Paré Ambroise
Ce fut, croyons-nous, entre les années 1562 et 1564, que Paré imagina la ligature des artères dans les amputations. Du moins, en 1537, il n’y songeait guère, car il avoue qu’en revenant de Turin, ayant amputé un pauvre soldat atteint d’une gangrène traumatique, « il arresta le sang avec cautères actuels, n’ayant en ce temps-là aultre méthode ny façon de faire ».
Comme tout homme illustre, A. Paré a eu le privilège d’éveiller l’attention des chercheurs et des curieux, qui consacrent leurs veilles à jeter du jour sur nos gloires nationales. MM. Vimont, Willaume, Hubert, Malgaine, C. Bégin, de la Sicotière, etc., ont publié sur le grand chirurgien d’importants travaux, lesquels, réunis aux recherches qui nous sont personnelles, permettront de le suivre dans les principaux sentiers de sa belle carrière. Ce n’est pas une page de littérature, un éloge, style académique, que nous offrons au lecteur, mais bien une suite de notes, de dates, de faits, puisés aux meilleures sources, et qui, tout à la fois, rectifieront plusieurs erreurs, et feront connaître des détails inédits.
Famille. Naissance
Ambroise Paré est né à Laval, dans le département de la Mayenne, ou, peut-être plus exactement, au petit village de Bourg-Hersent, près de Laval, dans une dépendance de la maison seigneuriale du comte de Laval. Mais en quelle année? Malgaine, E. Bégin et d’autres, mettent la date de 1517. À ce compte-là, le futur chirurgien aurait à sept ans fait ses observations sur les monstres, à Angers où il était en 1525 (Des monstres, chap. XX); à dix-neuf ans il aurait déjà fait ses études et passé trois ans à l’Hôtel-Dieu de Paris; à vingt ans, il aurait, en qualité de chirurgien, accompagné en Piémont de Monte-Jean, colonel général des gens de pied, aurait assisté à la prise du Pas-de-Suze (octobre 1537), et y aurait pansé un capitaine Le Rat qui y fut blessé. À ce même âge de vingt ans, il aurait acquis assez d’expérience pour abandonner dans le traitement des armes à feu les cautères, les huiles bouillantes, pour les remplacer par des topiques émollients, les laxatifs. Enfin, il n’aurait eu que treize ans lorsqu’il commença à pratiquer la chirurgie, puisque, d’après son dire même (Œuvres, éd. de 1575. Lettre au lecteur), ce fut « il y a quarante-cinq ans », c’est-à-dire en 1530. Tout cela est impossible. Il y a d’ailleurs un témoin irrécusable; c’est Pierre de Lestoile, lequel, dans son Journal du règne de Henri III (éd. Michaut et Poujoulat, 1837, p. 40), en annonçant la mort de Paré au 20 décembre 1590, ajoute que ce fut à l’âge de quatre-vingts ans. Ambroise Paré serait donc né en 1510 ou 1509.
Son père était, assure-t-on, un coffretier à Laval, et eut quatre enfants; Jean, qui fut barbier-chirurgien à Vitré, en Bretagne; …. Paré, qui alla s’établir aussi coffretier à Paris, rue de la Huchette; Anne Paré, laquelle épousa Claude Viart, chirurgien juré à Paris (morte le 19 septembre 1581); enfin notre Ambroise.
Arrivée à Paris. Le mariage. Les enfants
À quelle époque Paré vint-il à Paris, accompagné peut-être par son frère Jean, le coffretier? Il est impossible de préciser, mais l’on n’est pas loin de la vérité en adoptant l’année 1529; il avait alors dix-neuf à vingt ans. À Laval, le jeune homme avait été mis en pension, pour y apprendre le latin, chez un chapelain du nom de Orsoy, et à seize ans, confié au vieux chirurgien Vialot. À Paris, il suivit les leçons et la pratique des chirurgiens Urbain Larbalestier, Bremeil, Rastagne de Binosque et Séverin Pineau, vit, pendant trois ans, des maîtres fameux opérer à l’Hôtel-Dieu, et se mit lui-même presque aussitôt à opérer.
