L'Encyclopédie sur la mort


Faut-il rétablir la peine de mort ?

André Normandeau

À la lumière des événements terroristes de Paris, de New York, de Moscou et Beslam, de Madrid, de Londres et...d'ailleurs, l'auteur se pose la question : faut-il rétablir la peine de mort? La question de fond des législateurs et du grand public est celle du droit pénal et de la criminologie classiques. Y aurait-il un effet dissuasif, un effet intimidant, un effet préventif, un effet deterrence, selon l'expression anglo-saxonne, de la peine de mort: autant au niveau général comme message à la population et à un meurtrier potentiel et virtuel qu'au niveau spécifique comme message au meurtrier lui-même en le neutralisant et l'éliminant pour toujours afin d'éviter la récidive? Et si la peine de mort était rétablie, ne serait-ce que pour les meurtriers de type terroriste?

INTRODUCTION
De tout temps, pour autant que je me souvienne de ma jeunesse collégiale et universitaire, j'ai toujours été opposé à la peine de mort, avec conviction profonde et militantisme affiché. D'ailleurs, mes premiers articles, de type «vulgarisation» pour le grand public, étaient déjà sur ce thème (Normandeau,1965). Mes premiers articles «scientifiques», également, publiés dans la Revue (belge) de droit pénal et de criminologie (Normandeau, 1966, 1967), la Revue (française) de science criminelle et de droit pénal comparé (Normandeau,1967) ou le Journal (américain) of Criminal Law, Criminology and Police Science (1970). Par la suite, de façon régulière, j'ai repris le flambeau des abolitionnistes. D'abord par mon action politique et sociale: j'ai milité, par exemple, dans un parti politique, le Parti Québécois, où j'ai à maintes reprises rédigé ou co-rédigé le programme «Justice» du parti, y compris évidemment la proposition abolitionniste au moment où la peine de mort n'était pas encore abolie au Canada (la peine de mort a été abolie en 1976). Ensuite par mes écrits, tout le long de ma vie professionnelle, dans les journaux quotidiens, les revues populaires et les revues scientifiques, ainsi que par mes entrevues à la radio et à la télévision.

Cet activisme au long cours s'explique en partie, évidemment, par la proximité, en ce qui me concerne, moi Québécois et Canadien, des États-Unis d'Amérique dont 38 des 50 États, ainsi que le gouvernement fédéral et l'autorité militaire, ont conservé jusqu'ici la peine de mort dans leurs codes pénaux, de jure mais aussi de facto: on «éxécute» vraiment à chaque année plusieurs Américains. Les Etats-Unis sont d'ailleurs le seul pays, avec l'Australie, à laisser ses États constituants maître d'œuvre d'un code pénal régional distinct du code national, y compris la décision de retenir ou d'abolir la peine de mort sur leur territoire. C'est ainsi que 12 États américains (sur les 50) ont aboli la peine de mort, dont certains l'ont fait déjà au XIX° siècle, tel l'État du Michigan (ville principale: Détroit) qui l'a abolie en 1846. Il ne faut donc pas généraliser la situation à l'ensemble des États-Unis lorsque l'on parle de la peine de mort «en action».
Une autre raison probable de mon activisme abolitionniste est liée au fait que j'ai travaillé pendant cinq ans avec le criminologue du XX° siècle le plus influent et le plus créatif sur ce sujet de la peine de mort. Je veux nommer le professeur Thorsten Sellin (1896-1994), de l'Université de la Pennsylvanie à Philadelphie, qui, avec Edwin Sutherland (1883-1950), de l'Université de Chicago, est sûrement l'une des deux ou trois figures de proue de la criminologie nord-américaine du XX° siècle. Il a également travaillé de près avec des pionniers européens de la trempe de Marc Ancel (1902-1990), dans le sillon de la célèbre doctrine de «La défense sociale nouvelle» (1954). Certes, Thorsten Sellin avait d'autres cordes criminologiques à son arc. Il est connu pour ses travaux historiques originaux sur les pionniers de la pénologie du XV° au XX siècles (en Europe comme en Amérique du Nord), ses études (et son implication communautaire) sur les prisons contemporaines, ses recherches sur les indices statistiques de la criminalité ou sur les cohortes de jeunes délinquants (avec le réputé criminologue Marvin Wolfgang, 1924-1998, de la même université). Mais, au-delà de ces travaux importants, son nom est vraiment associé aux études sur la peine de mort aux États-Unis, dès les années 1950 jusqu'aux années 1980, soit 30 ans de recherches méticuleuses sur le sujet (Sellin, 1959, 1960, 1967, 1979, 1980, 1981). Il a contribué de façon marquante à la remise en question de l'effet intimidant de la peine de mort par un éclairage empirique rigoureux sur ce thème qui, jusqu'alors, l'avait surtout été sur les plans de la politique, de la philosophie, du droit pénal et de la religion. Je reviendrai donc, il va de soi, aux études de Thorsten Sellin dans la suite de cet article.

