Enjeux

"a) Une énergie de pays riches

L'analyse de la consommation mondiale d'énergie fait apparaître des variations considérables, qui reflètent les inégalités de développement.

Ces différences sont d'abord quantitatives: alors que la consommation annuelle moyenne par habitant est de 4,5 tonnes équivalent pétrole (tep) en 1996 dans les pays de l'OCDE, selon les chiffres de l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), elle n'est que de 3 tep dans les pays en transition économique, et de moins de 0,6 tep dans les pays en développement.

Ces différences sont également qualitatives, la répartition entre les différentes sources d'énergie variant beaucoup d'un pays à l'autre. Le pétrole est la source d'énergie la plus répandue, en raison de ses applications dans le secteur des transports où il n'a guère de substituts: il représente environ 35 % de la consommation d'énergie mondiale. Le charbon et les autres combustibles solides en représentent environ 30 %. Mais leur usage est très différencié selon les régions, puisqu'ils constituent 40 % de la consommation d'énergie des pays en développement, contre 25 % seulement de celle des pays de l'OCDE. Le gaz naturel vient à la troisième place, avec 22 % des approvisionnements énergétiques mondiaux.

Le nucléaire fait donc figure "d'énergie rare", avec une contribution à la production mondiale d'énergie de 6 % seulement, qui le classe en dernier, après l'hydroélectricité et les énergies renouvelables, qui fournissent 7 % du total.


Ces inégalités sont encore plus marquées dans l'usage de l'électricité, qui est étroitement corrélé au niveau de développement économique: 61 % de l'électricité est consommé dans les pays de l'OCDE, 14 % dans les pays en transition et 25 % dans les pays en développement. Alors que la consommation d'électricité est d'environ 500 KWh par habitant en Afrique, elle est en moyenne deux fois plus importante en Asie, dix fois plus importante en Europe et vingt fois plus importante aux Etats-Unis.

Bien que la production d'électricité soit le débouché exclusif de l'énergie nucléaire, celle-ci n'y contribue qu'à titre d'appoint au côté des énergies fossiles, qui ont pourtant d'autres usages.
La fourniture mondiale d'électricité est assurée presque aux deux tiers par des centrales thermiques classiques, qui fonctionnent au charbon (39 %), au pétrole (10 %) ou au gaz naturel (15 %). Pour sa part, l'électronucléaire n'y contribue qu'à hauteur de 17 %. Le solde de 19 % correspond à la contribution de l'hydroélectricité et des énergies renouvelables.

Le développement de l'énergie électronucléaire dans le monde s'est concentré sur une très courte période. Scientifiquement, la fission nucléaire a été découverte en 1938. Dès 1956, le premier réacteur commercial démarrait. Mais c'est surtout entre 1970 et 1990 que l'électronucléaire a connu une croissance soutenue, en raison de la forte augmentation des besoins d'électricité et de la volonté des pays dépourvus de sources d'énergie fossiles sur leur territoire de s'assurer une indépendance énergétique dans un contexte d'hydrocarbures chers et où les réserves de pétrole étaient estimées à trente années de consommation.

Le taux précité de 17 % correspond à la part globale de l'énergie nucléaire dans la production mondiale d'électricité, mais recouvre des situations très variables. L'électronucléaire assure ainsi 24 % de la production d'électricité des pays de l'OCDE, et environ 35 % de celle des pays de l'Union européenne.

L'Europe communautaire apparaît donc comme la zone la plus "nucléarisée" du monde. Ce constat n'est pas étonnant compte tenu, d'une part, de son haut niveau de développement économique et technologique et, d'autre part, de sa pauvreté relative en énergies fossiles.


Avec un apport de 212,61 millions de tonnes équivalent pétrole en 1997, le nucléaire fournit environ 15 % de la consommation énergétique de l'Union européenne.

b) Une contribution à l'indépendance énergétique

La principale motivation des Etats européens qui ont engagé des programmes électronucléaires, est la recherche de l'indépendance énergétique.

Cette recherche d'autonomie a d'abord été technologique car, historiquement, l'électronucléaire s'est développé en Europe sous licence américaine.


Les premières tentatives de la France et du Royaume-Uni de développer des filières purement nationales ont tourné court. Elles étaient justifiées par le fait que les Etats-Unis avaient adopté une politique de rétention des connaissances. Mais, la position américaine évoluant vers plus d'ouverture, les producteurs d'électricité européens ont préféré s'appuyer sur les technologies développées par Westinghouse et General Electric, déjà éprouvées.

