Fusée

"Dans le domaine spatial, le terme fusée est souvent remplacé par lanceur. Son rôle est de transporter une charge au-delà de l'atmosphère et de lui donner une vitesse suffisante pour le mettre soit en orbite autour de la Terre, soit l'envoyer dans les confins de l'espace.

L'unique moyen actuel pour voyager dans l'espace est la propulsion par réaction."

Quitter la Terre? Partir en fusée? (Centre national d'études spatiales, Paris, Fr.)

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"D'une manière schématique, les lanceurs spatiaux actuels sont constitués d'un ou de plusieurs systèmes propulsifs, de réservoirs, d'un système de guidage, d'organes de séparation et de sécurités et d'un volume réservé à la charge utile.

Quel que soit le nombre d'étages envisagés, la propulsion est la fonction centrale autour de laquelle se bâtit l'architecture du lanceur et, comme dans l'histoire de l'aéronautique, les progrès de l'astronautique y sont directement liés.

D'un point de vue technique, les contraintes liées au vide conduisent à employer la propulsion fusée.

Pour ce mode de propulsion, les technologies sont soumises à rudes épreuves (températures, pressions, vibrations, accélération). La difficulté et la complexité de la propulsion spatiale des lanceurs constituent dès lors un métier à part entière.

Il n'est ainsi pas étonnant de noter qu'en moyenne plus des deux tiers des problèmes survenant lors des lancements spatiaux dans le monde sont liés à la propulsion, ce qui illustre l'importance des efforts déployés partout pour maîtriser les technologies critiques associées.

Si beaucoup de voies sont explorées pour dépasser la propulsion à ergols chimiques, celle-ci semble devoir encore longtemps subvenir aux besoins de cette activité.

Avec Ariane sont réunis les 3 types principaux de propulsion spatiale: «propulsion solide» ou à poudre avec les deux moteurs P230 de 560 tonnes de poussée pour Ariane 5; propulsion «Stockable» avec les premier et deuxième étage d'Ariane 4 et enfin la propulsion liquide à hydrogène et oxygène liquide pour le troisième étage d'Ariane 4 (moteur HM7), et pour Ariane 5, l'étage principal (moteur Vulcain) et l'étage supérieur haute performance ( moteur Vinci).

À l'heure actuelle tous les lanceurs, consommables ou semi-réutilisables (navette), sont basés exclusivement sur ces moteurs classiques à propergols solides ou liquides. Pour le futur à très long terme, de nouveaux concepts de propulsion sont à l'étude et même en expérimentation, mais la «maturation» des nouvelles technologies nécessaires se traduira par d'importants et longs efforts qui, compte tenu de l'ampleur des moyens à mettre en oeuvre, impliqueront une large coopération internationale.

Les évolutions en cours sont centrées sur la fiabilité et la diminution des coûts de production."

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La politique spatiale française: bilan et perspectives. Rapport d'information 293 (2000-2001), 2 mai 2001. Rapporteur: Henri Revol (site du Sénat de la République française)

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"À l'heure actuelle tous les systèmes de transport spatial dans le monde reposent sur l'utilisation de la propulsion fusée chimique solide ou liquide.

La propulsion solide


La propulsion solide (...) est caractérisée par une forte densité énergétique ; elle est particulièrement bien adaptée pour délivrer de très fortes poussées pendant des durées de une à deux minutes. Malgré des performances relativement modérées, son coût de production attractif par rapport à la propulsion liquide, en a généralisé l'utilisation pour la propulsion des lanceurs au décollage (moteurs d'appoint ou moteurs principaux). La propulsion solide permet également d'assurer toute la propulsion de petits ou moyens lanceurs multi-étages. Seule la Russie n'a pas développé de lanceurs spatiaux utilisant cette filière (à part un ou deux missiles reconvertis récemment en lanceurs spatiaux), ayant décidé à l'époque de l'URSS, de privilégier la performance au détriment des aspects économiques.

La propulsion solide va encore évoluer en se développant vers des systèmes bas coûts dans lesquels le coût de production sera réduit et la mise en oeuvre simplifiée. Sur Ariane 5 ces évolutions répondront aux enjeux de performances et de baisse des coûts.