LA QUESTION DU JOUR?
La question du jour: à la lumière de certains événements terroristes bien connus de la dernière décennie, faut-il rétablir la peine de mort dans les pays occidentaux qui, tous, à l'exception des États-Unis (38 États sur 50, et le gouvernement fédéral), ont aboli la peine de mort dans la deuxième moitié du XX° siècle? Comme le dirait le dramaturge William Shakespeare, That is the question! C'est effectivement une question qui ne se posait plus depuis plusieurs années au Canada (malgré l'affaire Bernardo-Homolka?), comme en Belgique (malgré l'affaire Dutroux?), comme en France (malgré quelques affaires célèbres de pédophilie?) et ailleurs en Europe, mais qui refait surface à la lumière précisément des événements terroristes dans les transports publics de Londres le 7 juillet 2005, en prolongement d'événements non moins dramatiques à Madrid (2004), à Beslam (2004) et Moscou (2003), à New-York et Washington (le fameux 11 septembre 2001), à Paris (1995), à titre d'exemples.

La question de fond des législateurs et du grand public est celle du droit pénal et de la criminologie classiques. Y aurait-il un effet dissuasif, un effet intimidant, un effet préventif, un effet deterrence, selon l'expression anglo-saxonne, de la peine de mort: autant au niveau général comme message à la population et à un meurtrier potentiel et virtuel qu'au niveau spécifique comme message au meurtrier lui-même en le neutralisant et l'éliminant pour toujours afin d'éviter la récidive? Et si la peine de mort était rétablie, ne serait-ce que pour les meurtriers de type terroriste? Qu'en dites-vous? Certes, les trois autres objectifs traditionnels de la peine, de la sanction pénale, peuvent être soulevés, à savoir:

1. Pour «punir» (rétribution) le terroriste, sinon pour se venger
(«Oeil pour oeil, dent pour dent»), la peine de mort est sûrement la punition suprême;
2. Pour «neutraliser» (incapacitation, selon l'expression anglo-saxonne) le terroriste, puisqu'en l'éliminant par la peine de mort plutôt que par l'emprisonnement on s'assure évidemment d'une non récidive;
3. Pour «réhabiliter», pour réinsérer socialement le terroriste: ce troisième objectif ne s'applique pas, cela va de soi, à la peine de mort, mais aux solutions de rechange à la peine de mort de type emprisonnement à long terme.

Le quatrième objectif de la sanction pénale (incidemment il n'y a pas d'ordre de préséance des objectifs et ce quatrième pourrait être le premier), le quatrième donc, celui de la dissuasion, est clairement la vraie question juridique et criminologique à laquelle, une fois de plus, il nous faut répondre en ces temps difficiles pour les démocraties modernes. C'est sur cette question, d'ailleurs, que la contribution scientifique des criminologues s'est le plus distinguée depuis le milieu du XX° siècle et les travaux de pionnier du criminologue américain d'origine suédoise Thorsten Sellin, professeur de sociologie et de criminologie de l'Université de la Pennsylvanie à Philadelphie, de 1925 à 1980, et Président de la Société internationale de criminologie (dont le siège social est à Paris) dans les années 1950. Cette tradition scientifique de la criminologie s'est manifestée encore récemment lors d'une des quatre réunions plénières du quatorzième Congrès mondial de criminologie, sous l'égide de la Société internationale de criminologie, qui s'est tenue pour la première fois aux États-Unis, soit précisément à l'Université de la Pennsylvanie à Philadelphie, du 7 au 12 août 2005. Le professeur Thorsten Sellin, décédé en 1994, en aurait été enchanté, lui qui y a travaillé pendant plus de 50 ans! Le thème de cette plénière sur la peine de mort était alimenté par la conférence du sociologue et criminologue américain bien connu, autrefois de l'Université de Chicago et maintenant professeur à l'Université de la Californie à Berkeley et San Francisco, Franklin Zimring. Le titre de sa conférence était significatif: «Capital Punishment and Mass Imprisonment: Does American Exceptionalism have a Future?» (La peine capitale et l'emprisonnement massif: y-a-t-il un avenir pour l'exception américaine?).

