Auguste
«Cet homme extraordinaire, qui a créé la monarchie romaine à l'intérieur et l'empire romain à l'extérieur, qui a pour ainsi dire posé et fixé la marche de l'humanité, pendant six siècles, est tout aussi intéressant et étrange dans la vie privée. Je crois, malgré les beaux éloges et les touchantes paroles qu'il a su provoquer de la part d'Horace et de Virgile, malgré les phrases à effet et les déclamations sentimentales dont il ne se priva guère, je crois que le fond, chez lui, devait être d'une sécheresse, d'une froideur effrayante; que tout, dans sa vie, dans ses actes, dans ses paroles, devait être pesé, mesuré, calculé: qu'il n'y eut pas, dans toute sa conduite, la moindre part laissée à l'instinct, au sentiment, à l'impulsion du moment, au penchant du cœur. Tout fut calculé et raisonné: Auguste est peut-être, de tous les hommes de l'antiquité, celui qui a le moins connu ce qui était faiblesse et sentiments de l'honneur. Du reste, cela s'explique quand on songe que, dès l'âge de dix-huit ans, il se montra étonnamment mûr pour le rôle le plus difficile qu'on pu imaginer, qu'il triompha dès lors de tous les obstacles et se joua de tous les hommes, qu'à vingt ans il n'avait plus de scrupules et était déjà un des maîtres du monde, et que pendant cinquante ans il appliqua au gouvernement de la terre toutes les ressources d'une intelligence d'élite, d'une volonté de fer, tous les moments de sa vie et toutes les pensées de son âme.
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Les jugements les plus divers furent portés sur lui à Rome. On en fit le meilleur des citoyens et le plus désintéressé des hommes: on en fit aussi un hypocrite consommé, ennemi du bien public. Auguste n'a été ni l'un ni l'autre, ou plutôt à la fois l'un et l'autre. Il a eu un double but dans sa vie, constitution de la monarchie, constitution de l'empire: il y a marché dès le premier jour, fermement, sans hésitation, ne reculant devant aucun moyen, tour à tour vertueux et cruel, désintéressé et avare, hypocrite et droit, suivant l'intérêt de son œuvre. Cette œuvre, il l'a merveilleusement achevée, établie pour des siècles. Par elle, il a donné au monde des années de paix et de prospérité. Sans Auguste, nous n'aurions pas eu Marc-Aurèle ou Julien. Julien détestait l'homme, il n'a pu s'empêcher d'admirer l'œuvre de cet empereur, dont le génie, quatre siècles après sa mort, guidait encore la marche du monde romain.»
Voir cette biographie d'Auguste par Camille Jullian.
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Jugements sur Auguste et son règne
MONTESQUIEU
«Auguste établit l'ordre, c'est-à-dire une servitude durable; car dans un État libre où l'on vient d'usurper la souveraineté, on appelle règle tout ce qui peut fonder l'autorité sans bornes d'un seul, et on appelle trouble, dissension, mauvais gouvernement tout ce qui peut maintenir l'honnête liberté des sujets» (Grandeur et décadence des Romains)