Par la suite, les deux principaux constructeurs européens de réacteurs nucléaires, Framatome et Siemens, ont respectivement "francisé" et "germanisé" les technologies importées sous licence américaine.

L'autonomie technologique une fois acquise, l'électronucléaire constitue un puissant facteur d'indépendance énergétique dans son mode de fonctionnement. Dans le cas de la France, le taux de couverture des besoins énergétiques nationaux est ainsi passé de 22,5 % en 1973 à plus de 50 % en 1997.


Ce phénomène peut paraître surprenant, car l'uranium consommé dans l'Union européenne est presque totalement importé de pays tiers. Il s'explique en partie par les conventions de la comptabilité nationale, qui font que la production d'une entreprise de nationalité française, même située sur un territoire étranger, est considérée comme française.

Le simple fait que la Cogema, principal producteur d'uranium européen, soit propriétaire des mines qu'elle exploite à l'étranger, notamment au Niger et au Gabon, contribue à l'amélioration des taux d'indépendance énergétique français et européen.

Toutefois, l'intérêt stratégique du nucléaire pour l'indépendance énergétique de l'Europe réside ailleurs que dans ces taux calculés de manière assez conventionnelle.

Il tient tout d'abord à la diversification des sources d'énergie que le recours au nucléaire permet en soi. Dans le cas de la France, qui est l'un des Etats membres les plus "nucléarisés", le montant économisé sur les importations de combustibles fossiles est de l'ordre de 40 Milliards de francs chaque année.

Il tient également à l'abondance de l'uranium dans le monde et à sa répartition géographique équilibrée, qui permet aux exploitants de centrales nucléaires de diversifier leurs sources d'approvisionnement et de réduire les risques de rupture.

L'énergie nucléaire se présente sous une forme particulièrement concentrée : une tonne d'uranium utilisée dans une centrale nucléaire classique permet de produire autant d'énergie que 10 000 tonnes de pétrole.

Les réserves d'uranium disponibles à un coût inférieur à 80 dollars le kilogramme se situaient en 1997 à 2,5 millions de tonnes, selon l'OCDE.

Compte tenu de besoins annuels estimés à 60 000 tonnes aujourd'hui et à 70 000 tonnes à partir de 2015, les réserves connues d'uranium devraient suffire à satisfaire la demande mondiale jusqu'en 2015, sans même tenir compte des quantités considérables de plutonium libérées pour un usage civil par le processus de désarmement.

Il convient de souligner que les prix actuellement bas de l'uranium n'incitent pas à la prospection de nouveaux gisements. Après avoir atteint sur le marché " spot " un niveau maximum de 85 dollars par kilo en 1979, lors du second choc pétrolier, les cours de l'uranium sont depuis continuellement orientés à la baisse. Ils sont tombés à moins de 20 dollars le kilo depuis 1997.

Le Commissariat général du Plan estime ainsi que les réserves d'uranium spéculatives, récupérables à un coût inférieur à 130 dollars/Kg, pourraient atteindre 7 à 11 millions de tonnes, soit plus de 250 années de consommation (contre 230 années de consommation pour le charbon, 50 pour le pétrole et 60 pour le gaz naturel).

Lorsque la filière des réacteurs surgénérateurs, qui sont théoriquement capables de produire plus d'énergie qu'ils n'en consomment, sera techniquement maîtrisée, elle pourrait permettre de multiplier par cinquante la quantité d'énergie produite à partir de l'uranium. Le potentiel des réserves connues d'uranium atteindrait alors 1,5 million de tep, soit environ deux fois plus que l'ensemble des réserves énergétiques fossiles. Mais trois pays au monde seulement ont atteint le stade du prototype industriel de surgénérateur, avec des résultats mitigés : la Russie, la France et le Japon.

L'intérêt stratégique du nucléaire tient surtout au fait que le prix du combustible est un élément mineur du coût de revient final du KWh, dont il ne représente que 10 %
. Le cycle électronucléaire est coûteux surtout en investissements et en entretien. Il en résulte que son équilibre économique est relativement indifférent au prix de l'uranium.

Les cours de l'uranium sont durablement orientés à la baisse, mais ils pourraient doubler du jour au lendemain sans que cela entraîne un choc pour les utilisateurs d'électricité d'origine nucléaire."