DE QUELQUES STATISTIQUES SUR LA SITUATION AMÉRICAINE EN MATIÈRE DE PEINE DE MORT

Avant d'examiner de nouveau l'état des travaux américains sur la dissuasion et l'effet intimidant de la peine de mort, il est utile de rappeler quelques éléments de la situation des États-Unis en matière d'exécution de facto au cours des dernières années. Depuis la première exécution officielle aux États-Unis, soit depuis 1608, on estime que 19 455 Américains ont été exécutés. Depuis 1930, 4 744 exécutions, en particulier au Texas (610), en Georgie (400) et à New-York (329). Depuis 1975, 1 047 exécutions, surtout au Texas (376), en Virginie (97) et en Oklahoma (83). Plus près de nous, depuis l'an 2000 jusqu'à l'automne 2007, 501 exécutions, soit: 85 en 2000, 66 en 2001, 71 en 2002, 65 en 2003, 59 en 2004, 60 en 2005, 53 en 2006 et 42 jusqu'ici en 2007 (au 1er octobre 2007). Prenons l'année 2004 à titre d'exemple pour quelques statistiques intéressantes. En effet, 12 États non abolitionnistes (sur les 38) ont exécuté 59 Américains: tous des hommes, aucune femme. Trois de ces États ont exécuté 60 pour cent des condamnés: le Texas (23), l'Ohio (7) et l'Oklahoma (6). L'injection létale a été utilisée lors de 58 des 59 exécutions (et l'autre sous forme d'électrocution). Des personnes exécutées, 39 étaient des Blancs, 19 des Noirs et 1 était d'origine asiatique. Ceux qui ont été exécutés l'ont été après une attente en moyenne de 10 ans et 11 mois dans le couloir de la mort, compte tenu des appels de sentence et des délais administratifs. Soulignons que 3 374 autres prisonniers ayant eu la sentence de la peine de mort sont toujours dans ce «couloir», en particulier en Californie (629), au Texas (453) et en Floride (364). De ces prisonniers toujours en attente, 44 pour cent sont des Blancs non hispaniques, 12 pour cent des Blancs hispaniques, 42 pour cent sont des Noirs, 1 pour cent sont d'origine asiatique et 1 pour cent sont Amérindiens. Au total, les hommes en attente représentent plus de 98 pour cent et les femmes moins de 2 pour cent seulement (57 sur 3 374).

Nommez-moi un autre phénomène social où la différence entre les hommes et les femmes est aussi contrastée? Et la discrimination entre les Blancs et les Noirs, alors, qu'en dites-vous?En effet, la population des États-Unis d'Amérique, au 1er juillet 2007, est estimée à 300 millions d'Américains. Les Blancs non hispaniques constituent 67 pour cent de la population, soit autour de 200 millions; les Blancs hispaniques, 14 pour cent, soit 42 millions; les Noirs, 13 pour cent, soit 39 millions; les Asiatiques, 5 pour cent, soit 15 millions; les Amérindiens, 1 pour cent, soit 3 millions. Or, toutes proportions gardées, les Blancs non hispaniques en attente de la peine de mort sont largement sous- représentés (67% de la population vs 44% dans le "couloir" de la mort); les Blancs hispaniques presque pas (14% vs 12%); les Noirs sont largement surreprésentés (13% vs 42%); les Asiatiques largement sous-représentés (5% vs 1%); et les Amérindiens à égalité (1% vs 1%). Les Noirs en attente de leur exécution sont donc plus de 3 fois plus nombreux que leur proportion dans la population générale. Discrimination raciale? Discrimination socio-économique? Il s'agit là d'une autre question qu'il faudra traiter ailleurs qu'ici. Il s'agit d'un autre débat (Wilbanks, 1987)!

