L'Encyclopédie sur la mort


Villon François


Né autour de 1431 et décédé après 1463, le poète François, fils Girard de Montcorbier des Loges, mieux connu sous le nom de François Villon en hommage du chapelain G. de Villon, son père adoptif, son «plus que père» et son protecteur. ll nous intéresse plus particulièrement pour son ouvrage poétique intitulé Le grand testament de Villon: ou le petit son codicille: le jargon et les ballades. (Genève, Slatkine Reprints, 1967). Dans ce Testament, l'auteur veut se justifier, surtout s'innocenter du meurtre du prêtre Philippe Sermoise et du vol du Collège de Navarre. Il s'y présente sous les traits d'un homme humble qui ne cherche pas à se venger. Il veut se refaire une reconnaissance sociale en se cherchant des appuis auprès des grands de ce monde, le roi Louis XI. Il désire retrouver une place dans la communauté de Saint-Benoît et dans le coeur de Guillaume de Villon. «Il voulait se prouver à lui-même et prouver aux autres qu'il n'était pas inférieur au poète qu'il avait été et qu'il ne se bornait pas à répéter indéfiniment les mêmes plaisanteries au point et au risque de lasser ses auditeurs ou ses lecteurs.» (Jean Dufournet, Recherches sur le testament de François Villon, (Première série), Faculté des Lettres de Montpellier, Paris, Centre de documentation universitaire, Sorbonne, Paris-V, 1967-1968, p. 35-42).

Bibliographie: Jean Dufournet, Dernières recherches sur Villon, Paris, Honoré Champion, «Bibliothèque du XV° siècle», 2008.

Édition: François Villon, Lais, Testament, Poésies diverses, Ballades en jargon, éd. de Jean-Claude Mühlethaler et Eric Hicks,Paris, Champion, «Champion classiques», 2004.


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Le Grant Testament (Extraits)

CLXIII.
Item, j'ordonne a Saincte-Avoye,
Et non ailleurs, ma sepulture;
Et, affin que chascun me voye,
Non pas en chair, mais en paincture,
Que l'on tire mon estature
D'ancre, s'il ne coustoit trop cher.
De tumbel? Rien; je n'en ay cure,
Car il greveroit le plancher.

CLXIV.
Item, vueil qu'autour de ma fosse
Ce que s'ensuyt, sans autre histoire,
Soit escript, en lettre assez grosse;
Et qui n'auroit point d'escriptoire,
De charbon soit, ou pierre noire,
Sans en rien entamer le plastre:
Au moins sera de moy memoire
Telle qu'il est d'ung bon folastre.

CLXV. (Épitaphe)
CY GIST ET DORT EN CE SOLIER,
QU'AMOUR OCCIST DE SON RAILLON,
UNG POUVRE PETIT ESCOLLIER,
QUI FUT NOMME FRANCOIS VILLON.
ONCQUES DE TERRE N'EUT SILLON.

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Commentaires
Afin de mieux comprendre les versets contenant la célèbre épitaphe, citons Jean Dufournet, «La mort d'un personnage», op. cit., troisième série, p. 19-20:

«Les premiers mots du passage sont susceptibles de plusieurs interprétations, et, ici encore, nous assistons à une sorte de dépassement de l'antiphrase.

1. Les mots sont à prendre d'abord dans leur sens immédiat: il s'agit de l'escolier qui dort dans sa chambre située sous le toit, pièce mise à sa disposition par la communauté de Saint-Benoît ou grenier sans confort où il cherche refuge.

2. Mais la forme occist, comme les passés simples qui suivent, nous invitent à penser qu'il est question de sommeil éternel: le cy gist est devenu la formule de nos cimetières. Dans l'oeuvre du poète, nous avons des exemples de l'un et de l'autre sens de gésir, simple synonyme d'être couché ou prenant une signification funéraire. Dans ce contexte solier rappelle la chapelle de Sainte-Avoie qui se trouvait au premier étage, et où Villon a ordonné qu'on l'enterrât (voir ci-dessus CLXIII).

