement moins exposés aux fluctuations du cours, par une simple assignation sur des valeurs monétaires sous forme d’assignats, de lettres de change, de billets de banque, de papier-monnaie, de chèques, etc. Dans la seconde partie du Faust, Goethe a parlé avec la sagesse d’un homme du monde de l’introduction magique du papier-monnaie et du crédit. Un papier, en lieu de perles et d’or, c’est bien commode : on tient un vrai trésor. Cependant, beaucoup de nos contemporains en ont connu le revers terrible dans les années d’inflation, alors qu’on pouvait entendre souvent que "les papiers sont du papier." Et si à l’aspect de l’agitation criarde d’une bourse, nous avions tout à coup l’idée comique que cet acharnement fiévreux a lieu pour des chiffres, et rien que des chiffres, nous pourrions bien aussitôt être pris d’un sentiment d’horreur à la pensée que ces batailles engagées pour des chiffres peuvent décider en un clin d’œil du sort de millions d’hommes. Ces chiffres signifient quelque chose (terre, pétrole, chemins de fer, ouvriers, etc.) ; mais ce sont eux-mêmes qui vivent d’une vie souveraine, dans le cerveau des lutteurs et non leur valeur significative : le signe domine le signifié, et la pensée par signes purs remplace la pensée par unités significatives, et même la pensée par concepts. C’est en cela que consiste l’essence même du formalisme »

 


Nous venons de franchir une nouvelle étape dans le processus d’abstraction : le passage de la monnaie de papier à la monnaie électronique. Cette étape est d’autant plus importante et significative qu’elle s’accompagne d’une accélération, électronique elle aussi, des échanges, ce qui en accentue le caractère abstrait. Les fermetures sauvages d’usines, après une prise de contrôle non moins sauvage du capital, sont là, hélas ! pour démontrer hors de tout doute que désormais, dans l’esprit des courtiers qui s’agitent sur le parquet de la bourse, il n’y a plus même l’ombre d’un lien entre le signe : des chiffres, et le signifié : des milliers de destinées humaines.

1- Ludwig Klages, Les principes de la caractérologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 1950, p. 83..

 

 

Enjeux

Dans ce monde de monnaie virtuelle dématérialisée et déterritorialisée, la gouvernance monétaire échappe aux banques centrales à tel point (1) qu'on ne sait plus tout à fait ce qui constitue une monnaie, (2) que le stock de monnaie a cessé de prendre la mesure des véritables flux de monnaie en acte (3) que les transferts deviennent impossibles à mesurer, et (4) que le système bancaire devient de moins en moins le lieu unique de la monnaie et du crédit.
Le coeur du problème est la difficulté majeure de repérer, d'identifier et de donner la parole aux divers intervenants qui jouent un rôle déterminant dans le système monétaire, de leur permettre de se faire entendre à la table de concertation. Et au coeur de cette difficulté, il y a le problème qu'ils n'ont pas tous la légitimité nécessaire. Alors que les anciennes institutions de l'État-nation comme les banques centrales ont cette légitimité, ce n'est pas le cas pour les nouveaux venus comme les producteurs de monnaie plastique et de monnaie virtuelle, qui pourtant exercent des pouvoirs importants dans le monde monétaire et sont capables de discipliner les gouvernements ou de faire tourner au vinaigre même des économies saines en un tournemain.

L'idée de reconnaître à ces intervenants organisationnels non-étatiques une citoyenneté économique revient à leur refuser le droit au maquis, à l'anonymat, à leur nier le droit de simplement exercer un pouvoir sans avoir les obligations et les devoirs de justification et de prudence correspondants. Leur reconnaître la citoyenneté économique aurait le mérite de mettre en visibilité, clairement et inexorablement, les divers intervenants qui sont imputables dans ces dossiers monétaires, et de rendre possible qu'on négocie ouvertement les contrats moraux et les armistices sociaux qui s'imposent si l'on veut construire un ordre monétaire effectif.

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