Adulation

Il y a une basse flatterie, c'est la flagornerie. Il y a une haute flatterie, c'est l'adulation. (J.D.) «Adulation, précise Littré, diffère de flatterie, parce que le premier appartient au langage relevé et le second est de l'usage commun.» Langage relevé peut-être mais pour désigner une chose que le Trésor de la langue française associe à la bassesse et à l'avilisssement. : «adulation, employé concurremment avec flatterie (ex. 3), entre dans le champ de tout ce qui est bas et faux : avilissement (ex. 1), lâcheté (ex. 2), servitude (ex. 4); »

«Cependant, d'une manière générale, ce nom est donné à tous ceux qui dépassent la juste mesure par des paroles ou des actes de complaisance dans la vie de société. »

THOMAS D'AQUIN, Somme Théologique, Question 15.

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Flatterie

«Louange fausse et exagérée adressée à quelqu'un; attention intéressée, geste, acte visant à gagner la faveur de quelqu'un.» Trésor de la langue françaiseLe flatteur selon Théophraste«Conformément à l'usage, les crochets droits [ ] indiquent une suppression de texte suggérée par l'éditeur, de même que les crochets obliques < > proposent un ajout...» Suite de la note liminaire.(1)...

Essentiel

«Nous avons dit que l'affabilité, bien que son principal objet soit de faire plaisir à ceux qui vivent avec nous, ne craint pas cependant de leur faire de la peine, quand cela est nécessaire pour procurer un bien ou écarter un mal. Dès lors, chercher à toujours faire plaisir, c'est dépasser la mesure et pécher par excès. Celui qui n'a en cela d'autre intention que de plaire, Aristote l'appelle "complaisant" ; celui qui a l'intention d'y trouver son avantage est à proprement parler "flatteur" ou "adulateur". Cependant, d'une manière générale, ce nom est donné à tous ceux qui dépassent la juste mesure par des paroles ou des actes de complaisance dans la vie de société. »

THOMAS D'AQUIN, Somme théologique, Question 15.

Enjeux

Voici une page de sa biographie de Hugo, où Léon Daudet montre les effets de l’adulation sur Napoléon, Hugo et Pasteur.

«Juliette Drouet, en se donnant corps et âme à Victor Hugo, l'avait empêché de se tuer quand il connut la double trahison de sa femme et de son ami. En revanche, elle lui rendit le mauvais service de l'adulation à jet continu. Elle le persuada, en des milliers de lettres quotidiennes, qu'il était plus qu'un homme, un génie, c'est à dire un demi-dieu; que rien ne pouvait échapper à sa compréhension et que, comme tel, il avait tous les droits. Les droits illimités du génie, formule qui, avec le dogme du progrès indéfini, et celui de la science toujours bienfaisante, va dominer toute une époque.»

Suivent quelques réflexions sur le génie se terminant par cette définition que
l’auteur de la Légende des siècles pouvait adopter: «Le génie est une sublimation de la curiosité, une saisie des rapports cachés des choses, une collaboration avec les secrets de la nature. Je pense qu'à cette dernière conception du génie s'était arrêté Hugo, d'où ses appels, souvent magnifiques, aux éléments, dont nous portons le dépôt en nous, avec nos passions et nos instincts. Mais alors que le commun des mortels a pour règle de contenir ces passions et ces instincts, l'homme de génie peut, par destination divine, se donner le luxe de les déchaîner et de les assouvir. Ce qui convient aux autres ne convient pas a lui. Il est, à l'homme de pointure courante, ce que celui-ci est à l'animal.»

Si Victor Hugo avait eu la tentation d’ignorer, ne fût-ce qu’un instant, qu’il était un génie, l’adulation de sa chère Juliette le lui aurait rappelé : «Le contact quotidien d'une lévite exaltée comme Juliette Drouet, qui n'admettait pas la plus légère critique concernant son "Victor" ou l'oeuvre dudit, était bien faite pour entretenir ce formidable "auto-gobisme" dont se plaignait Adèle Hugo et que son amant Sainte-Beuve ne cessait de faire ressortir et de commenter, l'attribuant a une "grossièreté" naturelle. Il y revient sans cesse dans Mes Poisons.

