Curie Marie
Marie Curie. Une pionnière du prix Nobel au Panthéon
Sous l'illustre dôme du Panthéon, à Paris, aux côtés de l'écrivain Victor Hugo, de l'homme politique Jean Jaurès ou du résistant Jean Moulin, reposent désormais les cendres de Marie Curie et de son époux, Pierre. Femme de science et de courage, humaniste et tenace, cette chercheuse d'origine polonaise a ouvert, par sa découverte du radium, la voie de la physique nucléaire et de la thérapie du cancer. Des travaux qui lui coûtèrent la vie.
«Aux grands hommes la patrie reconnaissante.» Avant le 21 avril 1995, la fameuse inscription portée au fronton du Panthéon était vraiment à prendre au pied de la lettre. La crypte, où reposent quelques-uns des personnages marquants de la nation, n'accueillait en effet aucune femme, du moins pour ses mérites*. Un tort, que le président François Mitterrand a voulu réparer en y transférant les cendres de la physicienne et chimiste Marie Curie et celles de son époux. Mais outre conférer au vocable «hommes» la valeur d'«êtres», ce geste a permis à la patrie d'honorer, pour sa contribution au prestige de la recherche scientifique française, une étrangère.
Car Marie Curie, ou plutôt Maria Sklodowska, est née à Varsovie, le 7 novembre 1867. La capitale polonaise est alors occupée par les Russes, qui tentent d'affaiblir l'élite locale mais tolèrent néanmoins l'essor de la doctrine positiviste d'Auguste Comte. Fondée sur la valeur de l'expérience, de la réalité scientifique, et appliquée à la société, elle est pour maint intellectuel la voie du progrès. Maria en gardera l'empreinte indélébile. D'une famille d'enseignants, élevée entre sens du devoir et manque d'argent, elle mène une vie des plus spartiates. Du décès précoce d'une de ses surs, puis de sa mère, elle tire l'agnosticisme qui conforte sa foi en la science. Elève brillante, mûre, au rare pouvoir de concentration, Maria forge le rêve, alors inconcevable pour une femme, de mener une carrière scientifique. Mais l'argent manque et elle devient préceptrice. Pour soutenir sa sur Bronia, désireuse d'étudier la médecine à Paris, elle se sacrifie financièrement. A charge de revanche.
C'est ainsi qu'en 1891, la timide Maria débarque à Paris. Ambitieuse, autodidacte. Son obsession: apprendre. Elle réussit haut la main une licence de physique, puis de mathématiques. C'est alors qu'un ami polonais lui présente un jeune homme timide et réservé: Pierre Curie. Ce libre-penseur, reconnu pour ses travaux sur la cristallographie et le magnétisme, devient, en 1895, son mari. Un an avant, il lui écrivait comme il serait beau «de passer la vie l'un près de l'autre, hypnotisés dans nos rêves: votre rêve patriotique, notre rêve humanitaire et notre rêve scientifique».
Du rêve scientifique...
Pionnière, Marie Curie décide, en 1897, de faire un doctorat de physique. Henri Becquerel, étudiant les rayons X, venait de constater qu'un sel d'uranium impressionne une plaque photographique malgré des enveloppes protectrices. Comprendre l'effet, l'énergie de ces rayons uraniques, quel meilleur sujet pour Marie? Pierre acquiesce. Sa frêle épouse brasse des tonnes de minerai et s'aperçoit qu'une autre substance, le thorium, est «radioactive», terme de son invention. Ensemble, ils prouvent - découverte majeure - que la radioactivité n'est pas le résultat d'une réaction chimique mais une propriété de l'élément, en fait de l'atome. Marie étudie alors la pechblende, minerai uranique dans lequel elle mesure une activité bien plus intense qu'en la seule présence d'uranium. Elle en déduit qu'il existe d'autres matières que l'uranium, très radioactives, le polonium et le radium, qu'elle découvre en 1898.
