Renaissance

«Le sens du mot Renaissance n'est plus à chercher, après les travaux des Michelet, des Edgar Quinet, des Burckhardt, des Taine: il signifie ce rajeunissement de l'esprit humain, cet affranchissement de la pensée, cet essor des sciences et ce raffinement de la civilisation, cette poursuite de la distinction et de la beauté, qui se sont affirmés en Italie vers le quinzième siècle, sous l'influence des leçons de l'antiquité. La découverte du monde et de l'homme, des mœurs plus douces, plus humaines (le beau terme d' "humanisme" est synonyme de renaissance des lettres), le spiritualisme parfois subtil, mais toujours si généreux de Platon se mariant aux pratiques de la charité chrétienne, non sans laisser la porte entrouverte pour les vivantes et suggestives doctrines d'Épicure et de Lucrèce, le retour à la tolérance religieuse et au cosmopolitisme, une activité plus méthodique, et comme conséquence une prospérité toujours croissante, l'exubérance de vie dans vingt cours souveraines, dans cinquante villes pouvant prétendre au titre de capitales, et «où tout était grand dans un petit espace, parce que les passions y développaient toutes les facultés», le culte de la forme rétabli dans tous ses droits: tels sont quelques-uns des traits qui caractérisent ce mouvement admirable. En ne croyant qu'imiter, la Renaissance créait à nouveau, et elle opéra le miracle de faire de la tradition la condition du progrès. Qu'on n'objecte pas que la préoccupation de se régler sur l'antiquité grecque ou romaine nuisit à la spontanéité de l'inspiration, ni que la sincérité des artistes souffrit de tentatives dans lesquelles l'érudition entrait pour une large part: retrouver est souvent plus doux que trouver, car de ce que l'on a perdu on connaît mieux le prix, et ce que l'on avait perdu, ce n'était rien moins, en matière de science, de philosophie, de littérature et d'art, que l'expérience accumulée de tant de siècles radieux et les conquêtes de la race la mieux douée qui fut jamais.»

EUGÈNE MÜNTZ, Histoire de l'art pendant la Renaissance, tome I, Paris, Hachette, 1889-1995

Enjeux

«De la Renaissance, qui a été une orientation nouvelle de l'esprit occidental, une grande révolution intellectuelle et politique. Dans l'art, la Renaissance est, à mon avis au moins, une décadence. La sculpture, la peinture, l'architecture, perdent, en remontant le fleuve des siècles à la recherche des anciens modèles abandonnés, la sève, la fraîcheur, la puissance qu'elles avaient au Moyen Âge. La révolution décisive que l'étude de l'antiquité provoque, il faut la chercher ailleurs: dans les États, dans les armées, dans la position européenne de la papauté. Au Moyen Âge, le pape n'est pas seulement le pasteur catholique de l'Europe, il est aussi le chef d'un véritable empire, avec gouverneurs, provinces et tributs, qui n'a pas besoin de soldats pour se faire obéir et pour encaisser tous les ans des quantités considérables d'or et d'argent: des bulles, et des bénédictions - du papier, de l'encre, des paroles - suffisent. C'est le second empire de Rome, cette fois désarmé.
Cet empire extraordinaire - le plus extraordinaire peut-être de l'Histoire - s'est maintenu pendant des siècles par la seule puissance du verbe parlé ou écrit; et quelle merveilleuse civilisation s'est épanouie dans son sein! Nous la traitons souvent de barbarie parce que la Renaissance a tué en nous son esprit. C'est la civilisation qui a enfanté saint Anselme, saint François d'Assise, saint Dominique, saint Thomas, saint Louis, Dante, Pétrarque, les architectes des cathédrales gothiques, Giotto et les primitifs siennois, le Beato Angelico, Jeanne d'Arc, la Scolastique; une civilisation qui, pendant plusieurs sièges, n'a travaillé que pour bâtir un immense escalier reliant la terre au ciel, sur lequel l'humanité pût monter au Paradis. Pour bâtir cet escalier, elle perd le secret de presque toutes les sciences humaines; elle se contente d'organiser des rudiments de pouvoir politique; elle désapprend l'art de la guerre. Une grande civilisation qui ne sait plus ni organiser des armées ni se battre, dans laquelle les luttes entre les hommes ne sont que tumultes et chocs de petites foules amorphes, servies par deux seuls instruments: le fer et le feu, dans leur forme élémentaire!
La Renaissance a détruit, avec l'escalier qui montait au ciel, cette anarchie mystique, en organisant la société et en armant les États. Elle avait été préparée par l'enchaînement de plusieurs extraordinaires nouveautés: la découverte de la terre par les grandes explorations géographiques du XVe siècle, la découverte du ciel par l'astronomie scientifique, la première expansion mondiale de l'Europe, les deux inventions décisives: l'imprimerie et les armes à feu, commencement de la guerre chimique. La découverte, dans les nécropoles de la Grèce et de Rome, des vestiges d'une imposante civilisation politique et militaire, précipite la révolution. Arrivé aux portes du Paradis par l'immense escalier du Moyen Âge, brusquement l'esprit humain se retourne, redescend sur la terre, résolu à l'explorer, à conquérir ses trésors, à réapprendre la guerre et la politique, à déchiffrer l'énigme de la vie et de l'Histoire. À mesure que les États et les armées s'organiseront; à mesure que la pensée humaine pénétrera les secrets de la nature et de l'humanité, la parole sacrée perdra sa force, la domination par le prestige surnaturel s'énervera, l'empire de Rome désarmée déclinera.»

GUGLIELMO FERRERO, Nicollo Machiavel, Conferencia, Journal de l'Université de annales, Paris, 1935

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