Ici, que l’on me permette une petite digression : c’était en 1862; je faisais des recherches dans les Registres des paroisses de Paris, anéantis plus tard par le feu de la Commune. En feuilletant ceux de la paroisse Sainte-André-des-Arcs (t. II, fol. 5, vo; 188, ro; 199, ro; t. III, fol. 8, vo; 22 ro, 37, vo; 48, ro; 77, ro; 87, ro), où je cherchais tout autre nom, je tombai sur une série d’actes se référant à la famille Paré; je les copiai avec le plus grand soin, et sans plus tarder je les offris à Malgaine, qui ne put en faire profiter le public, puisque son édition des Œuvres d’Ambroise Paré était publiée depuis longtemps, mais qui, heureux de ma découverte, me répondit : Mon cher confrère, envoyez-moi, envoyez-moi vite vos reliques : qui dat cito dat bis. Plus tard (1866), Jal fit pour son Dictionnaire l’usage que l’on sait de ces mêmes recueils paroissiaux, et il eut bien le soin de relever les actes relatifs à Paré, non seulement ceux que j’avais eu la bonne fortune de rencontrer, mais d’autres encore qui m’avaient échappé. Mais Jal n’a pas toujours bien lu les manuscrits qu’il avait devant les yeux., et l’article PARÉ de son Dictionnaire n’est pas exempt de fautes de copie. De plus, il y a un acte fort important qui a échappé au laborieux investigateur, et qui se trouvait dans un des registres de la paroisse Saint-Séverin; c’est celui du second mariage d’Ambroise Paré : Paroisse Saint-Séverin. Mémoire de faire les bans le dimanche Iije de janvier 1574, d’entre M. Ambroise Paré, premier chirurgien du roy, de la paroisse de Saint-André-des-Arcs, et Jacquelin Rousselet, de ceste paroissse. Espousez le lundy XVIIje de janvier 1574. On comprendra que nous aimons mieux nous servir de notre copie, dont nous croyons être sûr, que de celle de Jal, malgré tout le respect que nous avons pour la mémoire de ce savant laborieux et honnête. Nous établissons donc ainsi les faits :
C’est après la campagne du Piémont (1537), engagée par François Ier pour ravitailler Turin et reprendre les villes et châteaux qu’occupait l’armée de Charles-Quint, qu’Ambroise Paré songea à se marier. Des actes de la paroisse Saint-André-des-Arcs et de celle de Saint-Séverin il résulte qu’il fut marié deux fois. Il épousa :
A. Le 30 juin 1542, Jehanne Masselin ou Mazelin, fille de Jehan Masselin, serviteur du chancelier de France (Duprat). Elle mourut le 4 novembre 1573, laissant trois enfants, savoir : 1. François, baptisé le 4 juillet 1545. Parrains : Me François de Villeneuve, docteur de la Faculté de médecine de Paris, et Loys Duret, barbier. Marraine : Jehanne de Peinne (?); 2. Ysaac, baptisé le 11 août 1559. Parrains : Me Antoine Mazelin, clerc suivant les finances, et Me Nicole Lambert, chirurgien ordinaire du roy. La marraine, Anne du Tillet, femme de Monsr Me Estienne Lallemant (cet enfant mourut en août 1560); 3. Catherine (première du nom), baptisée le lundy 30 septembre 1560. Parrain, Jaspard Martin, Me barbier de Paris. Marraines : Catherine Brion, femme de Loys le Prince, marchand de vins, et Marguerite Clairet, femme de feu Estienne Clairet, et Jehanne le Prince (Catherine Paré épousa, le 15 avril 1581, François Rousselet, trésorier de M. le Duc, frère du roi, puis contrôleur général des finances de la reine de Navarre). François Paré était mort en 1559.
