L'Encyclopédie sur la mort


Heine Heinrich


Dans l'introduction à sa traduction de Heinrich Heine,
Reisebilder: tableaux de voyage (Paris, Michel Lévy Frères, 1856), Théophile Gautier, raconte d'abord, de façon subtile, la fin de la vie de son ami et termine par une page sublime du Livre de Lazare où le poète allemand crée un dialogue entre l'âme et le corps.

À quelques mois de là, Henri Heine prit le lit pour ne plus le quitter: il reste huit ans cloué sur la croix de la paralysie par les clous de la souffrance. Pendant cette longue agonie, il offrit le phénomène de l'âme vivant sans corps, de l'esprit se passant de matière, la maladie l'avait atténué, émacié, disséqué comme à plaisir, et dans la statue du dieu grec taillait avec la patience minutieuse d'un artiste du moyen âge un Christ décharné jusqu'au squelette, où les nerfs, les tendons, les veines apparaissaient en saillie. Ainsi dépouillé, il est beau encore; et lorsqu'il relevait sa paupière appesantie, une étincelle jaillissait de sa prunelle presque aveugle; le génie ressuscitait cette face morte; Lazare sortait de son caveau pendant quelques minutes: ce spectre qui semblait dans ses linceuls une effigie funèbre couchée sur un monument, trouvait une voix pour causer, pour rire, pour lancer de spirituelles ironies, pour dicter des pages charmantes, pour donner l'essor à des strophes ailées, et, aux jours où la pierre de sa tombe lui meurtrissait plus durement les reins, pour gémir des lamentations aussi tristes que celles de Job sur son fumier. [....]



Terminons par cette page du Livre de Lazare; elle donnera une idée de la manière du poète, qui sait maintenant à quoi s'en tenir sur cette terrible question:

LE CORPS ET L’ÂME
«La pauvre âme dit au corps: Je ne te quitte pas, je reste avec toi, avec toi je veux m’abîmer dans la nuit et la mort, avec toi boire le néant. Tu as toujours été mon second moi, tu m’enveloppais amoureusement comme un vêtement de satin doucement doublé d’hermine… Hélas ! il faut maintenant que, toute nue, toute dépouillée de mon cher corps, un être purement abstrait, je m’en aille errer là-haut, comme un rien bienheureux, dans les royaumes de la lumière, dans ces froids espaces du ciel, où les éternités silencieuses me regardent en bâillant. Elles se traînent là pleines d’ennui et font un claquement insipide avec leurs pantoufles de plomb. Oh ! cela est effroyable; oh ! reste, reste avec moi, mon corps bien-aimé !

Le corps dit à la pauvre âme: Oh ! Console-toi. Ne t’afflige pas ainsi. Nous devons supporter en paix le sort que nous a fait le destin. J’étais la mèche de la lampe, il faut bien que je me consume; toi, l’esprit, tu seras choisi là-haut pour briller, jolie petite étoile, de la clarté la plus pure. Je ne suis qu’une guenille, moi ; je ne suis que matière ; vaine fusée, il faut que je m’évanouisse et que je redevienne ce que j’ai été, — un peu de cendre. Adieu donc, et console-toi. Peut-être d’ailleurs s’amuse-t-on dans le ciel beaucoup plus que tu ne penses. Si tu rencontres la grande ourse dans la voûte des astres, salue-la mille fois de ma part.» (Le livre de Lazare, 1854)

Dans un de ses poèmes, Heine semble faire allusion à l'état presque sépulcral de son corps proche de la mort:

La nuit pesait sur ma paupière;
Ma bouche était close d'un sceau
De plomb; glacé, dans mon suaire,
Je dormais au fond du tombeau.

Pendant combien de temps mon somme

Avait-il duré? qui le sait ?

Un jour, je me réveillai comme

A mon cercueil si l'on frappait.

— « Henri, lève-toi de ta bière :
Tous les morts sont ressuscites,
Et voici que le ciel s'éclaire ,
Du jour de l'immortalité.

— Je ne peux me lever, ma chère ;
Je suis aveugle sans recours ;

J'ai tant pleuré! sous ma paupière.
Mes yeux sont éteints pour toujours.

Iconographie: «Heinrich Heine»
https://mywebspace.wisc.edu/hadler/web/authors/heine300.jpg

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-14

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