Divertissement

Enjeux

«Il y a [...] une différence notoire entre le diversement dont parle Pascal et ce que nous appelons avec raison l'industrie du divertissement. Pascal nous dit que l'homme est par nature un être qui est incapable de supporter le sentiment du vide. "Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide."

Pascal ajoute qu'ayant ainsi horreur du vide, l'homme se porte avec empressement vers tout ce qui l'en détourne. "De la vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Pascal ne dit toutefois nullement part que l'homme est conditionné dès son enfance par et pour les industries du divertissement. Et le divertissement dont il parle, la chasse par exemple, est par rapport à nos jeux vidéos un divertissement noble."

"Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse - qui nous en détourne - nous en garantit."

La spécificité de notre industrie du divertissement, qui est aussi son efficacité, tient au fait qu'elle renforce par un conditionnement subliminal un besoin déjà irrésistible à l'état naturel. Dès l'âge de deux ans et si possibles plus tôt, on calme l'enfant en le mettant devant sa gardienne électronique: le téléviseur. Ainsi conditionné en bas âge on peut-être assuré qu'il deviendra un adepte servile des jeux vidéos dès qu'il aura des sous à dépenser à cette fin. [...]

La propagande sociologique

Il y a une ressemblance étroite entre le diversement décrit par Nelson Thall et ce que Daniel Cérézuelle, commentant Jacques Ellul, appelle la propagande sociologique. On entend généralement par propagande une entreprise dont le but est d'orienter l'opinion publique dans une direction donnée correspondant aux visées du pouvoir politique.

C'est là ce que Jacques Ellul appelle la propagande idéologique, qu'il distingue de la propagande sociologique. On pourrait dire de cette dernière qu'elle est à la propagande idéologique ce que ce que le divertissement industriel est au divertissement pascalien.

La propagande sociologique substitue des comportements stéréotypés à l'expérience directe, concrète, disqualifiant ainsi cette dernière comme moyen d'accès à la vérité. L'enfant qui part seul à la pêche dans le ruisseau voisin vit une expérience personnelle authentique qui le rapproche de la vérité sur lui-même et sur le monde. Plus cet enfant est indépendant par rapport à la propagande sociologique, moins il est important pour lui de posséder l'équipement dernier cri pour pratiquer son sport préféré. Il apprend ainsi à distinguer l'essentiel de l'accessoire dans son rapport avec le monde. Son identité se renforce. Il se prouve à lui-même qu'il a assez de "quant à soi" pour ne pas avoir besoin de se conformer au modèle officiel de comportement pour pratiquer son sport.

Nelson Thall nous a invité à faire passer le divertissement dans l'orbite de la culture. Daniel Cérézuelle nous propose un défi semblable quand il nous invite à lutter contre les effets corrosifs de la propagande sociologique par un retour à l'expérience directe. Ajoutons que la propagande sociologique, comme le divertissement industriel agit de façon subliminale et nous sommes aussi démunis devant le premier phénomène que devant le second, parce que nous ne sommes familiers ni avec les mots, ni avec les concepts qui nous permettraient de comprendre ce qui se passe. Dans le cas de la propagande comme dans celui du divertissement, nous ne nous faisons de souci que pour le contenu, le message, alors que le danger réside pour l'essentiel dans le médium.

Au fur et à mesure qu'il est atteint par la propagande sociologique qui est avant tout l'oeuvre du médium , l'être humain se transforme lui-même en médium. Privée de toute intériorité, il relaie en l'amplifiant l'information émise et orchestrée par l'industrie du divertissement.

Que se passe-t-il au même moment dans la sphère politique? Les États-Unis s'attaquent aux politiques culturelles de nombreux autres pays sous prétexte que ce qui est appelé culture dans ces pays est en réalité. Par le biais d'une analyse de cette attitude américaine, Florian Sauvageau ajoute sa voix à celle de Nelson Thall et de Daniel Cérézuelle pour mettre en relief que le divertissement, l'entertainment est au coeur du problème culturel.

On comprend que du point de vue américain, les divertissement puisse être considéré comme appartenant à la sphère du commerce plutôt qu'à celle de la culture. Il en va autrement du point de vue allemand, français ou italien: dans tous ces cas la défense de la langue du divertissement est indissociable de la défense de la culture nationale. Les politiques protectionnistes dans ces cas équivalent à un discours de ce genre adressé aux Américains: par vos divertissements industriels vous vous abrutissez dans votre propre langue, laissez-nous au moins le privilège d'en faire autant. Dans la nôtre.

L'extension de la sphère du commerce et du divertissement a pour effet [...] d'intimider les leaders politiques qui voient encore la nécessité de politiques culturelles protectionnistes, mais se demandent si de telles politiques sont encore applicables dans le nouveau contexte. Opposant la vénérable notion de service public à celle de produit commercial, Florian Sauvageau soutient que le renoncement à des politiques culturelles nationales n'est pas justifié.

[...] L'élargissement de la sphère de la culture au détriment de celle du divertissement (Nelson Thall,) la revalorisation de l'expérience directe comme moyen de limiter les effets de la propagande sociologique (Cérézuelle) et le développement de services culturels publics (Sauvageau) sont une seule et même opération.

Jacques Dufresne
Source en ligne: http://agora.qc.ca/synthese4.html

* * *

"Dans L'enseignement de l'ignorance Jean-Claude Michea nous informe qu'en 1995, 500 hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan, constituant à leurs yeux l'élite du monde, commencèrent à reconnaître comme une évidence qui ne mérite pas d'être discutée, que dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population suffiront à maintenir l'activité de l'économie mondiale. Une question essentielle se pose donc: comment serait-il possible de maintenir la «gouvernabilité» de 80 pour cent d'humanité surnuméraire, dont l'inutilité à été programmée par la logique libérale? La solution fut trouvée par Brzezinski, ancien conseiller de J. Carter sous le nom de «tittytainment»*: il s'agit de définir un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir la bonne humeur de la population frustrée de la planète.»"

Source: Hervé Bokobza, La psychiatrie, au risque de la science (lien désactivé)

* Fusion entre «entertainment» qui signifie spectacle et «tits» qui signifie seins

Articles





Articles récents