d'Youville Marguerite

15 / 10 / 1701-1771
"Fille aînée de Christophe Dufrost, sieur de La Jemmerais et de Marie-Renée Gaultier de Varennes, elle naquit au manoir de ce nom le 15 octobre 1701. Orpheline à l’âge de sept ans, elle vit sa mère solliciter du roi une pension à titre de veuve d’officier mort au service. À dix ans, de généreuses personnes la font admettre au pensionnat des Ursulines, l’espace de deux années : elle revint alors à Ville-Marie seconder de son mieux sa mère entourée de six enfants et elle sut gagner la confiance de ses frères et sœurs. De taille élancée, les traits colorés et fort réguliers, d’un abord gracieux et distingué, elle reçut dans le monde un accueil favorable et goûta bientôt les agréments de la société. En 1719, sa mère convolait en secondes noces avec William Sullivan, chirurgien d’origine irlandaise : à son sentiment, elle trouvait un appui et un apport qui devaient assurer l’éducation honorable de ses mineurs.

Pierre You, natif de La Rochelle, où les registres de la paroisse Saint-Sauveur ont consigné le mariage de « Anne You (11 nov. 1669) avec Nicolas Mousnier, et de Jeanne You (15 janvier 1677) avec Pierre Normandin », émigra comme soldat au Canada et accompagna les engagés de M. de La Salle à l’embouchure du Mississippi (1682) : d’où son surnom de sieur de la Découverte. Son titre d’Youville était sans doute celui de sa terre natale, sans désigner nécessairement une origine de famille noble. Son fils François You d’Youville avait discerné Marie-Marguerite Dufrost et lui demanda sa main : le 22 août 1722, ils faisaient bénir leur alliance, qui ne fut guère heureuse, en raison de la prodigalité du conjoint. Ayant dissipé son avoir et s’étant chargé de dettes, M. d’Youville mourut en juillet 1730, laissant à sa veuve le dénuement et deux enfants, le troisième étant né après sa mort et décédé au berceau. La mère entreprit de nécessité un petit négoce, qui vint l’aider à liquider les dettes et même à accomplir quelques œuvres de charité. Dirigée successivement par les Sulpiciens du Lescoat et Normant de Faradon, elle se livra aux dévotions et aux œuvres de charité corporelle et spirituelle. En 1737, cédant à sa vive inclination de dévouement envers les pauvres et les malades, la veuve confia à son directeur le projet de fonder un communauté, ayant préalablement pressenti quelques amies.

Le 31 décembre, elle se voua au service des indigents, associée à Loise Thaumur, fille d’un médecin, à Catherine Cusson, orpheline et honnête ouvrière, à Catherine Demers, fille d’un tailleur : toutes trois Montréalaises. Le 30 octobre 1738, les quatre compagnes occupaient une maison appartenant à Mme Le Verrier, où elles accueillirent une dizaine de pauvres abandonnées et vécurent du produit de leurs travaux personnels, « sans autre lien que la charité » : tout leur avoir se montait à environ 100 pistoles. En allant tendre la main à la charité, elles ne tardent pas à recueillir dans les rues la désapprobation du public, les marques de mépris, la calomnie, les insultes, le sobriquet dérisoire de Sœurs Grises provenant de leur costume et dont elles se firent un héritage à perpétuité. Les autorités civiles, religieuses même, se joignent par erreur à la conjuration populaire. En même temps (1738), une lésion inflammatoire au genou venait étendre Mme d’Youville sur son lit, l’espace de sept années. Et, en 1741, mourait la Sœur Cusson, que Marguerite-Thérèse Le Moine-Despins, entrée à 17 ans (1739), allait remplacer dans l’œuvre.

Trois nouvelles recrues se présentent en 1741 : Catherine Rinville, Thérèse la Serre dit la Forme et Catherine Ménard. La nuit du 31 janvier 1745, un incendie consume tout l’immeuble, ainsi qu’une pauvre démente. Monsieur Fonblanche, riche négociant, leur prêta une maison. Puis, en 1746, elles en louent une autre au maître-maçon La Palme, d’où le gouverneur Boisberthelot de Beaucours les vint chasser, en dépit de leur bail, pour en faire sa résidence, tandis qu’Élisabeth de Ramezay, épouse de Louis de La Corne, allait elle-même leur proposer gratuitement sa demeure propre, la cédant aux pauvres et à leurs servantes. Enfin la communauté, augmentée de deux recrues, alla s’installer dans la maison de Louis-Gordien d’Ailleboust, sieur de Cuisy.

Le 19 octobre 1745, les Frères Charon ou Hospitaliers offraient officiellement leur démission comme directeurs de l’Hôpital-Général : les affaires financières gisaient dans un déplorable état de délabrement. Aussi bien, de concert avec l’évêque, le gouverneur et l’intendant agréaient la démission au cours de l’année 1747. Le 27 août de cette année, M. de Beauharnois expédia la commission provisonnelle à Mme d’Youville, conjointement avec ses compagnes, de prendre possession de l’œuvre des Hospitaliers.

