Couperin François

1668-1733
«Le XVIIe siècle a joué un rôle considérable dans l'histoire de la musique et son étude est de première importance. Pour peu qu'on y regarde de près, on y trouve des noms et des oeuvres qui touchent toujours notre esprit, mais on ne pense point à s'en approcher, ou bien on s'en approche de façon distraite, comme de pièces de musée...

Une dynastie de musiciens s'est étendue sur plus d'un siècle, et son nom est un des plus beaux ornements de la musique: les Couperin. En ces temps anciens, au XVIIe siècle, la profession musicale était contagieuse: c'était comme un héritage de famille. Les ancêtres de Jean-Philippe Rameau avaient aussi jeté en France les bases d'une véritable dynastie; mais moins longue et moins durable que celle des Couperin. La glorieuse dynastie des Bach, en Allemagne, a donné au monde le grand Jean-Sébastien, l'un des plus hauts sommets de la musique. Les Scarlatti, en Italie, se sont également soumis aux lois chanceuses de l'hérédité, et Domenico Scarlatti fut le très digne fils du grand Alessandro Scarlatti...

On parle avec raison du XIXe siècle comme d'une époque de grande virtuosité. On y trouve, en effet, des noms illustres et dont la virtuosité confondait l'imagination. Le XVIIIe siècle a eu, lui aussi, ses virtuoses, qui furent en même temps de grands compositeurs. Mais le XVIIe siècle a possédé de grands clavecinistes et organistes: Clérambault, par exemple, dont le Caprice sur les Grands Jeux fait toujours la joie des organistes; Dandrieu, claveciniste d'une foudroyante habileté technique et qui, dès l'âge de cinq ans, jouait devant Madame... Il y avait aussi Louis Marchand, Chambonnières et enfin Claude Daquin, dont nous avons tout juste conservé Le Coucou... Mais les plus célèbres, ceux dont le nom et le rayonnement forcèrent les frontières, furent assurément les Couperin, qui sont intimement liés à l'époque glorieuse du clavecin.

Le clavecin de nos ancêtres, on ne le connaît ici que par les vieilles gravures ou images galantes du XVIIIe siècle, dont il est l'ornement nécessaire. On ne voit dans cet appareil sonore qu'un instrument de cour ou de salon, fait pour l'expression d'une musique grêle, pittoresque, aimable, libertine même et plaisante. On ne retient de ces siècles anciens que cette image de cour... réduisant ainsi à la partie congrue un siècle qui ne fut pourtant point que galanterie de salon... Cependant, il est certain que le clavecin n'a jamais été un grand instrument et que sa puissance était limitée. Les agréments, les broderies dont est chargée l'écriture du clavecin trahissent ses insuffisances. Cet instrument à cordes pincées ne peut pas soutenir le son, ce qui justifie les ornements de l’écriture, qui deviennent ainsi une nécessité. Il est vrai que les chefs-d’œuvre qu'il a inspirés, ou rendus possibles, sont avant tout des tableaux pittoresques, délicats, précieux, tendres, galants, chefs-d’œuvre d'humour et d'esprit. Mais prenons garde qu'on trouve là-dedans toutes les formes, presque toutes les idées qui ont alimenté le XVIIIe siècle et même le XIXe siècle. On y retourne encore, et avec profit.

Comme le piano, le clavecin dérive du cymbalum ou tympanon. Mais avec cette différence que c'est un instrument à cordes pincées. C'est un développement du psaltérion, qui était une sorte de harpe triangulaire, qu'on pinçait avec les doigts. La nouveauté du clavecin, c'est que les cordes, au lieu d'être pincées avec les doigts, le sont mécaniquement, par le moyen de plumes, becs ou sautereaux, actionnés par un clavier. C'est donc une sorte de harpe mécanisée... Le clavecin existait déjà au XVIe siècle. Muni de deux claviers et de forme couchée, comme nos grands pianos à queue, il fut reconnu au XVIIe siècle comme l'Instrument roi. II fut ensuite détrôné par le piano, mais remis en faveur au commencement du XXe siècle. De nouveau, on écrit pour le clavecin... Manuel de Falla, Poulenc, bien d'autres musiciens, ont produit des oeuvres magnifiques pour cet instrument d'autrefois... instrument rare, précieux, monotone et agaçant quelquefois, mais qui peut toujours nous charmer...