La propulsion liquide


La propulsion liquide offre des performances plus élevées, tout particulièrement si on retient le mélange oxygène/hydrogène liquides (dit cryotechnique en raison des basses températures des ergols de -250°C). Ce dernier nécessite de maîtriser des problèmes complexes de mise en oeuvre, de stockage , de matériaux, de thermique, etc,... Seuls les États-Unis, la Russie et l'Europe maîtrisent et mettent en oeuvre régulièrement cette technologie. L'expérience européenne élaborée depuis les années 60, puis la mise en oeuvre sur Ariane 1 à 5, permet aux acteurs de ce continent d'envisager sérieusement une amélioration à la fois des performances et des coûts de développement comme de production.

La propulsion liquide classique, dite "stockable", va probablement s'orienter vers une recherche de propergols non toxiques et bon marché.

Enfin les moteurs à oxygène/hydrocarbure, qui présentent un bon compromis performances/coût, une mise en oeuvre assez aisée, un encombrement des réservoirs inférieur à celui des moteurs oxygène/hydrogène, peuvent continuer à se développer.

Dans ce domaine la Russie et dans une moindre mesure les États-Unis possèdent une avance considérable sur l'Europe qui a volontairement choisi de concentrer ses efforts sur la propulsion cryotechnique.

L'utilisation du méthane fait notamment l'objet de recherches à l'heure actuelle et présente l'avantage d'une performance supérieure à celle du kérosène et d'une mise en oeuvre connue au plan industriel.

Pour la propulsion d'étages supérieurs, divers propergols non toxiques sont expérimentés dans le but de simplifier les opérations de mise en oeuvre. On peut citer l'eau oxygénée, associée à l'alcool méthylique. (...)

La propulsion pour les véhicules réutilisables.


Pour le futur lointain, une idée communément répandue est qu'un accès "routinier" à l'espace, à faible coût, apparaîtra lorsqu'on aura su développer, un système de transport spatial réutilisable. De nombreux programmes ont été proposés et amorcés dans le passé (tout récemment le projet X33/Venture Star) et ont été abandonnés après avoir mesuré l'écart technologique qu'il faudra combler pour parvenir à des projets réalistes. La NASA engage néanmoins actuellement un programme "Space Launch Initiative" de 5 milliards € sur cinq années, pour identifier et développer les technologies nécessaires avant d'engager un programme de développement.

S'agissant des nouveaux systèmes de propulsion, notamment pour le transport spatial réutilisable,
une voie prometteuse pour le moyen/long terme est d'associer des moteurs "aérobies" et fusée au sein de systèmes "combinés". L'utilisation de l'air comme oxydant durant la première phase du vol dans des turbo ou statoréacteurs permet de réduire la masse du véhicule au décollage.

Les défis techniques résident dans la réalisation de moteurs très légers, capables d'atteindre de très hautes vitesses dans l'atmosphère et donc soumis à de hautes températures.

La propulsion dans l'espace


Pour la propulsion dans l'espace, qu'il s'agisse de contrôle d'attitude de satellite ou de transfert interplanétaire, de nouveaux types de propulsion sont à l'étude ou en développement. La propulsion plasmique, notamment, qui accélère des ions dans un champ électrostatique généré à partir d'une source d'énergie électrique est actuellement en cours d'application sur des satellites de télécommunication, permettant d'augmenter soit leur masse utile, soit leur durée de vie. Comme on l'a vu c'est une voie très prometteuse.

D'autres systèmes envisagent l'utilisation de l'énergie solaire pour chauffer un fluide et l'éjecter au travers d'un système propulsif.

Pour les missions importantes, habitées ou non vers Mars, il semble que l'énergie nucléaire soit nécessaire pour réaliser des véhicules de tailles réalistes et capables d'effectuer des aller-retour dans des délais acceptables."

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La politique spatiale française: bilan et perspectives. Rapport d'information 293 (2000-2001), 2 mai 2001. Rapporteur: Henri Revol (site du Sénat de la République française)

Enjeux

"La décision de construire le lanceur Ariane a été prise en 1973, par la Conférence spatiale européenne, en même temps que la décision de créer une Agence spatiale européenne unique, l'ESA, en fusionnant ESRO (1) et ELDO (2).

Cette décision, qui s'inscrit dans la suite de l'échec d'ELDO et de l'abandon du projet de lanceur Europa, témoigne que l'Europe a pris conscience, à cette époque, de l'importance capitale d'un accès autonome à l'espace. Elle a été largement facilitée par l'abus que les États-Unis ont fait de leur monopole en mettant, comme condition à la fourniture de lanceurs Thor Delta pour les satellites franco-allemands Symphonie, l'interdiction de toute utilisation opérationnelle de ceux-ci.

