Dans Le Banquet, Platon* rapporte les conversations animées sur l'amour qui auraient été tenues au banquet donné par le poète Agathon, lorsque celui-ci remporta le prix au concours de la tragédie. On pria Socrate* de faire le récit de ces entretiens. Ce qu'il fit. Or, à ce banquet tel que raconté par Socrate, c'est lui qui parla le dernier et céda volontiers la parole à une invitée étrangère nommée Diotime, qui l'éclaira sur la vraie nature d'Eros. Cette femme sage réussit à convaincre un maître, pourtant très critique, de l'amour de l'immortalité qui anime les héros dans le sacrifice de leur vie, qui motive les hommes de choisir les femmes pour engendrer des enfants assurant ainsi l'avenir de la race ou de la nation, qui inspire les philosophes d'engendrer des fils spirituels poursuivant leur oeuvre. Le désir de l'immortalité est étroitement associé aux représentations de la beauté: aimer de belles femmes, procréer des beaux enfants, créer de la poésie et de belles oeuvres, instruire le beau à des enfants comme héritage spirituel. Grâce à l'amour de la beauté, assure-t- on sa renommée éternelle. Socrate s'identifie tellement à la pensée de son interlocutrice que l'on est en droit de supposer que Platon nous révèle, à travers le profil spirituel de Diotime, la sagesse de Socrate ou sa propre doctrine de l'immortalité.
XXVII. - Après avoir entendu ce discours, je lui dis, plein d'admiration: «C'est bien, très sage Diotime; mais les choses sont-elles bien réellement comme tu le dis? »
Elle reprit sur le ton d'un sophiste accompli: « N'en doute pas, Socrate*. Aussi bien, si tu veux considérer l'ambition des hommes, tu seras surpris de son absurdité, à moins que tu n'aies présent à l'esprit ce que j'ai dit, et que tu ne songes au singulier état où les met le désir de se faire un nom et d'acquérir une gloire d'une éternelle* durée. C'est ce désir, plus encore que l'amour des enfants, qui leur fait braver tous les dangers, dépenser leur fortune, endurer toutes les fatigues et sacrifier* leur vie. Penses-tu, en effet, dit-elle, qu'Alceste* serait morte pour Admète, qu'Achille se serait dévoué à la vengeance de Patrocle ou que votre Codros aurait couru au-devant de la mort pour garder le trône à ses enfants s'ils n'avaient pas pensé laisser de leur courage le souvenir immortel que nous en gardons aujourd'hui? Tant s'en faut, dit-elle, et je ne crois pas me tromper en disant que c'est en vue d'une louange immortelle et d'une renommée comme la leur que tous les hommes se soumettent à tous les sacrifices, et cela d'autant plus volontiers qu'ils sont meilleurs; car c'est l'immortalité* qu'ils aiment.
Et maintenant, continua-t-elle, ceux qui sont féconds selon le corps se tournent de préférence vers les femmes, et c'est leur manière d'aimer que de procréer des enfants, pour s'assurer l'immortalité, la survivance de leur mémoire, le bonheur, pour un avenir qu'ils se figurent éternel. Pour ceux qui sont féconds selon l'esprit ... car il en est, dit-elle, qui sont encore plus féconds d'esprit que de corps pour les choses qu'il convient à l'âme de concevoir et d'enfanter; or que lui convient-il d'enfanter? la sagesse et les autres vertus qui ont précisément pour pères tous les poètes et ceux des artistes qui ont le génie de l'invention. Mais la partie la plus importante et la plus belle de la sagesse, dit-elle, est celle qui a trait au gouvernement des Etats et des familles et qu'on nomme prudence et justice. Quand l'âme d'un homme, dès l'enfance, porte le germe de ces vertus, cet homme divin sent le désir, l'âge venu, de produire et d'enfanter; il va, lui aussi, cherchant partout le beau pour y engendrer; car pour le laid, il n'y engendrera jamais. Pressé de ce désir, il s'attache donc aux beaux corps de préférence aux laids, et s'il y rencontre une âme belle, généreuse et bien née, cette double beauté le séduit entièrement. En présence d'un tel homme, il sent aussitôt affluer les paroles sur la vertu, sur les devoirs et les occupations de l'homme de bien, et il entreprend de l'instruire; et en effet, par le contact et la fréquentation de la beauté, il enfante et engendre les choses dont son âme était grosse depuis longtemps; présent ou absent, il pense à lui et il nourrit en commun avec lui le fruit de leur union. De tels couples sont en communion plus intime et liés d'une amitié plus forte que les père et mère parce qu'ils ont en commun des enfants plus beaux et plus immortels. Il n'est personne qui n'aime mieux se voir de tels enfants que les enfants selon la chair, quand il considère Homère*, Hésiode et les autres grands poètes, qu'il envie d'avoir laissé après eux des rejetons immortels qui leur assurent une gloire et une mémoire immortelles aussi; ou encore, ajouta-t-elle, lorsqu'il se remémore quels enfants Lycurgue a laissés à Lacédémone pour le salut de cette ville et, on peut le dire, de la Grèce tout entière. Solon jouit chez vous de la même gloire, pour avoir donné naissance à vos lois, et d'autres en jouissent en beaucoup d'autres pays, grecs ou barbares, pour avoir produit beaucoup d'œuvres éclatantes et enfanté des vertus de tout genre: maints temples leur ont été consacrés à cause de ces enfants spirituels; personne n'en a obtenu pour des enfants issus d'une femme.
