Une passerelle vers le développement
C'est aussi une ville qui a changé de peau, depuis le début des années quatre-vingt. Il faut dire que depuis de nombreuses décennies, il régnait dans cette ville une certaine hégémonie masculine attribuable sans doute à la vie économique locale. C'est là qu'on trouve l'entreprise Forano, par exemple, et de nombreux ateliers de mécanique qui, traditionnellement, embauchent des travailleurs masculins.
Mais voilà qu'au début des années quatre-vingt, une enseignante, militante de l'AFEAS qui a fait sa marque dans l'action sociale, se fait élire échevin au Conseil de ville et, quelques années plus tard, accède à la mairie. C'est un exploit.
Un des premiers gestes de la mairesse Madeleine Dussault, une fois élue, a été de nommer un jeune homme de 25 ans à la direction générale de la ville, lui qui occupait auparavant le poste de directeur des services socio-culturels. Inutile de dire que ces deux événements ont fait du bruit dans Landerneau! Pas autant, cependant que la décision de relier, par une passerelle piétonnière, les propriétés de la ville situées de chaque côté de la rivière qui la traverse en son milieu.
En fait, c'est plutôt la décision de confier la conception et la réalisation de la passerelle au sculpteur Armand Vaillancourt qui a fait jaser. Des photos de certaines oeuvres du célèbre sculpteur ont commencé à circuler sous le manteau. On s'indigna devant la représentation de telle oeuvre achetée par la ville de San Francisco ou de telle autre installée dans un parc de Toronto. Ces assemblages hétéroclites de pièces de métal dressées vers le ciel comme pour contester l'ordre établi blessaient le conformisme tranquille de cette petite ville de province. On imaginait mal comment l'auteur de ces soi-disant sculptures pourrait fabriquer une passerelle qui ne soit pas une horreur visuelle, mais aussi, qu'on pourrait emprunter sans tomber dans la rivière et se rompre les os. Sans parler du prix!
Bref, durant plusieurs semaines, la ville s'est retrouvée sens dessus dessous. Si on peut dire. D'abord, l'élection d'une mairesse, ensuite, la nomination du jeune directeur et maintenant, le sculpteur Vaillancourt? C'en était trop. On s'est rendu, en délégations, à l'Hôtel de ville pour tenter de faire entendre raison à la nouvelle mairesse. Peine perdue. Elle avait rencontré l'artiste, signé le contrat et lui faisait entière confiance.
Avec raison. Dès le début, l'artiste s'est adjoint un ingénieur en structure pour le conseiller. Ils ont conçu une passerelle impressionnante de sobriété, de finesse et d'élégance. Sorte de toile d'araignée formée de tuyaux blancs disposés en losange, version moderne de nos ponts couverts d'autrefois. Les usagers circulent dans la moitié supérieure du losange alors que la partie inférieure fait office de structure portante. Ajourée, la passerelle offre une vue exceptionnelle du site environnant, au grand plaisir des yeux.
Au fur et à mesure que les travaux de construction avançaient, la méfiance des résistants perdait de son mordant et de sa légitimité, faisant place à une sorte de scepticisme bienveillant. Et bientôt une majorité de citoyens et de citoyennes ravis se ralliaient au produit final. Seuls quelques grincheux, toujours les mêmes, chuchote-t-on, trouvaient encore à redire de l'oeuvre du sculpteur.
Tant et si bien que la passerelle Dussault-Vaillancourt est devenue un nouveau symbole d'identification de la ville, à côté de l'érable qui lui servait de signe distinctif depuis plusieurs décennies.
«Sans compter que tout le travail a été réalisé à Plessisville, par des travailleurs d'ici qui ont ainsi profité des retombées directes du contrat. En plus de contribuer activement à l'accroissement du savoir-faire en région» affirmera la mairesse Dussault.
La querelle des anciens et des modernes qui a entouré la construction de la passerelle créée par le sculpteur controversé a bousculé les tabous, enfoncé des barrières, attaqué des interdits, changé des mentalités, secoué des torpeurs, permis l'audace et l'espoir.
Il est certain que la seule intervention d'un Conseil de ville et de son maire ne peut garantir le développement d'une communauté locale. Non plus qu'il ne s'agit là d'une recette applicable dans toutes les localités du Québec. Ce qui paraît certain, c'est que les élus municipaux se révèlent de plus en plus, et un peu partout au Québec, comme des leaders importants du développement local. Ne faut-il pas, et particulièrement à la MRC, leur confier plus de pouvoirs?
Et la culture, dans ce processus? Quand cessera-t-on de l'apprécier comme un bien ou un service que l'on s'offre lorsqu'on a satisfait tous les autres? Alors qu'elle gît au coeur même de toute réalisation humaine.