La position de monopole dont disposaient les États-Unis a complètement disparu non seulement du fait d'Ariane mais aussi de celui de la disparition de l'Union soviétique, de l'ouverture des marchés russe et ukrainien et de l'apparition de capacités de lancement dans plusieurs pays: Chine, Japon, Inde, etc. La situation internationale n'est donc plus celle qu'affrontait l'Europe au début des années 70. Il est désormais possible, dans la plupart des cas, d'acquérir un lancement sur le marché commercial mondial.

(...)

Les États-Unis ont clairement indiqué leur volonté de reconquérir la position dominante sur le marché des lanceurs consommables que leur a fait perdre la Navette spatiale. La tâche est confiée au ministère de la Défense (DoD) par la directive de politique spatiale de 1996 et l'amiral David Jeremiah, successeur de l'actuel secrétaire d'Etat à la défense, Donald Rumsfeld, à la présidence de la Commission du Congrès chargée de la sécurité spatiale des États-Unis (3), a sans ambiguïté indiqué, en janvier 2001, qu'«en matière spatiale, l'Europe est plus une rivale qu'une partenaire». Cette démarche s'inscrit très clairement dans une politique d'ensemble qui fait de la maîtrise de l'espace un enjeu stratégique."

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La politique spatiale française: bilan et perspectives. Rapport d'information 293 (2000-2001), 2 mai 2001. Rapporteur: Henri Revol (site du Sénat de la République française)

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"La moitié des activités mondiales de lancement répondent à des besoins gouvernementaux. Sur 207 lancements réalisés de 1997 à 1999, ces besoins représentaient 49 % (soit 26 % pour la défense, 14 % pour la science et 9 % pour l'observation et la météo). Les autres lancements concernaient les constellations (18 %) et les besoins commerciaux (33 %) de satellites de télécommunication en orbite géostationnaire). (...) Selon les dernières prévisions d'Euroconsult, le futur marché sera dominé par les satellites géostationnaires qui représenteront 41% de la totalité des satellites lancés jusqu'en 2008 (...). Toutefois, la caractéristique essentielle de ce marché sera une offre largement supérieure à la demande, c'est-à-dire une surcapacité de lancement."

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La politique spatiale française: bilan et perspectives. Rapport d'information 293 (2000-2001), 2 mai 2001. Rapporteur: Henri Revol (site du Sénat de la République française)

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"S'il convient de ne pas ignorer complètement les lanceurs développés par des pays tels que la Chine (Longue Marche), le Japon (H2), l'Inde (GSLV), le Brésil (VLS), il ne faut pas perdre de vue que la concurrence pour Ariane provient de façon presque exclusive des lanceurs américains de la prochaine génération et des lanceurs russes commercialisés par des « joint-ventures » créés à l'initiative de Boeing et Lockeed Martin. (...)

L'Europe a misé sur deux fusées russes:

- Rockot, commercialisée par Eurockot est un lanceur léger très bon marché (18 millions de dollars au maximum) qui peut lancer quelques centaines de kilos en orbite basse.

- Soyuz est le plus fiable des lanceurs, avec un taux de réussite de 99,4 %. Sa commercialisation et son exploitation sont en partie assurées par la société Starsem, créée en 1996 par Aérospatiale Matra (35 %), Arianespace (15 %), Rosaviacosmos (25 %) et Ts SKB-Progress (25 %).

Starsem effectue depuis Baïkonour des lancements de fusées dérivées du Soyuz initial: Soyuz-Ikar, Soyuz-Fregat et bientôt Soyuz-ST, en orbite basse, haute et héliosynchrone.

Les États-Unis ont également montré un vif intérêt pour les capacités spatiales russes:

ILS (International Launch Services), filiale commune de Lockheed Martin et Krunichev, est l'opérateur de la fusée russe Proton.

La filiale de Boeing, Sea Launch, en association avec le russe Energuia et l'ukrainien Yuzhnoye, lance la fusée Zenith à partir d'une plate-forme off shore positionnée sur l'Equateur en plein Pacifique.

Ces lanceurs, capables d'emporter des charges lourdes en orbite géostationnaire, constituent de sérieux concurrents pour la fusée Ariane.

Ainsi, en 2000, ILS a effectué quatorze lancements, et Sea Launch vise, à terme, une douzaine de lancements annuels depuis l'Equateur.

La nouvelle génération de lanceurs lourds américains EELV (Evolved Expandable Launch Vehicule) s'est vu assigner l'objectif de reconquérir le marché et, le cas échéant, de s'en assurer un quasi monopole.