Sénat français - Délégation pour l'Union européenne. L'énergie nucléaire en Europe: union ou confusion? Rapport d'information (no 320) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. Session ordinaire de 1999-2000. Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2000. Rapporteur: Aymeri de Montesquiou


* * *


"Un impact sur l'environnement sujet à débat

L'intérêt stratégique et économique de l'énergie nucléaire pour l'Europe peut difficilement être nié. Mais la contestation porte surtout sur l'impact environnemental du nucléaire. Selon ses détracteurs, les inconvénients environnementaux de cette source d'énergie seraient désastreux au point de rendre négligeables ses atouts économiques.

Les rejets radioactifs constituent le principal risque du nucléaire, qu'ils soient accidentels ou résultent du cycle d'exploitation normal. Ce risque fait l'objet d'appréciations contradictoires, mais est la cause de l'absence de consensus social et politique sur l'énergie nucléaire en Europe. Les avantages du nucléaire pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre pourraient toutefois modifier le point d'équilibre des opinions.

(...)


A. Les rejets radioactifs, point faible du nucléaire

Les rejets radioactifs les plus graves produits par la filière nucléaire sont, bien sûr, ceux liés à un accident d'exploitation majeur. Il s'agit d'un risque potentiel, mais bien réel, qui doit être pris en compte dans toute appréciation des avantages et des inconvénients de cette source d'énergie.

Même dans une situation normale, la filière nucléaire produit des émissions radioactives pendant l'exploitation des centrales, puis lors de la gestion des déchets. Ces rejets radioactifs sont inévitables, et le débat porte sur la capacité à les limiter ou à les maîtriser.

1. Le traumatisme de Tchernobyl

a) Les principes de la sûreté nucléaire

Les objectifs fondamentaux de la sûreté nucléaire sont de limiter les rejets d'effluents radioactifs dans l'environnement des centrales en fonctionnement normal, de prévenir les incidents ou accidents d'exploitation, et de minimiser les conséquences de ces événements lorsqu'ils surviennent néanmoins.

Techniquement, les dispositifs permanents de sûreté d'une centrale nucléaire ont pour fonction de maîtriser la réactivité, de refroidir le combustible en évacuant l'énergie produite, et de confiner les substances radioactives. Dans un réacteur à eau pressurisé classique, on dénombre trois barrières successives de confinement : la gaine du combustible, l'enveloppe du circuit primaire et l'enceinte de confinement extérieure. Cette dernière enceinte protège également le réacteur d'agressions externes telles que séismes, chutes d'avions ou tempêtes.

Les systèmes de "rattrapage" ont pour fonction de ramener l'installation à une situation normale d'exploitation en cas d'incident mineur, et les systèmes de "sauvegarde" ont pour fonction de limiter les conséquences pour les populations et l'environnement en cas d'accident.

Le concept de "défense en profondeur" développé à l'origine aux États-Unis établit des niveaux successifs de défense contre des accidents éventuels, à partir de l'hypothèse qu'aucun système n'est complètement fiable :

- le premier niveau vise à prévenir les défaillances qui risquent de faire sortir l'installation de son fonctionnement normal ;

- le deuxième niveau établit des systèmes de régulation et de contrôle qui permettent de détecter et maîtriser les incidents mineurs avant qu'ils ne dégénèrent en accidents, sans que l'interruption du fonctionnement du réacteur soit nécessaire ;

- le troisième niveau a pour objet d'intégrer, dès la conception de l'installation, des systèmes de sauvegarde qui permettent de maîtriser les accidents pouvant se produire malgré les deux premiers niveaux de défense ;

- le quatrième niveau est conçu pour les cas de défaillances multiples et pour les situations qui n'ont pas été prévues par les niveaux de défense précédents. Ces "accidents hors dimensionnement" partent de l'hypothèse que le réacteur a été endommagé. L'objectif visé est de limiter les conséquences de ces accidents, et notamment de gagner du temps pour permettre l'application des mesures de protection des populations ;

- le cinquième niveau suppose l'échec des précédents niveaux de défense, et vise à limiter les conséquences radiologiques de rejets importants en définissant les conditions d'évacuation des populations et de contrôle pour la consommation des aliments contaminés.

La probabilité que surviennent des accidents au troisième niveau est estimée en France entre une chance sur dix mille et une chance sur un million par an et par réacteur. Par comparaison, on estime qu'un barrage hydroélectrique a une chance sur dix mille par an de céder.

