L'Encyclopédie sur la mort


La terre vaine

Thomas Stearns Eliot

La cruauté d'avril ouvre le premier poème du recueil The Waste Land (La terre vaine), daté 1921-1922. Ce poème est intitulé «The Burial of the Dead» (L'enterrement des morts). «C'est, comme suggère C. Bouix, un avril dédaigneux qui, malgré la souffrance de l'époque, continue de briller; un avril parfaitement sourd à la détresse humaine qui se lève sur notre «déclinante Europe», sur la terre déjà morte de notre expérience au monde.» Cependant, avril évoque aussi «la floraison nouvelle» et «la vie retrouvée», le temps de la renaissance. (L'épreuve de la mort dans l'oeuvre de T.S. Eliot, Geroges Séféris et Yves Bonnefoy, Paris, L'Harmattan, 2009, p. 19-20) Nous reproduisons ci-dessous d'abord quelques extraits de ce premier poème et ensuite des notes publiés dans La terre vaine et autres poèmes, traduits de l'anglais par Pierre Leyris (1976), Paris, Seuil, «Points», 2006, p. 94-97.
L'enterrement des morts

1 Avril est le plus cruel des mois, il engendre
Des lilas qui jaillissent de la terre morte, il mêle
Souvenance et désir, il réveille
Par ses pluies de printemps les racines inertes.

[...]

Quelles racines s'agrippent, quelles branches croissent
20.Parmi les rocailleux débris? O fils de l'homme,
Tu ne peux le dire ni le deviner, ne connaissant
Qu''un amas d'images brisées sur lesquelles frappe le soleil:
23. L'arbre mort n'offre aucun abri, la sauterelle aucun répit,
La roche sèche aucun bruit d'eau. Point d'ombre
Si ce n'est là, dessous ce rocher rouge
(Viens t'abriter à l'ombre de ce rocher rouge)
26. Et je te montrerai quelques chose qui n'est
Ni ton ombre au matin marchant derrière toi.
Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre;
30. Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière.

[...]

60. Cité fantôme
Sous le fauve brouillard d'une aurore hivernale:
La foule s'écoulait sur le Pont de Londres: tant de gens...
63. Qui eût dit que la mort eût défait tant de gens?
Des soupirs s'exhalaient,espacés et rapides,
Et chacun fixait son regard devant ses pas.
S'écoulait, dis-je, à contre-pente, et dévalait King William Street.
Vers où Sainte-Marie Woolnoth comptait les heures
Avec un son éteint au coup final de neuf.
69. Là j'aperçus quelqu'un et le hélai: «Stetson!
70. «Toi qui fus avec moi dans la flotte à Mylae!
«Ce cadavre que tu plantas l'année dernière dans ton jardin,
«As-tu déjà levé? Va-t-il pas fleurir cette année?
«Ou si la gelée blanche a dérangé sa couche?
74. Oh keep the Dog far hence that's friend to men,
«Or with his nails he'll dig it up again!
76. «
Hypocrite lecteur!... mon semblable!... mon frère!...»

Notes

Note pour La terre vaine


Non seulement le titre, mais le plan et, pour une bonne part, le symbolisme accidentel de ce poème ont été suggérés par le livre de Miss Jessie L. Weston sur la légende du Graal: From Ritual to Romance (Cambridge) [...] Je suis également redevable, d'une manière générale à un autre ouvrage d'anthropologie [...]: j'entends Le Rameau d'Or. J'ai mis particulièrement à contribution les volumes Adonis, Attis, Osiris. [...]. (T.S. Eliot)

Notes pour «L'enterrement des morts»

1. Avril, le mois de la renaissance , Cf. Le Voyage des Mages:
«...Cette naissance là
Fut pour nous agonie amère et douloureuse,
Fut comme la Mort, fut notre mort.»

Cf apothanein Thélô -
le souhait de la Sibylle : «je veux mourir»
(Virgile* (Enéide, VI, 260-263) décrit la descente d'Énée aux Enfers accompagné de la sibylle de Cumes. Ce texte aurait suggéré à Dante* l'Enfer de La Divine Comédie. Dans le Dies Irae, David et la Sibylle annoncent le jour de la colère ou le dernier jour qui inspire à la fois douleur et joie. La Sibylle est la figure charnière entre le monde des vivants et le monde des morts. [E. V.])

20. Cf, Ézéchiel, II, 1.

23. Ecclésiaste, XII, 5,

26. Cf. Parzival: «Cette pierre, tout homme l'appelle le Graal...Enfants, le Graal les appelle. À son ombre ils poussent et croissent.

60. Cf. Baudelaire*: «Fourmillante cité, cité pleine de rêves, où le spectre en plein jour raccroche le passant.

63. Cf. Dante, L'Enfer, III, 55-57 et IV, 25-27.

69. [...] Le nom de Stetson n'a pas de significaion particulière: c'est simplement un nom typique d'homme d'affaires. Le chapeau «Stetson» est une marque américaine de coiffures à l'usage des hommes d'affaires respectables.

70. Mylae, 260 avant J. -C., la grande victoire navale des Romains sur les Carthaginois dans la première Guerre Punique.

74. Cf. La complainte dans The White Devil de Webster: «Oh! écarte le Chien, car cet ami de l'homme fouillerait de ses griffes et le déterrerait!»

76. C. Baudelaire, Préface aux Fleurs du Mal.








Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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