L'Encyclopédie sur la mort


L'éternité est contre le temps

Jacques André

Membre de l'Association Psychanalytique de France (APF), professeur de psychopathologie à l'Université Paris Diderot, Jacques André est l'auteur des Folies minuscules (Gallimard, «Tracés», 2008) et des 100 mots de la psychanalyse (PUF, «Que sais-je?», 2009. Dans Les désordres du temps (PUF, «Petite bibliothèque de psychanalyse», 2010, il nous fait découvrir «que toute existence n'est pas marquée par la temporalité [...] et que le présent n'est pas donné à tout le monde, on vit sans être là, la vie passe, on passe à côté d'elle.» (Quatrième page de la couverture) L' «après-coup» souligne le décalage entre l'heure où l'événement et l'heure où le sujet s'en rappelle et saisit sa signification.
Est éternel ce qui n'est pas temporel. Fantasme narcissique par excellence, l'éternité, la vie éternelle, affirme un temps hors du temps, un présent continué sans commencement ni fin; surtout sans fin d'ailleurs. Un temps sans coup, sans après-coup. [...]

La mort et l'éternité sont comme recto et verso de la même feuille, ce qui les oppose est ce qui les réunit. Avec le narcissisme*, la mort, la mort-propre, s'introduit en psychanalyse et dans l'inconscient. Tant que le point de vue sur Psyché est oedipien*, il n'y a sur la scène que le meurtre. Le meurtre est la mort d'un autre. La mort, celle qu'invente le narcissisme, est sa mort - celle-là que le suicide, geste narcissique s'il en est, tente de supprimer. Pas plus que le temps n'est une forme a priori de la vie psychique, la mort n'est un donné. L'homme n'est pas un être-pour-la-mort, il le devient - surtout sur le tard, mais parfois aussi d'emblée, c'est le malheur de l'enfant de «remplacement», celui qui naît de la mort du précédent.

Vu de Narcisse, le temps change de nature, il devient le plus primitif des processus. [...] La chose n'est vrai pour Psychè que lorsque Narcisse, devenu maître des lieux, impose au temps la forme même de la contrainte, de la destruction, de la corruption. Le temps fait injure, il est devenu le corps le plus étranger. À l'image de Dorian Gray, le double d'Oscar Wilde*, miné par l'angoisse de voir à chaque instant l'éloigner sans retour de l'icône de sa propre perfection que lui renvoie le portrait, plus miroir ou «source limpide» que tableau. On peut mourir, tel le Narcisse d'Ovide, «victime de ses propres yeux». Consumé par l'amour, «il a perdu son air de santé...». Moi-même, moi m'aime... Le temps, revu et haï par Narcisse, outrage l'identité. Si celle-ci n'est jamais véritablement devenue une notion psychanalytique, c'est que l'analyse s'est surtout attachée à en déceler la nature de fantasme. Identitas, la qualité de ce qui reste le même, l'identité substantielle, est un rêve d'éternité* (op. cit., p. 108-109)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Documents associés

  • Paolo Uccello, peintre
  • Il se nommait vraiment Paolo di Dono; mais les Florentins l'appelèrent Uccelli, ou Paul les...