Karl Marx

1818-1883
Marx et la dialectique hégélienne de l'histoire
Marx fut au XIXe le principal commentateur et interprète de Hegel. Selon Hegel, l'histoire pouvait être vue comme un processus dialectique au terme duquel se trouvaient révelées les faiblesses et les contradictions inhérentes à chaque modèle d'organisation politique et sociale. Ces contradictions conduisaient inévitablement ces modèles à disparaître, au profit de formes plus élaborées. Pour Hegel, l'avènement de la démocratie libérale, dominée par les principes de liberté et d'égalité véhiculés par les révolutions française et américaine, conïncidait avec la fin de l'Histoire, car les démocraties libérales sont à toutes fins pratique libre de ces contradictions qui mènent les gouvernements à leur disparition. Marx devait s'approprier l'idée de Hegel d'une Histoire universelle marquée par ce processus dialectique, tout en modifiant radicalement la direction vers laquelle l'Histoire devait tendre. Selon le philosophe hégélien Francis Fukuyama, l'histoire du XXe et le recul généralisé du socialisme au profit du libéralisme politique et économique semble avoir donné, définitivement, raison à Hegel contre Marx:
    « Nous ne sommes pas vraiment conscients de notre dette intellectuelle envers Hegel, essentiellement parce que son héritage nous a été transmis via Marx, qui s'appropria de larges parties du système hégélien pour ses propres besoins — et critiqua violemment le reste. Marx reçut de Hegel la conception de l'historicité fondamentale des affaires humaines, la notion que la société que la société des hommes a évolué au cours des temps depuis les structures sociales primitives jusqu'à des ensembles plus complexes et hautement développés.[...] Marx partageait également la croyance de Hegel en la possibilité d'une fin de l'Histoire : il prévoyait en effet une forme finale de société, libre de contradictions et dont la réalisation terminerait le processus historique.

    La question sur laquelle Marx différait de Hegel était juste le genre de société qui devait émerger à la fin de l'histoire. Marx croyait que l'État libéral échouait à résoudre une contradiction fondamentale, celle de la lutte des classes — combat entre la bourgeoisie et le prolétariat. Il retournait ainsi l'historicisme de Hegel contre lui, arguant que l'État libéral ne représentait pas l'universalisation de la liberté, mais seulement la victoire de la liberté pour une certaine classe : la bourgeoisie. Hegel pensait que l'aliénation (division de l'homme contre lui-même et perte consécutive de la maîtrise de sa propre destinée) avait été résolut de manière adéquate à la fin de l'Histoire par la reconnaissance philosophique de la possibilité de liberté dans l'État libéral. Marx, en revanceh, observait que l'homme restait aliéné de lui-même dans les sociétés libérales parce que le capital — une création humaine — était devenu le seigneur et maître de l'homme et qu'il le contrôlait. La bureaucrati de l'État libéral que Hegel appelait la "classe universelle" parce qu'elle incarnait pour lui les intérêts du peuple pris dans son ensemble, ne représentait pour Marx que des intérêts particuliers dans le cadre de la société civile, ceux des capitalistes qui la dominaient. [...] La fin marxiste de l'Histoire n'interviendrait qu'avec la victoire de la vraie "classe universelle", le prolétariat, et la réalisation consécutive d'une utopie communiste d'ensemble qui mettrait un terme une fois pour toutes un terme à la lutte des classes. »

    (F. FUKUYAMA, La fin de l'Histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992)

Georges Sorel: Marx et sa conception de la mécanique sociale
«Ce qu'il y a d'essentiel dans la théorie de Marx est sa conception d'un mécanisme social formé par les classes, qui sert à transformer la société moderne de fond en comble, sous l'influence des idées et des passions aujourd'hui dominantes. Le processus qu'il décrit est bien connu : concentration des moyens de production entre les mains d'un petit nombre de capitalistes, qui luttent entre eux sur le marché économique ; — unification des notions et des sentiments dans le prolétariat en voie de croissance continue ; — lutte entre les deux classes fondamentales de la société ; — expropriation des capitalistes qui perdent la propriété particulariste des moyens de production ; — mise de ces moyens de production en la commune possession des travailleurs.

[...]

