De la crise identitaire en Occident
«Une crise profonde d'identité secoue présentement, nous dit-on, l'homme et la femme d'Occident. Mais chacun sait aussi qu'ils n'ont pas attendu de s'allonger sur le divan du psychanalyste pour s'interroger sur l'étrangeté de leur être et de leur destin. Même aux heures les plus lumineuses de son histoire, l'être humain n'a jamais cessé de se demander: qui suis-je? qui me dira jamais qui je suis? Car c'est là la question primordiale, qui le travaille depuis les origines l'aventure humaine, inspirant ses audaces les plus folles et ses oeuvres les plus variées, ses défaillances aussi, et ses désespoirs. Personne n'a jamais échappé à la sollicitation de ce grand questionnement. «Qui suis-je?», se demande déjà, dans l'ancienne Éphèse, Héraclite, en sa vision stupéfiante de cet homme livré à la force invincible de la guerre où s'affrontent toutes choses, ou plongé dans le fleuve inexorable du devenir. "Qui suis-je?", interroge aussi le simple paysan grec, à qui la sagesse populaire avait appris pourtant que la vie de l'homme est semblable à l'ombre imprécise et fugace que projette sur le mur de sa chaumière une fumée inconsistante; ou le moine bouddhiste, qui sait pourtant, de temps immémoriaux, que l'homme est une boule évanescente d'écume à la surface du Gange. "Qui me dira qui je suis?", demande encore l'adolescent de nos rencontres quotidiennes, souvent hanté par une angoisse sans visage et à qui l'on a appris peut-être que ses aînés lui auront laissé en héritage un monde culturellement et physiquement délabré.
[...]
L' ancestrale et exigeante question : "qui suis-je?" se pose d'une manière bien différente à l'homme occidental et au moine bouddhiste. Non seulement surgit-elle à la conscience de l'un et de l'autre dans des langues différentes, mais elle y débouche, cette question, au terme de cheminements millénaires, au cours desquels elle s'est chargée des trophées glorieux ou encombrants de la religion, de l'éthique, de l'esthétique, de la philosophie, de la théologie ou de la science. Par la réflexion et l'effort, par la lucidité et le courage, mais de nulle autre manière, l'homme peut secouer certaines de ces dépouilles, mais c'est en vain et à son grand dam qu'il prétend les ignorer, pour se retrouver lui-même, originel et sans masque. Il est interdit à l'homme de se voir nu. La question la plus irréductible, la plus simple, lui arrive déjà toute maquillée. Il n'est pas de nature sans culture, enseignent les anthropologues et, à la veille de manipuler notre patrimoine génétique, les biologistes savent fort bien que tout, chez les êtres vivants, et "jusqu'à leurs expériences les plus individuelles et les plus concrètes, vient de l'expérience innombrable accumulée par l'ascendance entière de l'espèce au cours de l'évolution (Jacques Monod, Le hasard et la nécessité". Si unique que soit chaque individu, il n'en est pas moins affecté, jusque dans ses fibres les plus intimes et les plus secrètes de ses pensées, par un passé collectif. La question "qui suis-je?", qui est le moteur principal de la recherche et de l'intervention psychologiques, est inséparable de cette autre question: "qui avons-nous été?", qui laisse en panne toutes les psychologies. Le présent individuel ne se comprend qu'en raison du passé collectif, de même que, sans la lumière du passé, l'avenir tout entier nous demeure opaque et imprévisible. »
GAÉTAN DAOUST,"Entre la mort de Dieu et le triomphe de la science: un homme en quête d'identité", L'Agora, vol 1, no 3, décembre 1993
***
«La composante nationale ou collective de l'identité de chacun est en déclin partout en Occident au profit de composantes de proximité. De plus en plus, on tend à s'identifier à sa ville, à ses amis, à sa communauté virtuelle d'intérêts, ou alors comme citoyen du monde; nos identités ont éclaté et elles se sont métissées. Le "national" n'est plus aussi important en chacun de nous. » (Alain Giguère, président de la maison de sondage CROP; passage cité par Benoît Aubin, «Le Canada fout le camp», L'Actualité, vol. 31, no: 2, 1 février 2006)
***
«Derrière la célébration du “citoyen du monde” sans papiers et sans frontières surgit le repli ethnique ou identitaire. Le dialecte, la sexualité ou l’ethnie remplaçant le cadre national et signant ainsi la fin de la communauté de destin. Le marché a besoin d’individus déracinés des réalités concrètes et enracinés dans des identités virtuelles (“le jeune”, “le breton”, “l’homosexuel”, “l’immigré”…) qui ne signifient rien si ce n’est le refus de vivre ensemble et d’appartenir à quelque chose qui dépasse chacun de nous : volonté populaire, souveraineté nationale, République, Nation.» (Christian Authier, «Le meilleur des mondes», L'Opinion indépendante)