B. Le 18 janvier 1574, Jacqueline Rousselet, de la paroisse Saint-Séverin. Elle mourut le 26 juin 1600, ayant eu pour enfants : 4. Anne, baptisée le samedy 16 juillet 1575. Marraine : IIte et puissante dame princesse Anne Daist (sic), femme de haut et puissant seigneur Jacques de Savoye, duc de Nemours. Le parrain, M. Charles de Savoye, fils des dessusdits prince et princesse (Anne Paré épousa, le 4 juillet 1596, Henry Simon, conseiller et trésorier du roi en Bourbonnais et Nivernais. C’est elle qui, en 1599, eut une hémorrhagie pendant l’accouchement [Guillemeau, L’heureux Accouchement, 1621, p. 222]. Jal, en mentionnant le mariage d’Anne Paré, la dit fille d’Antoine, lorsqu’il eût fallu mettre Ambroise); 5. Ambroise (premier du nom), baptisé le mercredy 29 avril 1576. Parrains : M. Charles, comte de Mauffer, et M. le marquis d’Elbeuf. La marraine, dame Phélippes de Montespedon, duchesse de Beaupréau et princesse de La-Roche-sur-Yon (Ambroise Paré mourut le lundi 14 janvier 1577); 6. Marie, baptisée le jeudy 6 janvier 1578. Parrain, Jehan Camus, secrétaire des finances. Marraines : Damoiselles Marie du Tillet, femme de M. Séguier, lieutenant civil, et Marie Boullaye, vefve de Jacques Rousselet (Marie mourut en 1578); 7. Jacqueline, baptisée le 8 octobre 1759. La parrain, noble personne Me Jehan Lalemant, seigneur de Vousse, maistre des requestes. Les marraines, Marie Lalemant, femme de Monsr… prévost des marchands de Paris, et Antoinette Lalemant, femme de Monsr Me Pierre Charles, auditeur du roy et conseiller en la Chambre des Comptes (Jacqueline Paré mourut le 13 septembre 1582); 8. Catherine (deuxième du nom), baptisée le 12 février 1581. Parrain : M. Me Vincent Mousseyot, conseiller au Parlement. Marraines : Catherine, sœur paternelle, et Barbe Rousselet, femme d’Odier Martin, archer de la garde du corps du roy (Catherine Paré épousa, le 29 septembre 1603, Claude Hesdelin, conseiller du roy en la chambre du trésor. Elle mourut le 12 septembre 1616); 9. Ambroise (deuxième du nom, baptisé le mercredy 8 novembre 1583. Parrains : Jacques Mareschal, procureur du roy en la prevosté de son hostel, et Me Jacques Guillemeau, chirurgien du roy. Marraine : Damoiselle Amée de Mamères, fille de Me Estienne de Mamères, avocat au grand Conseil (Ambroise Paré mourut le 19 août 1584).
On voit, d’après ces actes, que notre grand chirurgien ne laissa en mourant (1590), outre sa seconde femme Jacqueline Rousselet, qui lui survécut de dix ans, que trois enfants vivants, trois filles, et qu’il eut la douleur de ne pas avoir de postérité mâle : Catherine (première du nom), mariée, depuis neuf ans, à François Rousselet, trésorier du duc d’Anjou; Anne, âgée alors de vingt-cinq ans, et qui devait épouser Henry Simon, conseiller et trésorier du roi; enfin Catherine (deuxième du nom), âgée alors de neuf ans, et qui fut mariée en 1603 à Claude Hedelin, conseiller du roi en la chambre du trésor.
1541-1569
Dix-huit années qui assurent d’une manière définitive la réputation de Paré déjà commencée dans la campagne du Piémont, où l’on put admirer les ressources pratiques de son génie et les heureuses innovations qu’il apporta dans le pansement des plaies par armes à feu. Revenu du Piémont à Paris après la mort de son maître, le colonel de Monte-Jean, il se met au service de Henri de Rohan (1542), et assiste avec lui à l’affaire de Perpignan, où il soigne et guérit le maréchal Charles Cossé de Brissac frappé d’un coup de feu à l’épaule droite, puis au camp de Marolles dans la Basse-Bretagne, et à Landreneau menacé par les Anglais. En 1544, il fait le voyage de Landrecies, et assiste au siège de Guise. En 1545, il est à Boulogne-sur-Mer, occupé par les Anglais, et là prodigue les trésors de son art aux nombreux blessés dans l’attaque, par Henri II, des petits forts détachés de cette place. La même année, il publia son premier ouvrage : La méthode de traicter les playes par hacquebutes, et aultres bastons à feu, et de celles qui sont faictes par flèches, dards, et semblables. Paris, 1515, in-12o (ce livre a eu plusieurs éditions. Paris, 1552, in-8o), et en 1549 parut la Briefe Collection de l’administration anatomique, avec la manière de conjoindre les os, et d’extraire les enfants, tant morts que vivants, du ventre de leur mère. En 1553, Paré accompagne encore le duc de Rohan dans la campagne du Luxembourg, et est enfermé dans Metz, assiégée inutilement par les troupes de Charles-Quint. La même année, il subit le sort des défenseurs de la ville de Thérouanne, que l’armée ennemie réduisit à obéissance (20 janvier 1553), massacrant, rasant à peu près la ville. En 1554, notre chirurgien est admis comme maître au Collège de chirurgie de Saint-Cosme (18 octobre 1554. Malgaigne); mais, détail à noter, il y est admis sans subir les examens ordinaires, et sur le bon vouloir du roi. En 1558, il a la douleur d’assister à la défaite du connétable Anne de Montmorency, dans les plaines de Saint-Quentin, par Emmanuel Philibert, général du roi d’Espagne (10 août). Puis, revenu à Paris, il est bientôt appelé au camp d’Amiens.