La sûreté d'une installation nucléaire est d'abord de la responsabilité de l'exploitant, qui est seul apte à mettre en oeuvre les mesures la garantissant. Il doit toutefois en répondre devant les autorités publiques en charge de la sûreté nucléaire du pays, qui définissent les objectifs généraux de sûreté lors de l'autorisation de mise en service de chaque installation et préconisent certaines méthodes dans l'élaboration des systèmes de sûreté.

Les dispositifs techniques et organisationnels de sûreté nucléaire, conçus de manière rationnelle et prudente, apparaissent crédibles. Toutefois, pas plus qu'aucune autre oeuvre humaine, ils ne peuvent prétendre à l'infaillibilité. Les accidents nucléaires, bien que rares, viennent le rappeler.


b) Le précédent de Three Mile Island

Dans l'histoire encore relativement courte de l'énergie nucléaire, un premier accident grave est survenu en 1957 dans le centre de stockage soviétique de Kychtyn, qui a disséminé de grandes quantités de substances radioactives dans la région de cette ville industrielle de l'Oural, nécessitant l'évacuation de dix mille personnes. Mais, compte tenu du contexte de la guerre froide, cet événement n'a été connu à l'Ouest que beaucoup plus tard et n'a donc pas eu d'effet sur les opinions publiques européennes.

En revanche, l'accident survenu le 28 mars 1978 sur le réacteur n° 2 de la centrale de Three Mile Island a constitué la première remise en cause de la sûreté nucléaire dans les pays occidentaux. Certes, les acteurs de l'industrie nucléaire peuvent faire valoir, à juste titre, que cet accident a démontré l'efficacité des enceintes de confinement, puisqu'il a été sans conséquence radiologique à l'extérieur de la centrale.

Mais cet accident a aussi démontré l'importance et la fragilité du facteur humain, dans la maîtrise d'un accident nucléaire.

En effet, l'équipe responsable de la surveillance de la centrale s'est trouvée à la fois saturée de signaux d'alerte et dépourvue de consignes à suivre, ce qui l'a conduit à prendre des décisions erronées qui ont aggravé la situation. Cette mauvaise présentation des consignes a été depuis corrigée par la simplification des tableaux de contrôle et la hiérarchisation des alarmes.

Le personnel de conduite et d'accompagnement est également apparu insuffisamment formé à des conditions anormales d'exploitation. Cette lacune a depuis été comblée par la mise en place systématique de programmes de formation faisant recours à des exercices d'alerte grandeur nature.

Au total, l'accident de Three Mile Island a montré que des incidents considérés comme mineurs pouvaient fort bien, par un enchaînement de circonstances, déboucher sur un accident majeur. Une réévaluation générale de la sûreté des installations nucléaires en a résulté.

Pour l'opinion publique, la conséquence majeure de cet événement a été la prise de conscience que les accidents nucléaires, jusque là pris en compte de manière probabiliste par les spécialistes de la sûreté nucléaire, constituent un risque réel pouvant se concrétiser à tout moment.

Elle a marqué l'élargissement du débat sur la sûreté nucléaire du domaine des scientifiques et des industriels à celui des citoyens et des politiques.


c) Tchernobyl, catastrophe nucléaire et médiatique

L'état actuel du débat sur l'énergie nucléaire dans l'Union européenne ne peut être compris qu'à la lumière de l'accident de Tchernobyl, qui a constitué un véritable traumatisme pour les opinions publiques des Etats membres, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.

Le 27 avril 1986, vers une heure du matin, à la suite d'une expérience conduite par les opérateurs en violation de toutes les consignes de sûreté (10), le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl fait une poussée de puissance non contrôlée. Le coeur du combustible entre en fusion, provoquant une explosion de vapeur qui détruit les installations.

En l'absence d'une enceinte de confinement, les émissions radioactives s'échappent librement dans l'atmosphère, formant un nuage radioactif à plusieurs milliers de mètres d'altitude, dont les retombées s'étendront les jours suivants à pratiquement tous les pays d'Europe occidentale.

On dénombre trente-cinq décès immédiatement consécutifs à l'accident de Tchernobyl. Dans une approche épidémiologique, on peut estimer à cinq mille "morts prématurées" (11) le nombre des victimes de la catastrophe dans la population des environs (135 000 personnes ont dû être évacuées) et parmi les 600 000 "liquidateurs" qui sont intervenus sur le site et dans ses alentours. Une épidémie de cancers de la thyroïde a été observée chez les personnes âgées de moins de 18 ans en 1986, qui a fait 1 400 morts de 1990 à 1997 et perdure vraisemblablement.

