Nietzsche Réception en France 1874-1891

Laure Verbaere

Réception de Nietzsche en France de 1874 à 1910.

1 Anonyme, "Unzeitgemaesse Betrachtungen von Dr Friedrich Nietzsche, Erstes Stück, David Strauss, der Bekenner und der Schriftsteller", in Revue Critique d'histoire et littérature 39, 26 septembre 1874, p. 206. (1)


Après quelques phrases prélevées dans le "curieux pamphlet", le critique continue : "Il ne peut être question ici de l'analyser, encore moins de l'apprécier. Nous nous bornons à attirer l'attention du public sur cette publication originale, écrite avec une verve extraordinaire". Précise en guise de conclusion : "La critique de M. N., il est bon d'en prévenir, n'est point inspirée par son point de vue théologique, mais, - ce qui fait l'intérêt principal du premier morceau des Considérations inopportunes, - par le point de vue littéraire et philosophique que nous avons indiqué plus haut. M. N. s'est en particulier attaqué au style de Strauss avec la même animosité qu'il montre pour sa doctrine".

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2 Anonyme, "F. Nietzsche. Unzeitgemaesse Betrachtungen. Zweites Stück : Vom Nutzen und Nachtheil der Historie für das Leben", in Revue Critique d'histoire et littérature 46, 14 novembre 1874, p. 318-319. (2)

Contient quelques reproches mais aussi des appréciations encourageantes : "(...) M. N. reprenant pour son compte les vues de Schopenhauer les a développées avec une grande chaleur de passion et une verve originale. Par malheur s'il est disciple de Schopenhauer philosophe, il ne l'est pas de Schopenhauer écrivain. Son style est expressif, sans doute, souvent vigoureux et coloré ; mais il est heurté, incohérent à la fois abstrait et trivial, plein de recherche et de mauvais goût. Cela est fâcheux, car ces défauts rendent difficile la lecture d'un écrit plein de talent, et assurément digne d'être lu et médité, même hors d'Allemagne".

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3 SCHURE Edouard, Le Drame musical, Paris, Perrin, 1875, 2 tomes. (3)

Reprend les idées que Nietzsche a développé en 1872 dans Die Geburt der Tragödie, plus particulièrement l'opposition entre le dionysien et l'apollinien. Cite explicitement deux fois Nietzsche et ses oeuvres (p. 44 et 60).

[A] Richard Wagner à Bayreuth par Frédéric Nietzsche professeur de philologie classique à l'Université de Bâle traduit par Marie Baumgartner avec l'autorisation de l'auteur, Schloss-Chemnitz, Ernest Schmeitzner, libraire-éditeur, 1877, 199 pages, vol. in-16.

Traduction française de Nietzsche, Unzeitgemaesse Betrachtungen. Viertes Stück : Richard Wagner in Bayreuth, Schloss-Chemnitz, Verlag von Ernst Schmeitzner, 1876 (4).

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4 Anonyme, "Une tragédie naturaliste suédoise", {Bulletin. Nouvelles de l'étranger}, in Revue Bleue, tome 48, n˚14, 2 octobre 1891, p. 448.

Compte rendu de Mademoiselle Julie d'Auguste Strindberg. Finit en remarquant que l'auteur médite et développe "les théories nihilistes d'un autre excentrique, le métaphysicien allemand Frédéric Nietsche" (p. 448).


5 WYZEWA Teodor de, "Frédéric Nietsche, le dernier métaphysicien", in Revue bleue 48, 7 novembre 1891, p. 586-592.

Commence par remarquer : "Il y a aujourd'hui en Allemagne, dans les pays scandinaves, en Russie, en Pologne, en Italie et en Angleterre, des hommes à qui leurs compatriotes attribuent du génie, et dont personne, en France, ne connaît même les noms. Je voudrais faire connaître leurs noms, et donner une première idée de leur caractère et du genre de leurs travaux". Il s'empresse d'ajouter : "Mais je serais désolé qu'on prît ces notes pour autre chose que des notes. Je n'ai ni la préparation ni la compétence qu'il faudrait pour des études plus approfondies. Les renseignements que je donnerai seront autant que possible exacts ; je ne puis promettre qu'ils seront complets. Et pour toute appréciation je m'en tiendrai à mes impressions personnelles, méthode qui ne peut aboutir, comme on sait, qu'à des résultats bien précaires".