De tels services méritaient une récompense, et le vaillant chirurgien est, en 1559, compté parmi les chirurgiens ordinaires de Henri II (Arch. Nat. K. K. 125).
1560-1589
La mort violente de Henri II, blessé dans un tournoi (10 juillet 1559), n’ôta rien du crédit qu’Ambroise Paré s’était acquis par ses talents et les services rendus. Compris entre les quatorze chirurgiens-valets de chambre ordinaires de Henri II, et ayant pour chef Jacques d’Amboise (Arch. hat. K. K. 125), il remplit les mêmes fonctions sous François II et sous Charles IX (Arch. nat. K. K. 129), qui l’appela bientôt à la suprême charge de son premier chirurgien, après la mort de Nicolas Lavernot. Il prête serment entre les mains du seigneur de Mendosse, premier maître d’hôtel à Saint-Germain-en-Laye, le 1er janvier 1561 (Mercure de France, octobre 1763; Arch. nat. K. K. 134, fol. 134, vo). Henri III ne voulut pas non plus se séparer d’un chirurgien aussi habile, et Paré figure, avec le premier rang, et au traitement de 256 livres, sur l’état de la maison de ce prince, en 1584 (Arch. nat. K. K. 139, fol. 16, vo; 37, vo; 1589; Ms. de La Noue; Bibl. de la Fac. de méd. de Paris, no 89, fol. 129, ro).
Dans ces vingt-neuf années que nous parcourons rapidement, A. Paré servit encore la patrie et la science. C’est de cette période que datent les ouvrages suivants :
I. La méthode curative des playes et fractures de la teste humaine. Paris, 1561, in-8o. Dédié à Chapelain, premier médecin du roi. II. Traicté de la peste, de la petite vérolle, et rougeolle. Paris, 1568, in-8o. III. Deux livres de chirurgie : 1) De la génération de l’homme, et manière d’extraire les enfans hors du ventre de la mère; 2) Des monstres tant terrestres que marins. Paris, 1573, in-8o. Dédié au duc d’Uzès. IV. Discours d’Ambroise Paré, asçavoir : De la mumie; des venins; de la licorne; de la peste. Paris, 1582, in-8o.
Les nouveaux exploits de Paré, comme chirurgien d’armée, portent ces dates :
1562, bataille de Dreux, gagnée par les catholiques sur les protestants et le prince de Condé, et où furent tués Jacques Dalbon, maréchal de France, Gabriel de Montmorency, fils du connétable, François de Clèves, duc de Nevers, etc.; siège du Rouen, où périt Antoine de Bourbon, roi de Navarre (père de Henri IV); prise du Havre occupé par les Anglais; 1569, bataille de Moncentour (1); notre chirurgien prodigue ses soins à Bassompierre, colonel de 1200 chevaux, grièvement blessé, et au comte de Mansfelt, gouverneur du duché de Luxembourg, frappé d’un coup de feu au coude droit.
Mort d’Ambroise Paré
L’illustre chirurgien a terminé sa noble carrière, à Paris, dans sa maison de la rue de « L’Arondelle », le jeudi 20 décembre 1590, à l’âge de quatre-vingts ans. L’annonce qu’en a fait Pierre de Lestoile dans son Registre-Journal a pour nous un double intérêt : elle nous fait savoir indirectement l’époque de la naissance du chirurgien, et le jour même de sa mort. Nous avons bien l’acte d’inhumation des restes d’Ambroise Paré, dans un caveau de l’église Saint-André-des-Arcs : En ce mesme jour de sabmedi vingt-deuxième de décembre 1590, a esté enterré dans l’église Sainct-André-des-Arcs à Paris, en bas de la nef, proche le cloché, Me Ambroise Paré, premier chirurgien du roy; mais sans Pierre de Lestoile nous ne saurions pas que notre Ambroise, inhumé le samedi 22 décembre, était mort deux jours auparavant, le jeudi 20.
