Jésus

vers 7-6 av. J.-C.-vers 27-28
Jésus-Christ, un réformateur social? (Paul Janet, 1823-1899)
«C'est la confusion de ces deux idées, l'idée chrétienne de la charité, et l'idée philosophique du droit, qui a souvent donné le change de nos jours sur le véritable caractère du christianisme, et lui a fait attribuer un sens politique et social, qu'il n'a jamais eu à l'origine. Rien de plus contraire au bon sens que de transformer Jésus-Christ en une sorte de réformateur philanthrope et socialiste. Jésus n'a jamais voulu qu'une seule réforme: l'amélioration des âmes. La seule société qu'il eut devant les yeux, c'est la société céleste, qu'il considérait comme le renversement de la société terrestre. La richesse et la domination qui assurent la supériorité sur la terre sont, au contraire, pour le ciel une croix et un empêchement. C'est pourquoi il allait s'écriant: "Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation!... Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim!" C'est pourquoi il dit encore que "les riches entreront difficilement dans le royaume des cieux", tandis que ce royaume appartient aux pauvres en esprit, c'est-à-dire à ceux qui supportent la pauvreté religieusement. Il en est de la domination comme de la richesse: "Les princes des nations les dominent; il n'en sera pas ainsi parmi vous.» Dans la cité promise, «les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers". Mais un tel renversement n'aura lieu que dans le royaume du ciel; ou s'il peut se réaliser ici-bas, c'est à la condition que les grands se fassent volontairement petits, et non que les petits aspirent à devenir grands: l'égalité chrétienne est une égalité morale, religieuse, volontaire, et non sociale et politique.

Un point qui n'est pas moins certain, c'est que Jésus, qui n'a aucun caractère de réformateur politique, n'a pas davantage de prétentions au rôle de dominateur et de roi. On sait que c'est en cela même qu'a consisté l'aveuglement des Juifs: leur erreur a été de ne pas reconnaître le Messie, dans celui que n'accompagnait aucun signe sensible de la royauté. Or, il est certain que Jésus-Christ n'a jamais réclamé la domination ni pour lui ni pour ses disciples. Comment l'aurait-il fait, lui qui disait: "Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir;" et encore: "Mon royaume n'est pas de ce monde." Tous les textes qui, au moyen âge, ont été interprétés dans le sens de la domination ecclésiastique, n'ont qu'un sens religieux et spirituel. "Fais paître mes brebis", disait-il à saint Pierre. Il entendait par là: nourris-les de la parole. Lorsqu'il disait: "Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel; tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel 18", il ne voulait parler évidemment que de la rémission des péchés, et non de la dispense du serment de fidélité envers les puissances. Dans ces paroles: "Allez, enseignez les nations, et les baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit", il instituait le sacerdoce et la prédication, mais il ne donnait aucun pouvoir temporel à ses disciples. Quant à lui, il rejetait toute fonction qui avait rapport aux intérêts de la vie: "Maître, disait un de ses disciples, dites à mon frère de partager avec moi mon héritage." Jésus lui dit: "Qui m'a établi juge sur vous ou pour faire vos partages?" Enfin, dans le passage le plus célèbre et le plus souvent cité, Jésus fait le partage entre les puissances en disant: "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 20." Il est vrai que dans ces termes généraux, la question reste entière, puisqu'il s'agit de savoir ce qui est à César et ce qui est à Dieu. Mais le principe se détermine par l'application particulière qui en est faite. Or, de quoi s'agit-il? de payer le tribut. Ainsi le tribut est à César. Or, le tribut est le signe de la soumission civile; il en résulte que César est le véritable chef de l'union civile, c'est-à-dire de l'État. Ainsi Jésus-Christ a séparé le royaume de Dieu et le royaume de l'État, et il n'a pas voulu que le premier dominât sur le second.»

PAUL JANET, «Le Nouveau Testament: morale et politique des Évangiles», Histoire de la science politique dans ses rapports avec la science morale, Paris, Félix Alcan, 1887


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Rousseau: de la sainteté des Évangiles
«Je vous avoue aussi que la majesté des Écritures m'étonne, que la sainteté de l'Évangile parle à mon coeur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe: qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un livre à la fois si sublime et si simple soit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur, quelle pureté dans ses moeurs! Quelle grâce touchante dans ses instructions! Quelle élévation dans ses maximes! Quelle profonde sagesse dans ses discours! Quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! Quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation?[...]

La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout son peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure; Jésus, au milieu d'un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.»

JEAN-JACQUES ROUSSEAU, Émile ou de l'éducation (livre IV), Paris, Garnier, 1961, pp. 379-380.

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