Toutefois, il est hors de doute qu'il faut conserver les deux sens que nous venons de dégager, en sorte qu'en jaillit un troisième, plus riche. Nous avons affaire à un homme qui dort, qui présente donc les apparences trompeuses de la vie ordinaire, mais qui, en fait, a perdu sa propre réalité, son identité, son statut de clerc, que signalait son nom de François Villon. D'où l'emploi décisif du passé simple: qui fut nommé Françoys Villon. Il n'existe plus que son ombre, son envers, la partie nocturne de son moi, François des Loges (son nom officiel et administratif), le mauvais garçon, réduit à la fuite et à la solitude, un individu rompu et désemparé qui n'a plus d'envie de lutter, même par la création poétique; qui aspire au repos de la mort, et, volontairement, a utilisé le rondeau dont le refrain lui permettait d'exprimer à plusieurs reprises ce souhait; un pauvre hère qui aspire à s'enfoncer dans la nuit et que la nuit va bientôt engloutir.

Bref, à travers ces vers poignants, se profile l'image d'un poète qui s'en va pour ne plus revenir.

[...]

Il n'est plus qu'un corps avili et déchu, comme le marque le mot grossier du dernier vers:

Et de la corde d'une toise
Sçaura mon col que mon cul poise.

Il n'est plus qu'un Françoys (un Français) parmi tant d'autres, dépersonnalisé dans une masse anonyme: c'en est fini de l'unique et séduisant François Villon.»

Ballade ultime aux compagnons d'infortune !

Quand cueillant la menthe et le thym
Tu chantes mes vers en latin
Pour la donzelle et la catin
Qu tu croques en échapins
Sais-tu que failli et grevé
De tout désormais déconfit
En l'essoine tout écaché
M'en suis remis à Jésus christ
Tant fut par poésie navré
Le sais-tu angelot l'erbier ?

Grivelé meurtri de picon
A limite de défaçon
J'ai cheveu gris trogne livide
Estomac creux et bourse vide
Détraîné par gueux et larrons
Comme un ribaud qu'âge côtoie
Je traîne mes plaies et ma croix
Corde de pendu dans les doigts
Sous le gibet de Montfaucon
Le sais-tu Pierre Baubignon ?

On me moque et me montre au doigt
Mêmement un objet d'effroi
Je suis repoussant comme Job
Icelle lors qui se dérobe
Se pâmait jadis en mes bras
Maintenant rit et se désole
Toute prête à clamer au viol
A quémander l'œuvre du guet
A surquérir le châtelet
Le sais-tu Ogier le Danois ?

De la plus vile hôtellerie
Où règne la filouterie
Suçotant le vin du buffet
Que Flore pare de bouquets
Jusqu'à Saint Denis que la vierge
A construit pour qu'on y héberge
Egalement les plaies immondes
Tout claque son huis à seconde
Que ménys mets pied au parvis
Le sais-tu Ambre de Lory ?

Je meurs de n'avoir plus la foi
Qui dit-on lève les montagnes
J'y croyais pourtant autrefois
Comme on croit castel en Espagne
La muse paraissait aimable
Elle honora parfois ma table
Mais ce ne fut que feu de paille
Incendie d'humides broussailles
Elle me saigna jusqu'àux os
Le sais-tu Thomas deTricot ?

Je ne suis d'aucune chorale
Je joue faux cuivres et cymbales
Et nul ne veut d'un escolier
Qui n'a ni muse ni solier
Et prend souvent le mors aux dents
En rédigeant au gré des ans
Pour les pions des écrits roufieux
En mauvais vers pleins de gouailles
Qui n'égaieront que valetaille
Le sais-tu Jehan La canaille ?

Contres* n'ayez pas d'indulgence
Je n'ai point su bourser ma chance
Semblablement à Jésus Christ
Couronné de ronces je suis
Ma ballade quoiqu'il advienne
Ne vaut pas note de pipeau
Ne vaut pas goutte d'eau de Seine
Prenez-la en mauvaise étrenne
Ce n'est qu'harangue à Montpipeau
N'en veut pas le prince de sots**

ENVOI

Amis dont mon cœur se déprend
Je suis par la mort pourchassé
Vostre amitié fut plus qu'un chant
Plus que tout je vous ai aimés
Je vous emporte en mon voyage
Vous serez mon livre d'images
Mes porte-bonheur et la clef
Que Pierre va me demander.

François Villon

smr
*compagnons
**Qui organise les spectacles(soties)

http://lesableausablier.centerblog.net/5546672-Ballade-ultime-de-Francois-Villon-par-SMR



Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Notes

Champion Pierre, François Villon. Sa vie et son temps, 2 vol., Paris, Champion, 1913. (réimpr. 1984).

Desonay Fernand, Villon, Paris, Droz, 1947.

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