C'est avec beaucoup de raison que les Ordres religieux recommandent et mettent en pratique la vertu d'humilité. Plus la pensée de l'homme s'élève et plus elle doit lui montrer sa petitesse et misère, intellectuelle et morale, qui est liée à sa condition ici-bas.. Fermer l'oreille aux flatteries, quand celles-ci sont disséminées et espacées, est relativement facile. Mais quand celle qui nous verse, chaque nuit, la volupté la plus ardente, et savamment renouvelée, y joint l'éloge hyperbolique, il est bien difficile de repousser la coupe ou brille, sous deux formes, un si beau poison.»

Ainsi rassuré sur lui-même, Victor Hugo pouvait-il refuser plus longtemps d’étendre son génie à la politique : «C'est pourquoi l'auteur d'Hernani voyant monter vers lui l'admiration littéraire, avec les excès d'un temps romantique, envisagea les perspectives de cette popularité que seule peut donner la politique, quand elle flatte les appétits de la foule. Tout ceci apparaît assez clairement dans Ruy Blas ou le personnage central, le héros, convoite une reine prise "dans quelque glu hideuse", et médite une réforme complète de l'État.»

«L'adulation, au XIXe siècle, traitée avant moi de "stupide" par Balzac et par Baudelaire dans leur correspondance, s'est adressée à trois hommes dont le premier fut une calamité, le second une expression lyrique des erreurs, le troisième un bienfait public : Napoléon, Victor Hugo et Pasteur. Elle a faussé les deux premiers, leur faisant croire à leur mission divine, et a laissé intact le troisième, que préservait une foi profonde.»

César et Alexandre avaient été adulés, déifiés même ; saint François et saint Bernard furent admirés et vénérés de toute l’Europe. Ni les premiers, ni les seconds ne furent des vedettes au sens moderne du terme, c’est-à-dire des célébrités en partie fabriquée par les médias. Victor Hugo fut aussi une vedette : «Enfin Juliette et Victor appartenaient l'un et l'autre au monde du théâtre, où l'on attribue de l'importance à la vedette. Juliette dut y renoncer, bien malgré elle, sur l'ordre de son amant jaloux. Lui fut toujours attiré par la scène, l'entrée en scène, la sortie de scène, les applaudissements, les «l'auteur! l'auteur! » avec les trois, quatre, cinq, six rappels. (...) Le désir de la vedette amena toute sa vie Victor Hugo à des démarches intempestives, a des adjurations aux rois et grands de ce monde en faveur de scélérats ou de mabouls

Grâce au nom de la tombe,
Grâce au nom du berceau...

Cela aussi faisait partie du génie, compartiment de la pitié suprême. Hugo n'a-t-il pas répété vingt fois, sous des formes différentes, qu'il n'y a ici-bas que deux sommets : le génie et la bonté. De ces deux sommets, lui l'Incomparable contemplait l'humanité, gisante à ses pieds. Il y a deux choses dans l'homme orgueilleux : le sentiment de sa valeur, sans celui de ses limites; la vanité, qui est l'infatuation ou l'orgueil des imbéciles. L'auteur de William Shakespeare, avec ses prétentions nobiliaires, participait des deux erreurs. Bonaparte, lui, c'était l'homme qui croit qu'il a toujours raison et qui ne permet pas qu'on ne soit pas de son avis. Ce devait être un plaisir des dieux que de le contrecarrer et de lui démontrer ses bévues. Plaisir dont ne se priva pas Talleyrand, ce qui lui valut d'être traité par l'empereur de « merde dans un bas de soie, définition pertinente. Quant à Pasteur, il tenait furieusement a ses vues microbiennes, quelques-unes exactes; d'autres erronées conformément a la maxime de son élève et émule Charles Nicolle : "Le génie ouvre plus de voies fausses que de voies vraies. " »

(J.D.)

Citations tirées de: LÉON DAUDET, La tragique existence de Victor Hugo, Paris, Albin Michel, 1937, p. 82-85.

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