Ambroise Paré et la Faculté de médecine de Paris
Dans sa haine acharnée, sans trève ni merci, contre la corporation des chirurgiens, guerre qui ne cessa qu’avec la fusion de la médecine et de la chirurgie, la Faculté de médecine de Paris était parvenue à mettre ses ennemis sous sa domination, et entre autres droits qu’elle s’était arrogés elle voulut et obtint que les chirurgiens vinssent tous les ans prêter serment entre ses mains. C’est ainsi que nous voyons (Reg.-Comment. VII, 24 ro) Louis le Brun, Barnabé et Ambroise Paré, remplir cette dure obligation, le mercredi 18 octobre 1559, et payer même chacun deux sols parisis.
Mais, depuis un arrêt du Parlement, qu’elle avait obtenu le 3 mai 1535, la Faculté était en possession d’un autre privilège, celui d’avoir un contrôle absolu sur la publication des ouvrages se référant aux sciences médicales, et de pouvoir empêcher que toute publication de ce genre fût faite sans son approbation. Aussi ne manqua-t-elle pas de chercher, par trois fois, à exercer sa tyrannie contre la mise en lumière et la vente des Œuvres du grand chirurgien.
En 1575, c’est la première édition de ce gros volume qui provoque la colère des docteurs-régents (2), Paré, impudentissimus, imperitissimus, maximè temerarius, ayant osé le faire imprimer sans leur autorisation, tous les moyens furent bons à la Faculté pour exercer sa vengeance, et elle n’hésita pas à mettre dans son parti, non seulement un grand nombre de chirurgiens, que la gloir de Paré empêchait de dormir, mais encore le Prévôt et les échevins de Paris, qui, déclarant l’ouvrage comme impudique et contraire aux bonnes mœurs, demandèrent qu’il fût brûlé. Requête au Parlement, qui finit par retenir la cause, procès, débats (14 juillet 1575), plaidoirie de l’avocat Chauvelin au nom de la Faculté, tout fut inutile, et l’affaire fut appointée au Conseil, c’est-à-dire à peu près enterrée. À l’occasion de ce procès, et pour se défendre contre les attaques dont il était l’objet de la part des médecins de Paris, Paré a publié une Response aux calomnies d’aucuns médecins et chirurgiens touchant ses livres. C’est un in-4o, s. l. n. d., de 15 pages (Bibl. nat. Td. 72,5). Je la recommande aux admirateurs de notre chirurgien. Nous aurons, du reste, l’occasion d’y revenir.
La deuxième édition des Œuvres (1579) éveille de nouveau la susceptibilité de l’irascible Faculté, qui ne délégua pas moins de dix de ses membres pour donner leur avis sur cette édition (Reg.-Comment. VIII, 98, vo). Les médecins de Paris paraissent avoir été encore pour leurs frais de poursuite, et la paix avoir été scellée, puisque le 3 juillet 1580 une grave épidémie régnant alors aux faubourgs de Saint-Marcel et de Saint-Victor, A. Paré accompagnait le doyen Henri de Monanteuil dans une visite qui fut faite aux pestiférés (Reg.-Comment. VIII, 141). Enfin, la traduction en latin du même ouvrage (1582) met encore le feu aux poudres. Cette édition porte ce titre : Opera Ambrosii Parei, Regis primarii et Parisiensis chirurgi, a docto viro plerisque locis recognita, et latinitate donata, Jacobi Guillemeau, Regii et Parisiensis chirurgi labore et diligentia. Parisiis, apud Jacobum Du Puys, 1582, in-fol. L’ouvrage porte deux privilèges : l’un, de Rodolphe, empereur des Romains, dernier jour d’octobre 1582, l’autre du roi de France, 8 décembre 1582.