Par ailleurs, mentionnons un mot ou deux sur les coûts financiers de la peine de mort ainsi que sur l'opinion publique américaine à ce sujet. Les coûts sont impressionnants: des études minutieuses ont démontré que la présence légale de la peine de mort, avec tous les appels de sentence et les délais, coûte, selon les États, de 1,5 million à 2,15 millions de dollars américains par personne exécutée (entre l'arrestation et l'exécution), alors qu'un emprisonnement à vie coûte près de 1 million (seulement!). En Floride, par exemple, la peine de mort coûte 51 millions par année de plus que si les condamnés étaient emprisonnés à perpétuité pendant 40 ans. En Californie, le déficit comparable est de 91 millions par année. Ne serait-ce que par l'importance de ces coûts, est-il possible qu'un jour l'opinion des législateurs et l'opinion publique deviennent abolitionnistes, à contrecœur? Cette opinion publique, d'ailleurs, est fluctuante, avec des hauts et des bas surprenants. C'est ainsi que depuis 1936, avec les premiers sondages sur le sujet, l'opinion se retrouve sur une courbe en U. En effet, en 1936, 61% des Américains étaient favorables à la peine de mort; en 1966, seulement 42% y étaient favorables, le pourcentage le plus bas de tous les sondages (surprenant, non?); actuellement, en 2007, 65% y sont favorables, après une remontée de 42% (1966) à 81% en 2001, l'année des attentats terroristes du 11 septembre au World Tarde Centre de New York et au Pentagone de Washington, D.C.

Soulignons que cette opinion publique mérite quelques nuances. Ainsi, lorsqu'il s'agit de mineurs meurtriers (moins de 18 ans au moment de l'homicide) ou de meurtriers atteints de problèmes graves de santé mentale, cette opinion devient défavorable à la peine de mort pour ces clientèles, à hauteur de 70%. De plus, si la peine de mort était remplacée par un emprisonnement vraiment ferme pour la vie, l'opinion se partage alors à 50%-50%. De plus, plusieurs cas récents de condamnés à mort en attente d'exécution ont été remis en liberté, ou la sentence a été commuée en emprisonnement ordinaire, grâce à l'utilisation des tests d'ADN. Il y a eu 125 cas de cette nature aux États-Unis depuis 1990. De sorte que 94% des Américains croient dorénavant que certaines personnes déjà exécutées étaient en fait innocentes. Cette perspective devrait normalement amener automatiquement l'utilisation des tests d'ADN pour toutes les accusations d'homicide et autres crimes sérieux comme l'agression sexuelle; ce qui est loin d'être le cas actuellement puisque seulement 10 États sur les 50 ont accepté de généraliser l'utilisation de ces tests. Cette généralisation réduirait évidemment les erreurs judiciaires et le nombre de condamnés innocents. Tout compte fait, l'opinion publique américaine pourrait-elle se situer à nouveau en dessous de la ligne de 50%, comme en 1966 (soit 42% seulement, à l'époque)? À la lumière de l'histoire, ce n'est pas impossible, dépendant des facteurs en jeu: la situation socio-économique, les taux annuels des homicides et de la violence en général; les événements liés au terrorisme national et international; l'opinion de certains chefs, tels le Président des États-Unis, les Gouverneurs des 50 États, les maires et les autres élus politiques, ainsi que d'autres dirigeants non politiques. L'avenir nous le dira!