Présente Nietzsche comme un homme malheureux et un homme malade : "C'est dans un asile d'aliénés qu'il m'aurait fallu aller voir, hurlant sous la douche, étirant ses longs bras, écarquillant ses énormes yeux ronds, et plus pareil encore à un chat de gouttière que lorsque je l'ai rencontré il y a trois ans, l'étonnant Frédéric Nietsche, philosophe, poète et compositeur de musique (...)". Selon Wyzewa, c'est vers trente-cinq ans - soit autour de 1879 - que : "le corps qui le soutenait a commencé à se détraquer. Le malheureux Nietsche s'est vu obligé de quitter sa chaire de l'Université de Bâle. Ses yeux, ses énormes yeux ronds, lui refusaient leur service. Ses nerfs s'irritaient au moindre mouvement. Il était pris d'une espèce de frisson qui hérissait ses cheveux sur sa tête". En un mot, l'oeuvre d'un malade est une œuvre malade, et inversement de sorte que tout l'article de Wyzewa pourrait ainsi se résumer à ces deux phrases : "L'agonie a duré dix ans, jusqu'au jour où le dernier reste de raison s'en est allé ; et c'est pendant ces dix ans d'agonie que Nietzsche a écrit toute son oeuvre philosophique. On ne s'étonnera pas, après cela, de la trouver un peu maladive, un peu malsaine aussi, et profondément triste avec la fausse gaieté d'un mauvais rire nerveux". De rares et maigres détails biographiques : date et lieu de naissance. L'amitié puis la rupture entre Nietzsche et Richard Wagner n'est qu'effleurée dans une brève note infrapaginale. Wyzewa donne quelques indications quant à la formation philologique de Nietzsche et à ses lectures en insistant sur l'influence que la littérature française a exercé sur lui. Enfin, le dernier aspect que Wyzewa se plaît à développer concerne l'appartenance lointaine et comme accidentelle de Nietzsche à l'Allemagne. Il n'hésite pas à écrire : "Aucun écrivain allemand jamais n'a été moins allemand" et encore : "Dans sa figure comme dans son esprit, Nietzsche n'a rien d'allemand".

Prédit à Nietzsche un succès en France comparable à celui qu'il connaît dans les autres pays : "En France, personne ne le connaît ; mais j'ai la certitude que le jour où il y sera connu, son action sera aussi vive, et son renom aussi fort que dans les autres pays". Quant aux raisons de ce succès annoncé, il explique : "Car la jeunesse française, mécontente des dieux qui ont suffi à ses aînés, aspire vers un dieu inconnu ; et personne n'a autant que Nietsche les qualités qui conviennent pour remplir cet office. Il n'est pas impossible que ce singulier personnage prenne chez nous la place que n'ont pas su prendre, malgré notre bonne volonté à le leur offrir, ni Schopenhauer, qui adjoignait à ses paradoxes moraux une métaphysique trop hégélienne, ni Tolstoï, exigeant la mise en pratique immédiate de ses séduisantes théories, ni Ibsen, décidément incapable de préciser ce qu'il nous voulait. Tout ce qui nous a attiré depuis dix ans, tour à tour, vers chacun de ces trois maîtres, on le trouvera chez Nietsche".

Sur cet ensemble d'impressions se greffe une quantité importante de citations très morcelées. Il s'agit le plus souvent de courtes phrases mais aussi de deux aphorismes extraits de Der Wanderer und sein Schatten, l'aphorisme 213 intitulé "Le fanatique de la méfiance et sa caution" et l'aphorisme 84 intitulé "Les prisonniers".

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6 Anonyme, {Bulletin. Nouvelles de l'étranger}, in Revue Bleue 48, n˚23, 5 décembre 1891, p. 740.

Brève : "On a de fâcheuses nouvelles de la santé du philosophe allemand Frédéric Nietsche, enfermé, comme l'on sait, dans un asile d'aliénés de Iena. La paralysie générale dont il est atteint paraît arrivée à son dernier degré".


7 WYZEWA Teodor de, "Un romancier naturaliste allemand. M. Théodore Fontane", {Notes sur les littératures étrangères}, in Revue Bleue 48, n˚24, 12 décembre 1891, p. 751-757.

A propos de l'attribution du prix Schiller : "Et si au lieu d'adjoindre à M. Fontane, pour ce prix, un obscur poète de province, on était allé mettre sur la tête de Frédéric Nietsche, dans sa maison de santé, l'autre moitié de la couronne, c'est vraiment les deux écrivains les plus remarquables, les deux seuls écrivains remarquables de l'Allemagne contemporaine que l'on aurait ainsi désignés à l'admiration de leurs compatriotes" (p. 757).


