Émulation

Jacques Dufresne

L'émulation procède de l'admiration. Elle est selon Littré un «sentiment généreux, qui incite à égaler, à surpasser quelqu’un, en talents, en mérite.»

Citant La Bruyère, Littré ajoute cette nuance : « Il y a entre la jalousie et l’émulation le même éloignement qu’entre le vice et la vertu.» La jalousie peut être au cœur de la rivalité. «L’émulation, ajoute Littré, est toujours un sentiment généreux; la rivalité est un mobile tantôt bon, tantôt mauvais. De plus la rivalité et l’émulation ne s’exercent pas sur les mêmes objets. L’émulation a pour dessein d’égaler, de surpasser, en mérite, en gloire, etc. ; la rivalité a pour but de disputer la possession d’un bien, le pouvoir, la richesse, une femme, etc.»

L'émulation a été au coeur de la pédagogie occidentale au cours des derniers siècles comme le rappelle l'historien Claude Galarneau dans son ouvrage sur l'enseignement classique au Québec. Le maître avait la responsabilité de l'émulation. Il était à la fois l'arbitre et l'entraîneur des équipes dans les joutes intellectuelles qui soutenaient l'ensemble du système classique.
«Les éducateurs de la Renaissance avaient trouvé le moyen de faire tenir ce système par l'émulation. Ils croyaient que cette conception valait mieux que la crainte, la menace ou les châtiments. Stimuler l'enfant, entretenir chez lui une tension perpétuelle, il n'y avait rien de mieux pour l'inciter au travail et pour contrôler l'acquisition des connaissances. Toute la vie au collège dans ses pratiques pédagogiques a donc été soutenue par ce puissant aiguillon. On divisait les classes en deux camps, romain et carthaginois, ou grec et romain, dont le premier du clan vainqueur était nommé imperator pour un mois, avec des consuls, des censeurs, des tribuns et des sénateurs. [...] Les premiers dans les humanités ou la philosophie avaient l'insigne honneur de copier leur version ou leur dissertation sur les registres de l'académie.» (Claude Galarneau, Les collèges classiques au Canada français, Fides, Montréal, 1978)
N'est-ce pas la confusion entre l'émulation et la compétition qui est à l'origine du fait qu'en éducation on a tendance aujourd'hui, pour protéger les plus faibles, à éviter les comparaisons entre les élèves?

Pour éviter que l'émulation ne dégénère en rivalité et en compétition dans les écoles, il faut, au lieu d'inciter les élèves à déloger celui qui est au premier rang, susciter l'admiration pour ses qualités et son mérite. Un seul peut occuper le premier rang, mais tous peuvent être enrichis par le sentiment d'admiration qu'ils éprouvent. Et si tel élève mérite l'admiration pour son aptitude à réussir en classe, tel autre la mérite pour ses talents en musique, dans les arts ou dans les sports. L'admiration peut ainsi être un sentiment réciproque. Il n'y a pas de place pour une telle réciprocité dans la compétition. Je gagne ou il gagne.

 

 

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Admiration

Selon le Littré l'admiration est «un sentiment excité par ce qui est beau, merveilleux, sublime.» Selon le Micro Robert, elle est «un sentiment de joie et d'épanouissement devant ce qu'on juge supérieurement beau ou grand.» Puisque l'un peut juger beau ce que l'autre juge laid, l'admiration, dans le second cas, n'a aucune valeur en elle-même.

Essentiel

Ce qui est en cause ici, c'est la difficile et mystérieuse transmutation du sentiment d'inégalité en admiration plutôt qu'en ressentiment, une admiration qui ne doit être confondue ni avec la servilité ni avec la résignation, deux sentiments proches du ressentiment. L'inégalité étant un fait de nature, l'harmonie des sociétés dépend de leur aptitude à favoriser la transmutation évoquée.

La fascination pour la vedette de la politique, des sports ou du spectacle est un cas particulier. On refusera d'admirer le mérite proche, dont ont pourrait se rapprocher davantage par l'émulation, pour mieux idolâtrer l'inaccessible et inimitable vedette, laquelle est alors un refuge pour le ressentiment.




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Le jeu et l'émulation (Johan Huizinga)
«L'émulation en vue de se montrer le premier constitue sans aucun doute un facteur de formation et d'ennoblissement pour la civilisation naissante. Aux stades d'un développement intellectuel encore puéril et naïf et où les notions d'honneur de classe sont vivantes, pareille émulation a engendré l'altière vaillance personnelle, indispensable à une jeune culture. Et ce n'est pas tout: dans ces perpétuels jeux athlétiques, toujours pénétrés de piété, les formes mêmes de civilisation se développent, la structure de la vie collective s'épanouit. La vie aristocratique adopte l'allure d'un jeu exaltant d'honneur et de bravoure. Néanmoins du fait même que ce jeu noble est si médiocrement réalisable dans la cruauté de la guerre, il doit se pratiquer selon une fiction sociale esthétique. La violence sanglante ne peut être enfermée que très imparfaitement dans les formes élevées de culture. Aussi l'esprit de la communauté ne cesse-t-il de chercher une issue dans les belles images d'une vie héroïque qui s'accomplit dans la dignité du combat et dans une sphère idéale d'honneur, de vertu et de beauté. La notion de la lutte noble demeure, une fois pour toutes, une des plus fortes impulsions de la culture.»

JOHAN HUIZINGA, Homo Ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, Paris, 1951

Enjeux

L'émulation a été au coeur de la pédagogie occidentale au cours des derniers siècles comme le rappelle l'historien Claude Galarneau dans son ouvrage sur l'enseignement classique au Québec. Le maître avait la responsabilité de l'émulation. Il était à la fois l'arbitre et l'entraîneur des équipes dans les joutes intellectuelles qui soutenaient l'ensemble du système classique.
«Les éducateurs de la Renaissance avaient trouvé le moyen de faire tenir ce système par l'émulation. Ils croyaient que cette conception valait mieux que la crainte, la menace ou les châtiments. Stimuler l'enfant, entretenir chez lui une tension perpétuelle, il n'y avait rien de mieux pour l'inciter au travail et pour contrôler l'acquisition des connaissances. Toute la vie au collège dans ses pratiques pédagogiques a donc été soutenue par ce puissant aiguillon. On divisait les classes en deux camps, romain et carthaginois, ou grec et romain, dont le premier du clan vainqueur était nommé imperator pour un mois, avec des consuls, des censeurs, des tribuns et des sénateurs. [...] Les premiers dans les humanités ou la philosophie avaient l'insigne honneur de copier leur version ou leur dissertation sur les registres de l'académie.» (Claude Galarneau, Les collèges classiques au Canada français, Fides, Montréal, 1978)
N'est-ce pas la confusion entre l'émulation et la compétition qui est à l'origine du fait qu'en éducation on a tendance aujourd'hui, pour protéger les plus faibles, à éviter les comparaisons entre les élèves?

Pour éviter que l'émulation ne dégénère en rivalité et en compétition dans les écoles, il faut, au lieu d'inciter les élèves à déloger celui qui est au premier rang, susciter l'admiration pour ses qualités et son mérite. Un seul peut occuper le premier rang, mais tous peuvent être enrichis par le sentiment d'admiration qu'ils éprouvent. Et si tel élève mérite l'admiration pour son aptitude à réussir en classe, tel autre la mérite pour ses talents en musique, dans les arts ou dans les sports. L'admiration peut ainsi être un sentiment réciproque. Il n'y a pas de place pour une telle réciprocité dans la compétition. Je gagne ou il gagne.

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