C’est contre le libellé de ce titre que protesta la Faculté, soutenant sans doute avec raison, puisque Patin l’assure (Lettre CCV, t. 1, p. 449), que le traducteur était, non pas le chirurgien Jacques Guillemeau, mais bien un des siens, le docteur-régent Haultin, et qu’il fallait remplacer ce titre par celui-ci : Ambrosii Parei primarii Regis chirurgi opera latinitate donata a docto quodam viro : cura et diligentia Jacobi Guillemeau, chirurgi Parisiensis. Nous ne pouvons dire ce qui advint de cette résolution, laquelle pourtant eut un commencement de satisfaction, puisque dans la reddition des comptes du doyen G. de Baillou (4 novembre 1581), nous voyons une somme de VI sols payée à l’imprimeur Du Puys, pour ses peines d’avoir biffé presque deux mille feuillets de l’ouvrage de Paré (Ut cancellaret penè duo millia foliorum operis Ambrosii Parei, quae proeficiebant nomen illius Guillemeau, tanquam plagiari, et alia denuo imprimeret; Reg.-Comment. VIII, 182, ro).
Notons ici une inspiration, cette fois malheureuse, de notre Paré, lorsque le 7 mai 1567, arguant de son titre de premier chirurgien du roi, il demanda que lui et ses successeurs dans ce même emploi eussent la prééminence sur les autres chirurgiens du royaume, et que personne ne pût exercer la chirurgie sans une licence accordée par le premier chirurgien, en présence de deux médecins. Cette prétention, qui devait être renouvelée trente et un ans plus tard, en faveur du premier médecin du roi, par Ribbits de la Rivière, premier médecin de Henri IV, ne fut pas écoutée, grâce à la protestation énergique des chirurgiens, et surtout de celle de Camuset, premier barbier du roi (Reg.-Comment. VII, 151 ro).
Ambroise Paré était-il huguenot?
Il y a une cinquantaine d’années, il eût paru tant soit peu oiseux de nier le protestantisme de A. Paré. N’avait-on pas le témoignage de Sully (Mém., liv. I), et surtout celui de Brantôme (Disc. sur Charles IX), lequel, à l’occasion de la Saint-Barthélemy, écrit : « Le roy incessamment crioit : « Tuez! Tuez! » et n’en voulut jamais sauver aucun, sinon maistre A. Paré, son premier chirurgien et le premier de la chrestienté; et l’envoya quérir et venir le soir dans sa chambre et garde-robe, luy commandant de n’en bouger, et disoit qu’il n’estoit raisonnable qu’un qui pouvoit servir à tout un petit monde fût aussi massacré. » N’avait-on pas cette histoire racontée par Paré lui-même, et qui se rapporte à la fin de l’année 1562 : « Après la prise de Rouen, me trouvay à disner en quelque compaignie où en avait quelques-uns qui me hayoient à mort pour la Religion; on me présenta des choux où il y avoit du sublimé ou arsenic; de la première bouchée n’en apperceu rien; la seconde je senti une grande chaleur et cuiseur, et grande astriction en la bouche… Et voilà comment je me garanti de la main de l’empoisonneur, et depuis ne voulu manger des choux ny autre viande en ladite compaignie. » (Œuvres, 1re édit., 1575, p. 939-940). N’avait-on pas, enfin, les paroles du chirurgien, ses actions, ses écrits empreints à chaque page du sentiment biblique?