[a] Nietzsche, "Le Cas Wagner", traduit par Daniel Halévy et Robert Dreyfus, in Société Nouvelle 1, janvier-février 1892, p. 117-147. (5)

Pas d'introduction ni de préface mais deux longues notes des traducteurs qui commentent et contestent le point de vue de Nietzsche (p. 119 et p. 120-121). La première fois, les traducteurs commentent cette phrase : "La musique de Bizet m'apparaît parfaite" (p. 119). Ils posent la question : "L'œuvre et le musicien sont-ils bien choisis pour être opposés comme un idéal nouveau à l'œuvre d'art wagnérienne. Que Bizet soit un excellent musicien et dont la vie brève donnait les plus hautes promesses, c'est certain ; mais Carmen n'est peut-être pas le chef-d’œuvre de Bizet". Soulignent les défauts de Carmen et rappellent que l'opposition entre Wagner et Bizet n'est pas nouvelle avant de regretter clairement : "Certes les wagnériens sont souvent agaçants et ne ressemblent )à leur chef d'école que d'une manière mnémonique, mais peut-être pour l'appui de sa cause et de sa réclamation de philosophe désireux de voir figurer sur les scènes autre chose que l'éternel Wotan, Nietzsche oublie-t-il trop facilement les grimaces en roulades et les entrechats faciles des motifs, qui caractérisent les imitateurs, des créateurs de l'ancien opéra". Remarquent enfin : "Après le triomphe de Wagner en ses efforts de construction de grandes fresques musicales, une réaction devait se produire en faveur d'une musique plus facilement isolable. Cette réaction règne d'ailleurs parmi bien des wagnériens sérieux, ceux par exemple de la jeunesse française" (p. 119).

La seconde note est insérée à la suite de la phrase : "Cette œuvre aussi est rédemptrice" (p. 120) et concerne l'éloge du Midi. Les traducteurs notent : "Il y a évidemment dans la pensée de Nietsche (sic), un peu de confusion entre l'atmosphère du sujet, sa couleur, le talent du musicien et le sujet du poème de Carmen ; aussi croit-on remarquer que l'homme du Nord qui descend dans le Midi éprouve généralement ce besoin d'art plus clair, coloré, mobile. San

Notes

1 Cf. Unzeitgemaesse Betrachtungen. Erstes Stück : David Strauss der Bekenner und Schriftsteller, Leipzig, Verlag von E. W. Fritzsch, 1873. Imprimé par C. G. Naumann, l'ouvrage est tiré à 1000 exemplaires et paraît le 8 août 1873. Il reste 483 exemplaires invendus le 18 octobre 1874 et encore 330 à Pâques 1877 ; cf. W. H. Schaberg, item 23a.

2 Cf. Unzeitgemaesse Betrachtungen. Zweites Stück : Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben, Leipzig, Verlag von E. W. Fritzsch, 1874. Imprimé par C. G. Naumann, l'ouvrage est tiré à 1000 exemplaires et paraît le 22 février 1874. Il reste 778 exemplaires invendus le 18 octobre 1874 et encore 351 le 5 août 1886 ; cf. W. H. Schaberg, item 25a.

3 Le livre paraît en Allemagne sous le titre Das musikalische Drama, traduit en allemand par Hans von Wolzogen, Leipzig, 1877 [Krummel I, 42, p. 32]. Hans von Wolzogen (1848-1938) est un écrivain allemand auteur de nombreux travaux sur l'oeuvre et la vie de Wagner.

4 Cf. Krummel I, V, p. 29. Imprimé par C. G. Naumann à 700 exemplaires, l'ouvrage en allemand paraît le 10 juillet 1876. 800 exemplaires supplémentaires sont imprimés et faussement notés "Zweite Auflage". 768 de ces exemplaires restent invendus le 5 août 1886 ; cf. W. H. Schaberg, item 27. Le livre en français ne connaît également qu'une diffusion très limitée : imprimé par Carl Jahncke (Berlin) à 1000 ou 1100 exemplaires, le livre ne se vend en effet pas bien : il reste 967 exemplaires invendus le 5 août 1886 et encore 880 le 7 octobre 1893 ; cf. W. H. Schaberg, item 28.

5 Première traduction française de Nietzsche, Der Fall Wagner. Ein Musikanten-Problem, Leipzig, Verlag von C. G. Naumann, 1888 [Krummel, I, XVII, p. 70]. Daniel Halévy a probablement travaillé à partir de la seconde édition publiée en octobre 1891 : cf. Nietzsche, Der Fall Wagner. Ein Musikanten-Problem, 2ème édition, Leipzig, C. G. Naumann, 1892 [Krummel, I, XVIIa, p. 102]. Pour cette deuxième édition, l'ouvrage allemand est tiré à 1000 exemplaires et il reste 314 exemplaires invendus le 7 octobre 1893 ; cf. W. H. Schaberg, item 54.

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