Contre-culture

Le terme généralement retenu pour décrire les manifestations de la dissidence de la jeunesse des années 1960 est « contre-culture ». On doit ce néologisme à un professeur américain Théodore Roszak. Dans son livre « the making of a counter-culture », Roszak analyse les fondements, les revendications et les appuis philosophiques et spirituels de cette contestation.

Essentiel

Pour Roszak, la contestation de la jeunesse des années 1960 est un rejet massif, puissant et surtout systématique de la société technocratique qui est la notre. Une société technocratique pense et régit l'univers social, politique et culturel, en termes techniques, scientifiques, rationnels et logiques. La toute-puissance de la raison, décrite par ce que nomme Roszak « le mythe de la conscience objective »1 englobe la réalité, nie et discrédite systématiquement tout ce qui « non-intellectuel », que se soit les sentiments, toute forme de mysticisme, de sensibilité, etc. Pour lui, bien que ce rejet soit celui d'une frange minoritaire de la jeunesse, il est si profond qu'il tend à constituer un autre mode de vie, une autre culture, en bref, une véritable « contre culture ». Mélange de courants contestataires aussi variés et divers que la Nouvelle-gauche politique, courants bohèmes, hippies ou communautaires, la contre-culture se cristallise toutefois dans la recherche commune d'une forme d'éveil de la conscience, une sorte de sensibilité qui aurait été désintégrée par la puissance de la technocratie, de la raison et de la pensée scientifique. Aux États-Unis, au niveau politique, la contre-culture s'exprime notamment dans l'établissement d'une Nouvelle gauche politique. Le renouveau de la critique du capitalisme ne passe plus seulement par une simple critique du système économique mais par une critique virulente des systèmes qui l'articule qu'ils soient l'État, la famille ou l'École. La Nouvelle-gauche s'oppose à la société technocratique et réclame « le contrôle local du processus politique, l'accessibilité des institutions politiques et sociales et la démocratie de participation ». 2  Pour Roszak, le sentiment d'aliénation qui caractérise toute la contre-culture et cette Nouvelle-gauche n'est plus simplement un sentiment d'aliénation face à un système capitaliste qui serait englobant mais un sentiment d'aliénation de « l'homme par rapport à l'homme ». Ce sentiment d'éveil, de recherche constante d'une conscience écrasée par la société est ce qui constitue le moteur de la contre-culture. La frange contre-culturelle « non-politique » (hippies, bohèmes, etc.) a un intérêt marqué pour les cultures orientales. Cet intérêt réside en partie dans la recherche constante d'une sensibilité qui aurait été perdue au contact de la société technocratique. La philosophie orientale offre cette ouverture, cet éveil à la sensibilité en plus de donner une base philosophique à la contre-culture. La recherche constante de la libération de la pensée va s'affirmer d'une manière peut-être plus puissante dans l'utilisation massive de drogues. Pour Roszak, il est incontestable que l'utilisation de drogues psychotropes permet d'ouvrir d'autres voies de la conscience. L'utilisation des drogues permet à l'individu de s'affranchir du joug de la pensée technicienne. S'ajoute à cette libération de la conscience par voie psychédélique une forme de mysticisme religieux. Mêlée aux influences orientales, la voie psychédélique devient un rite solennel religieux. On doit à l'américain Timothy Leary cette conception extrêmement influente de l'utilisation de la drogue comme le moyen d'atteindre un univers mystique, essentiel pour la révolution contre-culturelle. L'écrivain utopiste et anarchiste Paul Goodman va considérablement influencer la pensée contre-culturelle. Homme de pensée et d'action, Goodman propose dès le début des années 1960, « l'abandon massif des universités et la création de nouvelles universités dissidentes ». 3  C'est surtout le communautarisme issu de la pensée de Goodman qui influencera durablement la pensée contre-culturelle en Amérique. D'autres penseurs, poètes et écrivains, comme Herbert Marcuse, Allen Ginsberg, Norman O.Brown, ou Allan Watts vont influencer considérablement la pensée contre-culturelle américaine.

Notes 1) Roszak, Theodore. Vers une contre-culture, Évreux (Eure), Éditions Stock, 1980, Chapitre 7 2) Encyclopédie Canadienne, Nouvelle gauche, En ligne, http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0005704, page consultée le jeudi 28 octobre 2010. 3) Roszak, Theodore. Vers une contre-culture, Évreux (Eure), Éditions Stock, 1980, page 216.

Enjeux

L'enjeu principal concerne l'expression « contre-culture ». Tandis que Théodore Rosazk voit dans les mouvements de contestation des années 1960 une opposition radicale et tranchée à la société technocratique, d'autres, sans renier le rejet, y voient plutôt l'expression d'une sous-culture du capitalisme. Edgar Morin, quant à lui, parle plutôt d'une « révolution-culturelle » pour décrire la contestation des jeunes des années 1960, affirmant que certaines des valeurs de la contre-culture existaient déjà au sein de la société. Le rejet de la jeunesse ne serait donc pas si absolu ...

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