Néanmoins, il s’est trouvé des écrivains qui ont jeté leur note discordante dans ce concert presque universel, en autre Malgaine, qui hésite et doute, et Jal, qui, avec ce qu’on est en droit d’appeler une grande légèreté, casse les vitres, si l’on veut me permettre cette expression, et nie complètement, absolument, le calvinisme de Paré (Jal, Dict. crit. de biographie…, 1867, in-8o). On s’attend à voir Jal appuyer son opinion de puissants documents. Point : il ne s’appuie que sur ce fait, à savoir que tous les membres de la famille Paré, qu’il s’agisse de naissances, de mariages ou de décès, ont été présentés dans une église catholique, baptisés, mariés, enterrés dans une église catholique. Cette téméraire déduction du laborieux investigateur a eu une réponse, qui lui a été donnée par M. Henry Bordier, si compétent en pareille matière (H. Bordier, Rectification à l’errata publié par M. Jal, 1868, in-8o, 15 pages). Jal n’était nullement au courant de l’histoire de la Réforme; M. Bordier le lui apprend : « On s’imagine que les ministres protestants d’alors attendaient leurs ouailles la plume à la main, dans de tranquilles prebytères, pour inscrire leurs actes et les bénir, tout comme il se pratique aujourd’hui; mais on oublie que la persécution contre les protestants, jusqu’à l’Édit de Nantes, n’a jamais cessé d’être, à Paris, atroce; on ne pouvait s’avouer protestant qu’au péril de ses jours; l’Église réformée était comme secrète, ses ministres étaient obligés de se cacher ou de s’enfuir, et ses fidèles étaient sans église, sans cimetière, et à plus forte raison sans registres de l’état civil. Dans l’origine de la Réforme, les protestants continuèrent à être enterrés avec les catholiques, et les édits de mars 1563 et mars 1567 portent textuellement qu’à Paris, ceux de la Religion qui viendraient à y décéder seront « enterrés ès cimetières de leurs paroisses ». D’ailleurs, comment veut-on que fissent les protestants? Il fallait bien les enterrer quelque part, et quand on avait d’ancienneté la propriété d’un caveau dans une église catholique, quoi de plus légitime, et à la fois plus forcé, que de s’en servir? Quant à l’inscription des actes de baptêmes et mariages par la main du curé, il fallait bien choisir aussi entre la soumission à cette contrainte ou l’absence d’inscription légale (…) La présentation dans une église catholique des protestants ne prouve donc absolument rien contre leur foi. »
Mais à toutes ces preuves alléguées du protestantisme de Paré nous pouvons aujourd’hui en ajouter une autre, peut-être encore plus convaincante. Nous la tirons de cette Responce aux calomnies des médecins, citée plus haut, et que le chirurgien écrivit pour protester contre les accusations dont la première édition de ses Œuvres (1575) avait été l’objet de la part des médecins. Ces derniers n’incriminaient pas moins de vingt-neuf articles de cet ouvrage, et entre autres celui (le vingt-quatrième) où le chirurgien raconte l’histoire de cette tentative d’empoisonnement dont il fut l’objet, en 1562, de la part de gens « qui le hayoient pour la Religion ». À la Faculté de médecine de Paris, où régnait l’intolérance religieuse, on saisit bien vite l’occasion de frapper le pauvre chirurgien et de l’attaquer comme huguenot. A. Paré vit le danger qui le menaçait – il y allait pour lui de la destruction de son livre, de l’amende, de la prison, et peut-être pis encore – et, pour atténuer le mauvais effet produit par son histoire de l’empoisonnement, histoire qui ne se trouve plus dans la deuxième édition (1579), il répondit ainsi : « Par cette histoire que je fais de moy, citée par 939, je l’ai escrite afin que, si aucun avoit esté empoisonné, il peust se secourir par tels remèdes. Au reste, méchamment mes ennemis ont voulu tirer ce mot de Religion en conséquence pour me mettre en haine envers les gens de bien : car il a esté cité par moy pour ne me glorifier avoir suivi telle opinion, mais seulement de peur que le Lecteur ne pensast que j’eusse commis quelque hault crime qui touchast ou la vie ou les biens de quelqu’un, puis qu’on avoit attenté sur ma vie. Et moins l’aye cité en intention de monstrer que ceux qui suivent la Saincte Église Catholique et Romaine abusent de moyens illicites pour se deffaire de leurs ennemis. Car je déclare présentement et est tout certain que tel empoisonneur n’estoit ny d’autre Religion, ains seulement libertain et sans aucune crainte de Dieu. »
Ains donc, dans cette atténuation de sa malheureuse histoire de l’empoisonnement, A. Paré déclare hautement, d’une part, qu’il n’a pas eu l’intention d’y glorifier sa foi religieuse, et, d’une autre part, qu’il n’a pas eu la pensée d’y accuser le parti catholique. Rappelons que nous sommes en 1575, trois ans après la Saint-Barthélemy, à laquelle le chirurgien n’avait échappé que par une faveur extraordinaire due à l’estime de Charles IX. Mais Charles était mort, Henri III était à sa place, et les ennemis de Paré avaient beau jeu. Qu’aurait donc fait dans ces circonstances un protestant rentré au berceau du catholicisme? Il aurait hautement et clairement renié le passage incriminé en décochant, comme il était de rigueur, des traits contre l’hérésie, et en affirmant sa foi nouvelle. Au lieu de cela, il appelle le papisme le parti des gens de bien, et leur Église la sainte Église, mais sans se réclamer d’eux et proclamer qu’il en est. Au contraire, il apporte tous ses soins à mettre la question religieuse en dehors de l’affaire. Cela veut dire qu’il demande qu’on ne touche pas à sa conscience, et quand même il aurait à la Saint-Barthélemy signé l’abjuration forcée ou subi la messe, cette attitude est celle d’un homme qui a gardé ses convictions dans son cœur.