La communauté y fit sont entrée, le 7 octobre suivant, avec 9 indigents, et y en trouva 4 autres. Après l’inventaire, tout y semblait en ruines et annonçait la plus profonde misère; il fallut y transporter, dans un lit accommodé sur un véhicule, Mme d’Youville encore convalescente. La tâche était rude, quasi insurmontable, à cause des arriérés à combler. Soudain une terrible épreuve surgit. Évêque, gouverneur, intendant faisaient valoir à la Cour que la solution du problème de restauration de l’Hôpital-Général était, pour un groupe de femmes, une absolue impossibilité. En 1750, la Cour leur notifia la commission qui les autorisait « à réunir tous les biens de l’Hôpital-Général de Montréal à celui de Québec ». Un sursis de séjour dans l’immeuble était le seul adoucissement que l’on octroyait aux directrices.

La décision à peine divulguée, le peuple de Montréal, indigné de cette mesure, fit assembler les notables citoyens, qui convinrent d’envoyer une requête aux autorités, puis une autre à Sa Majesté. Une fois signées, Mme d’Youville alla les porter à Québec. Évêque et intendant (Bigot) lui refusent de signer la seconde. Toutefois, le gouverneur de La Jonquière la reçut de la manière la plus flatteuse, lui promit d’appuyer secrètement la supplique de tout son crédit auprès du roi. Sur la formelle injonction de Sa Majesté, une nouvelle ordonnance, rendue à Québec le 14 décembre 1751, suspendait l’effet de la première : Mme d’Youville fut maintenue dans l’administration provisionnelle du dit Hôpital. En mai suivant, autre déclaration du roi, qui enjoignait aux administrateurs de la Colonie de traiter avec elle des conditions d’une finale cession administrative.

Après un examen juridique, il fut prouvé que la dette laissée par les Hospitaliers, se montant à 48 000 livres, fut investie et endossée par Mme d’Youville qui se chargeait de l’acquitter, soit par elle-même, soit par les dons de la bienfaisance; la copie fut transmise à la Cour par M. Bigot. Le 3 juin 1753, le roi en son Conseil fit expédier de nouvelles lettres patentes, signées à Versailles de sa main; elles furent enregistrées, le 1er octobre suivant, au Conseil supérieur de Québec. D’après leur teneur, Mme d’Youville et ses huit compagnes, qui y sont nommées, furent ainsi substituées aux Frères Hospitaliers et autorisées à former entre elles une communauté juridique, munie des anciens privilèges, droits et prérogatives accordés antérieurement. Le roi la soumet à la juridiction de l’évêque pour lui donner une forme régulière et ecclésiastique.

Aussitôt tout change de face dans l’Hôpital : deux salles pour les pauvres; asile donné à des personnes démentes ou dégradées dans les mœurs; construction des murs d’enclos sur l’invitation au peuple du marquis de Du Quesne. Le 15 juin 1755, visite de Mgr de Pontbriand, qui érige par mandement la société en Communauté régulière, et acceptation par écrit de la part des Sœurs du précis de la Règle, renfermée dans les « Engagements Primitifs ». De concert avec M. Normant, la fondatrice établit le noviciat; surviennent sa maladie grave en 1758 et le décès du fondateur, le 18 juin 1759. M. de Montgolfier rédigea le code des Règles et Constitutions, agréées des Sœurs le 3 septembre 1781, approuvées provisoirement par Mgr Briand le 6 octobre suivant, et définitivement par Mgr Hubert, le 8 février 1790.

Au sortir de sa convalescence et du deuil, Mère d’Youville eut à faire face à la disette et aux terribles conséquences de la perte de la Nouvelle-France : 1759 et 1760, années d’angoisses morales et de privations physiques de toutes sortes. Néanmoins, en 1762, elle se détermine à donner asile aux enfants trouvés, privés de leurs parents; ce fut toutefois avec l’agrément du lieutenant-gouverneur anglais, qui l’en félicita. Le 18 mai 1765, une conflagration vint consumer 120 maison à distance; mais bientôt l’Hôpital lui-même devint la proie des flammes. L’Hôtel-Dieu de Saint-Joseph offre un asile à la communauté, l’espace de sept mois. Grâce à un prêt de 15 000 francs du Séminaire et aux donations publiques, la Supérieure entreprit la restauration de son Hôpital, qui ressuscita en 1766 avec toutes ses œuvres et fut achevé en 1767. La part qui lui revint d’une quête, opérée dans la ville de Londres, s’éleva à 19 407 livres sterling et, en 1769, la dette contractée se réduisait à 7000 livres.

Tant de sollicitudes, d’épreuves, de souffrances, qui s’enchaînèrent le long de sa carrière, usèrent ses énergies physiques : sa santé s’affaiblit sensiblement. Les premiers jours de novembre 1771, l’épuisement la renfermait dans sa cellule; le 9 décembre, elle fut saisie d’une attaque de paralysie du côté gauche et elle succomba, le 23, sous les yeux de ses Filles.

Elle laissait deux fils, qui embrassèrent l’état ecclésiastique : 1) François de La Jemmerais, curé de Saint-Ours, décédé en 1778; 2) Charles (1729), ordonné en 1752, curé de la Pointe-Lévy et de Boucherville (1774), puis grand vicaire, décédé le 7 mars 1790.

La cause de sa béatification a été introduite à Rome, le 27 mars 1890.

De nos jours, il existe encore des familles You en Saintonge, dans la classe paysanne laborieuse."

Louis Le Jeune, article "Marguerite d'Youville" du Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, moeurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, vol. 2, p. 824-826.

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