Il ne faut pas oublier que la lutte des classes ne saurait expliquer toute l'histoire. Engels avait reconnu, dans une note du Manifeste que l'histoire primitive de l'humanité ne saurait se ramener à ce principe et M. Croce dit que la société socialiste devra pouvoir se développer sans classes ; il y a donc une lacune importante dans la théorie : les causes, qui ont agi et qui agiront plus tard sur l'humanité, existent aujourd'hui évidemment et devraient être étudiées.

Quoi qu'il en soit, ce mécanisme offre dans la forme un caractère vraiment scientifique; nulle part nous ne voyons apparaître des abstractions, des fantômes sociologiques, des évolutions de modes; — nous ne voyons que des hommes groupés en classes, s'agitant sous l'influence de sentiments observables ; — nous pouvons vérifier, journellement, la marche des phénomènes, chercher comment les conditions se transforment et corriger nos vues d'avenir au fur et à mesure que les faits deviennent plus nombreux.

Il importe assez peu que Marx se soit trompé dans le détail, que son mécanisme n'ait pas la valeur absolue qu'on lui a souvent attribuée ; une erreur de sa part ne nous empêche pas de reconnaître la haute valeur de la méthode. Grâce à lui nous pénétrons sur un terrain vraiment scientifique. Les sciences physiques sont des connaissances générales acquises par l'intermédiaire de mécanismes susceptibles de définitions rigoureuses : expérimenter, c'est construire un système d'organes dont les mouvements sont soumis aux règles que nous lui imposons ; formuler une loi, c'est donner une expression, en termes abstraits, du mode d'action d'une force engagée dans toute expérimentation possible. Marx raisonne comme le physicien. "Pour Marx il est vain de se demander si la pensée nous instruit de ce que sont les choses en elles-mêmes. Si nous pouvons démontrer la vérité de notre pensée en faisant naître les phénomènes que nous avons pensés, l'inconnaissable, qu'on dit caché derrière eux, n'importe plus. Il ne s'agit pas d'interpréter la nature, mais de la changer". (Andler) De même il serait oiseux de discuter les lois de l'histoire, de chercher quelle idée tend à se réaliser, quelle est la nature humaine ; ce que la science doit déterminer, c'est le mécanisme humain par lequel se produisent les changements dans le monde actuel, d'après les impulsions données par des volontés humaines, dans des conditions historiques données.»

GEORGES SOREL, préface à l'ouvrage de F.Merlino, Formes et essence du socialisme, Paris, Giard et Brière, 1898



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Jean Jaurès: Marx ou l'union du socialisme et du mouvement ouvrier
«C'est le mérite décisif de Marx, le seul peut-être qui résiste pleinement à l'épreuve de la critique et aux atteintes profondes du temps, d'avoir rapproché et confondu l'idée socialiste et le mouvement ouvrier. Dans le premier tiers du XIXe siècle, la force ouvrière s'exerçait, se déployait, luttait contre la puissance écrasante du capital: mais elle n'avait pas conscience du terme où elle tendait; elle ne savait pas que, dans la forme communiste de la propriété, était l'achèvement de son effort, l'accomplissement de sa tendance. Et, d'autre part, le socialisme ne savait point que, dans le mouvement de la classe ouvrière, était sa réalisation vivante, sa force concrète et historique. La gloire de Marx est d'avoir été le plus net, le plus puissant de ceux qui mirent fin à ce qu'il y avait d'empirisme dans le mouvement ouvrier, à ce qu'il y avait d'utopisme dans la pensée socialiste. Par une application souveraine de la méthode hégélienne, il unifia l'idée et le fait, la pensée et l'histoire. Il mit l'idée dans le mouvement et le mouvement dans l'idée, la pensée socialiste dans la vie prolétarienne, la vie prolétarienne dans la pensée socialiste. Désormais, le socialisme et le prolétariat sont inséparables: le socialisme ne réalisera toute son idée que par la victoire du prolétariat ; et le prolétariat ne réalisera tout son être que par la victoire du socialisme.» (Études socialistes)

Articles


Karl Marx et Friedrich Engels

Franz Mehring
Extrait de la biographie de Mehring, consacrée aux rapports entre Marx et Engels.



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