L'Encyclopédie sur la mort


Violence, mensonge et courage

Marcelo Perine

Éric Weil (1904 -1977), philosophe français d'origine allemande, en étudiant le devoir fondamental de la justice, conteste l'affirmation de Kant*, son maître de pensée, qui estime absolu le devoir de dire la vérité en toute circonstance. Pour Weil, le mal radical chez l'homme étant la violence, qui est le refus de la raison, le mensonge peut être légitime afin d'éviter que des victimes soient sacrifiées à la violence des assassins, par exemple pendant la guerre*. Le devoir de courage semble absent dans le raisonnement de Kant, car celui-ci aurait pu affirmer qu'il fallait lutter contre l'assassin ou accepter la mort découlant du refus de lui donner l'information qu'il exige. Weil relativise aussi la valeur du sacrifice de la vie: mourir n'est pas nécessairement la plus grande preuve du courage moral. En effet, le devoir de prudence modère nos devoirs de justice et de courage. Il importe de faire un choix raisonnable qui mesure bien le rapport entre la qualité de l'acte que notre maxime nous impose et la responsabilité morale des conséquences de l'acte inspirée par cette même maxime.
Aussi importe-t-il, dans ce contexte, «de dissiper une erreur qui n'est pas moins erreur pour être celle d'un grand philosophe» (E. Weil, Philosophie morale, 1961, p. 113). Weil prend fermement position contre Kant, lorsque celui-ci affirme la nécessité absolue de dire la vérité, quelles que soient les circonstances (E. Kant, Sur un prétendu droit de mentir par humanité, 1967, p. 67-73). On le sait Kant soutient que, interrogé par un assassin, je suis tenu de lui révéler la direction qu'a prise celui qu'il veut tuer. La raison en est qu'en mentant, je ruine, quant à moi le crédit de toutes les déclarations, et par conséquent, prive de force tout droit fondé par un contrat.

[Autrement dit, si je mens, ma parole n'est plus crédible]

Le raisonnement de Kant est insoutenable, et il s'agit d'autre chose que d'une question de sentiment. Selon Éric Weil, «ce qui décide de la question, c'est que l'assassin de l'exemple a rompu le contrat de la non-violence» (op. cit., p. 113). Ayant opté pour la violence, il n'a plus le droit d'exiger quoi que ce soit de ses concitoyens, car la violence a déjà détruit toute légitimité et tout droit. «Il n'y a pas d'obligation envers celui me traite comme pur moyen en vue de l'obtention de ses fins arbitraires» ( op. cit., p.114). En certaines circonstances, il y a non seulement un droit, mais même une obligation de mentir, ce qui n'apporte aucune justification au menteur habituel : «Il faut que, dans chaque cas, ce droit soit établi par recours au seul critère moral, celui de l'universalisation possible» (op. cit.)

Le devoir fondamental de justice donne également naissance au devoir de courage. [...] Le vrai courage moral ne se limite pas à la disposition ou à la décision à affronter la mort, dès que le service de la morale le requiert. L'homme qui affronte la mort n'est pas nécessairement celui qui donne la preuve la plus grande de courage moral. Mourir est, en effet, peu de chose, pour l'être moral, car, «une fois sorti de la vie, il n'est pas seulement débarrassé de tout danger, toute douleur, toute souffrance, il l'est encore de tout problème moral, et en particulier du plus grave de tous, celui de la moralité de la morale concrète sous laquelle il vit et sans laquelle il ne saurait vivre moralement» (op. cit., p. 117).

[...]

Au devoir de justice correspond le devoir de prudence morale, «résumé de tous les devoirs fondés sur la justice et qui détermine la manière de leur accomplissement dans la communauté aussi bien envers celle-ci qu'envers les individus qui la composent» (op. cit., p. 121).

[...]

«Seul l'homme prudent saura ce qu'est d'être juste dans la situation donnée, d'être véridique, d'être courageux, de limiter en lui-même les intérêts et désirs dont il sait ne pouvoir se défaire sans renoncer à toute action morale.» ( op. cit., p, 122).
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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