Au reste, d’abord chirurgien d’un roi protestant (Antoine de Bourbon), A. Paré a pu, dans la première moitié de sa vie, professer plus ou moins ouvertement le calvinisme, faire montre de ses convictions religieuses. Mais plus tard, attaché au service de quatre rois de France, il a dû nécessairement user d’une grande circonspection, et se résigner à tenir cachés dans son cœur des sentiments qui l’animaient, et qui, certainement, l’eussent perdu. D’ailleurs, bon, compatissant pour les misères du menu peuple (lire dans Pierre de Lestoile, Journal du règne de Henri III, p. 40, la harangue qu’il adressa à l’archevêque de Lyon), dévoué à un art qui l’a illustré, il n’a jamais vu dans les nombreux blessés qu’il a pansés que des malheureux réclamant ses soins, qu’ils fussent papistes ou calvinistes, amis ou ennemis. C’est là un des plus rôles d’un disciple d’Esculape.
Cet article était depuis longtemps composé et prêt à être mis sous presse lorsque nous avons reçu un ouvrage fort important de M. le docteur Le Paulmier, médecin à Paris, sur Ambroise Paré : Ambroise Paré d’après de nouveaux documents découverts aux Archives nationales et des papiers de famille. Paris, Pierre Charavay, 1885, in-8o de 418 pages. Mis au jour quelques mois plus tôt, ce livre nous eût été d’une grande utilité. M. Le Paulmier n’a rien négligé pour pénétrer plus avant dans la vie de Paré qu’on ne l’avait fait avant lui; ses découvertes aux Archives nationales sont du plus grand intérêt, non moins que les documents qu’il a pu consulter et copier dans les archives particulières du château de Paley, non loin de Nemours. C’est dans cette belle résidence qu’on admire un beau portrait, le seul authentique, d’Ambroise Paré, peint sur toile en 1555; celui qui orne la salle d’Assemblée de la Faculté de médecine est apocryphe. Le livre de notre confrère est accompagné d’une foule de pièces justificatives et orné de très belles gravures sur bois. Si M. Le Paulmier n’a pas dit le dernier mot touchant la vie du grand chirurgien, il n’a laissé dans l’ombre qu’une dernière page."
Notes
(1) Avant d’être attaché à la personne de Henri II, roi de France, A. Paré (c’est lui-même qui nous l’apprend) l’avait été à Antoine de Bourbon, roi de Navarre, ainsi qu’à un duc d’Ascot (Des monstres, chap. XXVI).
(2) Les œuvres de A. Paré ont eu un grand nombre d’éditions, toutes publiées sous le format in-fol. Elles portent ces dates : 1re édit., Paris, 1575; 2e édit., Paris, 1579; 3e édit…; 4e édit., 1585; 5e édit., 1598; 6e édit., 1607; 7e édit., 1614; 8e édit., 1628; 9e édit., 1633; 10e édit., 1641; 11e édit., 1652; 12e édit., 1664; 13e édit., 1685. Traduite en latin par Jean Haultin, et publiées par les soins de Jacques Guillemeau, 1582; réimprimées à Francfort, 1594; trad. en anglais sur l’édition latine. London, 1678. En 1840-1841, Malgaigne a donné une (…) édition des œuvres de Paré, en 3 volumes grand in-8o, avec une savante introduction, des notes et des planches.
A. Chéreau, article «Ambroise Paré», dans: Amédée Dechambre (dir.); Louis Hahn (secrétaire de la rédaction, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Deuxième série. Tome vingt et unième (Par-Pea), Paris, G. Masson , P. Asselin, 1885, p. 127-136