Techniquement, il n'est guère possible de tirer des leçons de l'accident survenu en Ukraine (alors partie de l'URSS) pour la sûreté des centrales nucléaires installées dans l'Union européenne. En effet, les réacteurs soviétiques sont de conception différente.
Les réacteurs à eau pressurisée de type VVER sont relativement proches des standards occidentaux. Mais les réacteurs graphite-gaz de type RBMK, tel celui de Tchernobyl, s'en distinguent radicalement. Tout au plus, le bilan de la catastrophe permet-il de confirmer l'intérêt d'une enceinte de confinement, qui fait défaut sur les réacteurs de type RBMK, et l'importance décisive du facteur humain dans la sûreté nucléaire.

En effet, dans les centrales de conception soviétique, la sûreté de l'exploitation repose beaucoup plus sur le jugement des opérateurs que dans les centrales de conception occidentale, où elle se fonde d'abord sur des automatismes de contrôle inspirés des techniques de l'aéronautique. Dans un cas, on a un "pilotage à vue", et dans l'autre, "un pilotage aux instruments".

Cette liberté d'appréciation laissée aux exploitants peut conduire à la catastrophe si, comme à Tchernobyl, ils en font usage pour conduire une expérience-limite de variation de puissance du réacteur, au mépris des règles de sûreté les plus élémentaires, et en enchaînant les décisions erronées d'une manière rétrospectivement suicidaire.

Le traumatisme de Tchernobyl a surtout montré l'importance de l'information et de sa crédibilité dans la gestion d'un accident nucléaire grave.
L'événement n'a d'abord été connu en Occident qu'à travers une augmentation de la radioactivité ambiante en Suède, avant d'être rendu public trois jours après par les autorités soviétiques. Les informations fournies par celles-ci semblent avoir été sincères, à la lumière des connaissances actuelles, mais cette temporisation a suffi pour les discréditer.

Quant aux informations et aux consignes diffusées par les autorités publiques d'Europe occidentale, leur caractère parfois trop péremptoire dans leur volonté de rassurer, et souvent contradictoire d'un pays à l'autre, a accru l'inquiétude des opinions publiques au lieu de l'apaiser. Les messages des autorités publiques se sont ainsi trouvé décrédibilisés, et brouillés par l'effet d'un emballement médiatique bien compréhensible mais difficilement contrôlable.

Bien que l'augmentation de la radioactivité au-dessus de son niveau naturel dans les Etats membres de l'Union n'ait été mesurable que pendant environ une semaine et soit restée officiellement en deçà des niveaux admissibles pour la santé humaine
(12), les opinions publiques européennes ont conservé de l'événement le souvenir d'une exposition à un risque majeur occulté, d'autant plus inquiétant qu'il était invisible et minimisé par le discours des autorités.

De toute façon, le fait que les retombées radioactives à l'Ouest de Tchernobyl aient été infimes ne suffit pas à rassurer, dans la mesure où l'effet des faibles doses d'irradiation est lui-même objet de polémiques.

Notes
(10) Cette version officielle des causes de l'accident est toutefois contestée. Un reportage d'une chaîne régionale de télévision allemande, diffusé le 10 avril dernier sur Arte, défend la thèse d'un tremblement de terre à l'origine de la destruction du réacteur, en s'appuyant sur des sources scientifiques russes et ukrainiennes, ainsi que sur les archives du KGB.
(11) Cette estimation officielle est toutefois contestée, en l'absence de suivi rigoureux des personnes concernées et de lien évident entre l'exposition aux radiations et les pathologies mortelles ultérieures. Selon des sources officieuses, citées par le quotidien Les Échos du 25 avril 2000, le nombre des victimes de Tchernobyl pourrait s'élever déjà à 15 000 "morts anticipées" et à 50 000 invalides.
(12) Selon le bilan rendu public le 4 mai 2000 par l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), intitulé "Tchernobyl, 14 ans après", l'exposition moyenne de la population française au nuage radioactif a été comprise entre 6,5 et 16 millisieverts.


Sénat français - Délégation pour l'Union européenne. L'énergie nucléaire en Europe: union ou confusion? Rapport d'information (no 320) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. Session ordinaire de 1999-2000. Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2000. Rapporteur: Aymeri de Montesquiou

Voir aussi: Panorama nucléaire international - développements (octobre 2001-avril 2002) (Commissariat à l'énergie atomique, Fr.)
The Future of Nuclear Energy in the European Union (UE, Commission européenne, Direction générale de l'énergie et des transports) - format PDF

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Les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl

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