Lors des expériences, Pierre observe les propriétés des rayonnements et Marie purifie plutôt les éléments radioactifs. Leur point commun: une rare ténacité. D'autant plus que leurs conditions de vie sont déplorables. Leur laboratoire ? Un hangar misérable, où, l'hiver, la température frôle les six degrés. «Cela tenait de l'écurie et du cellier à pommes de terre», dira un chimiste. Pourtant, avoue Marie: «L'une de nos joies était d'entrer la nuit dans notre atelier; alors nous percevions de tous côtés les silhouettes lumineuses des flacons et des capsules qui contenaient nos produits.» Malgré leur difficulté à obtenir avancements et crédits, les Curie refusent de déposer un brevet qui aurait pu les protéger financièrement, car permettre à tout scientifique, français ou étranger, de trouver des applications à la radioactivité est à leurs yeux prioritaire.
Pierre teste le radium sur sa peau. Brûlure, puis plaie: l'action sur l'homme est prouvée. Bientôt le radium sert à traiter les tumeurs malignes. La curiethérapie est née. En 1903, Marie soutient sa thèse. En commun avec Becquerel, les Curie reçoivent le prix Nobel de physique pour leur découverte de la radioactivité naturelle. Bonheur de courte durée. En 1906, Pierre, affaibli par les rayons, surmené, meurt écrasé par une voiture. Marie doit continuer seule. Elle assume l'éducation de leurs deux enfants, reprend le poste que son mari avait enfin obtenu à la Sorbonne, et devient ainsi la première femme à y avoir une chaire.
Il lui faut aussi affronter les préjugés de l'époque : xénophobie et sexisme qui, en 1911, empêchent son entrée à l'Académie des sciences. Pourtant, peu après, un prix Nobel de chimie l'honore pour avoir déterminé le poids atomique du radium. Mais sa vraie joie est de «soulager la souffrance humaine». La réalisation, en 1914, de l'Institut du radium, par l'université de Paris et l'Institut Pasteur doit le lui permettre.
... au rêve humanitaire
Mais la guerre éclate. «Il faut agir, agir», affirme Marie, entraînant avec elle sa fille, Irène. Les rayons X peuvent localiser éclats d'obus et balles, faciliter les opérations chirurgicales ; il faut éviter le transport des blessés. Aussi, Marie crée-t-elle des voitures radiologiques. Elle ne s'arrête pas là et équipe les hôpitaux. On utilise alors pour toute protection un écran de métal et des gants de tissu! Reste à convaincre des médecins réticents et à trouver des manipulateurs de qualité. Qu'à cela ne tienne. Marie forme 150 manipulatrices.
La guerre achevée, elle s'installe dans son institut, avec Irène. Marie dirige le laboratoire de recherche, le docteur Claudius Regaud, celui de biologie appliquée. Pour partager de semblables idéaux et un même désintéressement financier, leur collaboration se révèle harmonieuse. Les physiciens et chimistes procurent le radium, les médecins traitent les malades du cancer. Marie collecte fonds et matière première - dont les prix flambent - jusqu'aux Etats-Unis, mais accepte mal que prédominent de sombres intérêts économiques.
Epuisée, presque aveugle, les doigts brûlés, stigmatisés par « son » cher radium, Marie meurt de leucémie en juillet 1934. Cette femme de soixante-sept ans qui, «sous un abord froid et une réserve extrême () cachait, en réalité, une floraison de sentiments délicats et généreux», selon le docteur Claudius Regaud, a incroyablement été exposée aux rayonnements. D'autres chercheurs, après elle, en paieront aussi le prix, et notamment sa fille. Acharnée comme elle, dans le même laboratoire, Irène vient de découvrir en janvier avec Frédéric Joliot, son mari, la radioactivité artificielle, qui leur vaudra aussi un prix Nobel. A l'origine des traitements du cancer et des techniques de datation des objets anciens, des roches et de l'univers, comme de la biologie moléculaire et de la génétique moderne, la radioactivité est aussi à la source de l'énergie nucléaire et de la bombe atomique. Le revers de la médaille
Florence Raynal
* En effet, le Panthéon abritait déjà les cendres d'une femme, mais c'était en tant qu'épouse du chimiste et homme politique Marcellin Berthelot.
Source: Label France, no 21, août 1995