Elle reprit sur le ton d'un sophiste accompli: « N'en doute pas, Socrate*. Aussi bien, si tu veux considérer l'ambition des hommes, tu seras surpris de son absurdité, à moins que tu n'aies présent à l'esprit ce que j'ai dit, et que tu ne songes au singulier état où les met le désir de se faire un nom et d'acquérir une gloire d'une éternelle* durée. C'est ce désir, plus encore que l'amour des enfants, qui leur fait braver tous les dangers, dépenser leur fortune, endurer toutes les fatigues et sacrifier* leur vie. Penses-tu, en effet, dit-elle, qu'Alceste* serait morte pour Admète, qu'Achille se serait dévoué à la vengeance de Patrocle ou que votre Codros aurait couru au-devant de la mort pour garder le trône à ses enfants s'ils n'avaient pas pensé laisser de leur courage le souvenir immortel que nous en gardons aujourd'hui? Tant s'en faut, dit-elle, et je ne crois pas me tromper en disant que c'est en vue d'une louange immortelle et d'une renommée comme la leur que tous les hommes se soumettent à tous les sacrifices, et cela d'autant plus volontiers qu'ils sont meilleurs; car c'est l'immortalité* qu'ils aiment.
Et maintenant, continua-t-elle, ceux qui sont féconds selon le corps se tournent de préférence vers les femmes, et c'est leur manière d'aimer que de procréer des enfants, pour s'assurer l'immortalité, la survivance de leur mémoire, le bonheur, pour un avenir qu'ils se figurent éternel. Pour ceux qui sont féconds selon l'esprit ... car il en est, dit-elle, qui sont encore plus féconds d'esprit que de corps pour les choses qu'il convient à l'âme de concevoir et d'enfanter; or que lui convient-il d'enfanter? la sagesse et les autres vertus qui ont précisément pour pères tous les poètes et ceux des artistes qui ont le génie de l'invention. Mais la partie la plus importante et la plus belle de la sagesse, dit-elle, est celle qui a trait au gouvernement des Etats et des familles et qu'on nomme prudence et justice. Quand l'âme d'un homme, dès l'enfance, porte le germe de ces vertus, cet homme divin sent le désir, l'âge venu, de produire et d'enfanter; il va, lui aussi, cherchant partout le beau pour y engendrer; car pour le laid, il n'y engendrera jamais. Pressé de ce désir, il s'attache donc aux beaux corps de préférence aux laids, et s'il y rencontre une âme belle, généreuse et bien née, cette double beauté le séduit entièrement. En présence d'un tel homme, il sent aussitôt affluer les paroles sur la vertu, sur les devoirs et les occupations de l'homme de bien, et il entreprend de l'instruire; et en effet, par le contact et la fréquentation de la beauté, il enfante et engendre les choses dont son âme était grosse depuis longtemps; présent ou absent, il pense à lui et il nourrit en commun avec lui le fruit de leur union. De tels couples sont en communion plus intime et liés d'une amitié plus forte que les père et mère parce qu'ils ont en commun des enfants plus beaux et plus immortels. Il n'est personne qui n'aime mieux se voir de tels enfants que les enfants selon la chair, quand il considère Homère*, Hésiode et les autres grands poètes, qu'il envie d'avoir laissé après eux des rejetons immortels qui leur assurent une gloire et une mémoire immortelles aussi; ou encore, ajouta-t-elle, lorsqu'il se remémore quels enfants Lycurgue a laissés à Lacédémone pour le salut de cette ville et, on peut le dire, de la Grèce tout entière. Solon jouit chez vous de la même gloire, pour avoir donné naissance à vos lois, et d'autres en jouissent en beaucoup d'autres pays, grecs ou barbares, pour avoir produit beaucoup d'œuvres éclatantes et enfanté des vertus de tout genre: maints temples leur ont été consacrés à cause de ces enfants spirituels; personne n'en a obtenu pour des enfants issus d'une femme.