J'ai parlé de dynastie à propos des Couperin, et c'en est une véritable, puisque cette grande famille couvre presque tout le XVIIe, le XVIIIe et même une partie du XIXe siècle. L'ancêtre, Charles Couperin, qui est du commencement du XVIIe siècle, était fils de musicien et trois de ses fils furent aussi musiciens. L'un d'eux, François, fut le plus célèbre et c'est celui que l'on appelle François Couperin le Grand. François eut deux filles qui furent organistes et clavecinistes de grand renom. Et une descendante de la famille, la dernière du nom, mourut à Paris en 1860, après avoir été organiste à Saint-Gervais de Paris, comme ses ancêtres.

Mais François Couperin le Grand est celui sur lequel repose toute la dynastie des Couperin. Il est né en 1668, et il est mort en 1733. Il fut organiste à Saint-Gervais pendant presque toute sa vie. Il fut aussi organiste du roi et il joua un rôle important comme organiste et musicien de la Chambre du Roi. Il faisait l'éducation des princes et des princesses, et on raconte que ses leçons étaient fort recherchées. Les chroniques du temps rappellent « qu'il allongeait volontiers ses leçons quand on avait soin de lui apporter près du clavecin une carafe de bon vin avec une croûte de pain... et que sa leçon durait ordinairement autant qu'on voulait renouveler la carafe... » D'après sa propre méthode de clavecin, on sait que « le naturel, le charme et l'élégance dans le toucher dominaient ses préoccupations», et on sait aussi que ses élèves jouaient remarquablement bien.

Comme compositeur, Couperin le Grand a excellé dans le portrait musical. Il avait beaucoup de personnalité, beaucoup d'imagination et un goût très vif pour l'anecdote spirituelle. Ses portraits de femme sont pleins de finesse, de malice et aussi de grâce. Des femmes de son temps, il nous montre la douce, la piquante, l'attendrissante, l'enchanteresse, l'évaporée, l'ingénue, la voluptueuse, l'angélique et même... la Mimi... D'autre part, il fait pour le clavecin des tableaux pré-impressionnistes qui s'appellent les Gondoles de Délos, le Carillon de Cythère, les Amours badins, le Rossignol en amour, le Bavolet flottant, les Paillons, les Abeilles, enfin une quantité d'images charmantes à quoi il faut ajouter des oeuvres plus importantes comme les messes, les motets, des suites comme les Apothéoses de Lulli et de Corelli, et enfin les nombreuses suites de clavecin, comme Les Fastes de la Grande et Ancienne Ménestrandise. Certes, on découvre en tout cela que la grâce des tableaux anecdotiques de son époque, que les petits amours de Watteau le touchaient davantage que les complications dramatiques. Il ne s'est pas essayé au théâtre, ni au ballet, ainsi que Lulli le fit avant lui. Mais ce serait pourtant le diminuer et le méconnaître étrangement que de ne voir en lui qu'un musicien galant. Couperin le Grand n'a jamais atteint à la robustesse de Rameau, et non plus à la brillante virtuosité de Scarlatti, mais il a une finesse, une délicatesse de touche, un charme et un esprit qui n'appartiennent qu'à lui. Décoré par le pape de l'Ordre de Latran, anobli par Louis XIV, il est mort en pleine gloire. Mais la musique était si bien entrée dans cette famille qu'elle y survécut jusqu'au milieu du XIXe siècle...

Il est vrai que l'esprit de ces vieux maîtres nous échappe. Nous ne les voyons plus tels qu'ils étaient au XVIIe siècle. Nous les croyons naïfs, eux qui étaient si malins et si spirituels. Nous sommes à peine sensibles au pittoresque et à la grâce de leur style. C'est que nous ne savons plus lire leur musique et l'exécuter comme elle doit l'être. Et puis, on ne devrait pas oublier que le respect des traditions n'exclut point l'amour...

En tout cas, Couperin le Grand a su charmer la vieillesse de Louis XIV en donnant aux Concerts de la Chambre du Roi la primeur de ses célèbres Concerts Royaux, Sonates ou Suites, qui sont toujours des oeuvres admirables, tant par la nouveauté de leur style que par l'audace de leur écriture.»

Léo-Paul Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946

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