Les États-Unis ont désormais compris combien le choix historique du «tout navette » s'était révélé désastreux sur le plan commercial et ils ont repris l'offensive. Le ministère américain de la Défense a confié à Boeing et Lockheed Martin le soin de mettre au point deux familles de lanceurs lourds, respectivement Delta 4 et Atlas 5. Ces deux firmes, qui ont reçu pour ce programme une aide totale d'un milliard de dollars du gouvernement, disposent d'un marché captif de 180 lancements jusqu'en 2020. Elles développent des fusées simplifiées et donc plus économiques. Le lanceur Delta 4 sera décliné en plusieurs versions capables de placer entre 2,7 et 13,2 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, le lanceur Atlas 2 AS, décliné jusqu'à la version 5 AS, pouvant quant à lui emporter de 3,7 tonnes à 13,1 tonnes.

Le Delta 4 M de Boeing (4,1 à 6,6 t en GTO) et l'Atlas 5/400 de Lockeed Martin (4,9 à 7,9 t en GTO) effectueront leurs vols inauguraux en fin 2001 et début 2002, respectivement.

Quant au lanceur lourd Delta 4 H, après un vol de qualification financé par le Pentagone (141 millions de dollars), il devrait faire des tirs doubles de 2 satellites de 6,5 t à partir de 2003, c'est-à-dire 3 ans avant l'Ariane 5/ESC-B.

Ces lanceurs seront des concurrents directs d'Ariane 5. Leur développement résulte d'une volonté américaine clairement affirmée de suprématie, voire de monopole, dans le domaine spatial et notamment dans le secteur stratégique des lanceurs. Ainsi que l'annonce David Schweikle, Directeur de la division des lanceurs Delta de Boeing: «Grâce à notre gamme de lanceurs, nous visons de 30 à 50 % du marché mondial des lancements commerciaux» (4), c'est-à-dire la moitié du marché, l'autre moitié étant occupée par Lockeed.

Lanceur stratégique conçu à l'origine pour libérer l'Europe du monopole américain des lancements de satellites et de l'abus qu'ils en faisaient, Ariane a eu la chance de bénéficier d'une conjoncture extrêmement favorable. La qualité intrinsèque du lanceur européen, conjuguée à l'absence de concurrence américaine - les États-Unis ayant fait l'erreur de privilégier la coûteuse navette et de renoncer aux lanceurs consommables - a permis à Ariane de prendre la première place mondiale sur le marché commercial des lanceurs.

Toutefois, il faut avoir bien conscience que cette situation exceptionnelle, qui n'avait nullement été envisagée, ni même espérée à l'origine du programme, touche à sa fin; les pouvoirs publics doivent consentir aux efforts nécessaires pour que le lanceur européen demeure disponible pour permettre aux Etats européens d'accéder à l'espace, ce qui fut, et demeure, l'objectif permanent du programme.

De plus, et comme le montre l'évolution comparée des financements de la filière Ariane, les montants issus de l'exploitation commerciale des lanceurs (chiffres d'affaires d'Arianespace) dépassent depuis 1995 le montant des financements publics. Depuis cette date, cet écart n'a cessé de croître pour atteindre en 2000 un rapport de 64% pour les montants commerciaux contre 36 % pour les financements publics. Cette évolution, qui était supportable dans une situation où la concurrence était assez peu active, doit être considérée avec la plus grande attention au moment où une concurrence sévère prend de la consistance tant en Russie qu'aux Etats-Unis. La publication par la société Arianespace de résultats financiers pour la première fois négatifs en 2000, après 20 années consécutive de bénéfices, doit à cet égard constituer un signa, même si les surcoûts liés à l'exploitation simultanée d'Ariane 4 et d'Ariane 5 pendant la phase de transition contribuent à ce déficit."

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, La politique spatiale française: bilan et perspectives. Rapport d'information 293 (2000-2001), 2 mai 2001. Rapporteur: Henri Revol (site du Sénat de la République française)

Notes
(1) European Space Research Organization: Organisation européenne de recherches spatiales, créée en 1962.
(2) European Launcher Development Organization: Centre Européen pour la Construction de Lanceurs d'Engens Spatiaux, créé en 1962.
(3) Commission to assess United States national security space management and organization.
(4) L'Usine nouvelle (11.01.2001)

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Vitesse d'échappement

Jacques Dufresne



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