Ennui

«L'ennui! Mot terrible et justement redouté! Que de remèdes l'homme n'a-t-il pas inventés contre ce mal, remèdes, hélas!, souvent plus ennuyeux encore que l'ennui même. Leur nom général est « plaisirs », qu'il ne faut pas confondre avec « plaisir ».

Le plaisir est un fait, quoique rare; les plaisirs, quoique abondants et communs, sont une recherche, et presque toujours vaine. Quand on réussit à opposer au géant Ennui l'armée des nains Plaisirs, le géant étouffe les nains en quelques gestes et reprend sa pose lassée. L'ennui, à vrai dire, est invincible. On naît ennuyé comme on naît jovial. Cependant, à côté de cet ennui fondamental, dont certains humains sont victimes et que l'ancienne médecine appelait hypocondrie, il y a diverses variétés d'ennuis qui tiennent aux circonstances de la vie et par conséquent peuvent n'avoir qu'une existence passagère. Ils ont une cause occasionnelle, prêts à disparaître avec la cause elle-même.

Ces ennuis secondaires prennent différents noms, mélancolie, nostalgie, tristesse, mais leur classement est assez difficile, parce qu'ils se modifient à l'infini selon les sensibilités, selon les lieux, selon les âges et même selon les siècles.»

Remy de Gourmont, "Essai sur l'ennui"

Essentiel

«Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couches.» Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, LXXVI
(cité par George Steiner, Dans le Château de Barbe-Bleu. Notes pour une redéfinition de la culture, Paris, Gallimard, Folio essais, 1990)
«Je me disais donc que le monde est dévoré par l'ennui. Naturellement, il faut un peu réfléchir pour se rendre compte, ça ne se saisit pas tout de suite. C'est une espèce de poussière. Vous allez et venez sans la voir, vous la respirez, vous la mangez, vous la buvez, et elle est si fine, si ténue qu'elle ne craque même pas sous la dent. Mais que vous vous arrêtiez une seconde, la voilà qui recouvre votre visage, vos mains. Vous devez vous agiter sans cesse pour secouer cette pluie de cendres. Alors, le monde s'agite beaucoup.» Georges Bernanos, Journal d'un curé de campagne
«L'ennui est la sensation physique du chaos, c'est la sensation que le chaos est tout. Le bâilleur, le maussade, le fatigué, se sentent prisonniers d'une étroite cellule. Le dégoûté, par l'étroitesse de la vie, se sent prisonnier d'une cellule plus vaste. Mais l'homme en proie à l'ennui se sent prisonnier d'une vaine liberté, dans une cellule infinie. » Fernando Pessoa, Le livre de l'intranquillité, Christian Bourgois, 1988. Cité par Jean-Marie Domenach, Le crépuscule de la culture française?, Paris, Plon, 1995, p. 13
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«Donnez le même esprit aux hommes, vous otez tout sel de la société. L'ennui naquit un jour de l'uniformité. L'ennui naquit un jour de l'uniformité.»
Antoine Houdar de la Motte.

Articles


Contre l'ennui

Duchesse de Choiseul
Lettre de la duchesse de Choiseul (1736-1801) à madame du Deffand. Elle porte la date du 23 mai 1765

Essai sur l’ennui

Remy de Gourmont

Spleen

Charles-Pierre Baudelaire

Pensées pour la suite des jours (extrait)

Prince Vladimir Ghika
«Traiter de la vie spirituelle pour le grand public des lecteurs de toute sorte, quelle entreprise risquée! Quelle étrange prétention!.. Rien n'est plus facile en soi, rien ne tient en moins de mots et de mots à la portée de tous. L'admirable d



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