LA CONTRIBUTION DE LA CRIMINOLOGIE:
LA RECHERCHE EMPIRIQUE SUR LA DISSUASION ET L'EFFET INTIMIDANT DE LA PEINE DE MORT

Pour la première fois depuis 40 ans, je me suis demandé ces derniers mois s'il fallait rétablir la peine de mort au moins pour les terroristes meurtriers de la mouvance islamique dite radicale ou pour tout autre terroriste qui tue des civils innocents, quelle que soit la religion ou l'idéologie, d'ailleurs. Je me suis posé cette question comme bien d'autres citoyens (et même bien d'autres juristes et criminologues). Après de tels actes, momentanément, pendant quelques heures au moins, je développe un haut-le-coeur et une révolte de citoyen (et, quelquefois, de criminologue), qui m'incite à "penser peine de mort" pour de tels actes "barbares" et "affreux" (et oui, un criminologue a aussi des émotions!). Cette réaction est normale, à mon avis, pour moi comme pour d'autres citoyens habituellement opposés à la peine de mort. Toutefois, notre position de principe nous empêche de succomber à la tentation de tout remettre en question, sous le coup d'une émotion par ailleurs fort compréhensible. C'est ainsi que, après mûres réflexions, je suis demeuré fidèle aux convictions de ma jeunesse et de ma discipline criminologique, même si je réprouve au plus haut point le terrorisme aveugle et fanatique des dernières années. Voici, essentiellement, pourquoi je maintiens toujours cette position abolitionniste, en puisant de façon succincte dans la littérature scientifique sur l'évaluation de la dissuasion pénale de la peine de mort.
Lorsque nous parlons de dissuasion générale, nous faisons l'hypothèse que la peine de mort prévient l'homicide par le message qu'elle envoie aux citoyens (et à un meurtrier potentiel et virtuel), à savoir: «Si tu commets un meurtre, tu seras puni par le châtiment suprême et ta vie te sera retirée; donc, cela n'en vaut pas la peine, mieux vaut t'en abstenir...». Que dit la recherche criminologique nord-américaine au sujet de cette hypothèse? Les premières études sont celles précisément du professeur Thorsten Sellin (1959,1960,1967,1979,1980,1981), qui a comparé les États américains avec ou sans la peine de mort de 1920 à 1963, en utilisant les statistiques de l'homicide aux trois niveaux suivants: a) le nombre, par 100,000 habitants, d'homicides envers la population en général; b) le nombre de policiers tués; c) le nombre de surveillants de prison tués. Les comparaisons entre les États ont été faites en tenant compte des caractéristiques socio-économiques de chacun des États.
Sellin ne trouve alors aucune différence significative entre les États non abolitionnistes et les États abolitionnistes. Par exemple, le taux d'homicides du Michigan (sans la peine de mort), par rapport à l'Indiana (avec) et à l'Ohio (avec), est exactement le même, à savoir: 3.5 homicides par 100,000 habitants. Les taux entre le Minnesota (sans), le Wisconsin (sans) et l'Iowa (avec) n'indiquent pas de différences notables, soit 1.4, 1.2 et 1.4. Même constat pour le Rhode Island (sans), le Massachusetts (avec) et le Connecticut (avec), soit 1.3, 1.2 et 1.7; ou le Maine (sans), le New Hampshire (avec) et le Vermont (avec), soit 1.0, 0.9 et 1.0. À l'occasion, l'État abolitionniste a même moins d'homicides, de façon significative, tel le Nord Dakota (sans) versus le Sud Dakota (avec) et le Nebraska (avec), soit 1.0, 1.5 et 1.8, respectivement. En ce qui concerne les policiers tués, ceux-ci ne sont pas mieux protégés par la présence de la peine de mort. Les comparaisons de 1919 à 1954 indiquent que le taux de policiers tués dans les États abolitionnistes était de 1.2 alors qu'il était de 1.3 dans les États non abolitionnistes. Même évidence pour les années 1961 à 1963 puisque le taux est absolument semblable: 1.3. En ce qui concerne les surveillants de prison tués, Sellin utilise l'année 1965; il constate que tous les surveillants tués l'ont été dans les seuls États non abolitionnistes. Une étude subséquente (Wolfson, 1982) constate également que tous les surveillants tués, sauf un, l'ont été dans les États abolitionnistes.

Un deuxième type de recherche criminologique a comparé les taux d'homicides avant et après l'abolition de la peine de mort dans les États américains abolitionnistes. Si la dissuasion existe, il est évident que les taux seront supérieurs après l'abolition. Or, il n'y a pas de différence significative si l'on analyse les données des 12 États américains abolitionnistes (Bailey, 1998). Une comparaison de plusieurs pays abolitionnistes en arrive à des résultats non significatifs, car contradictoires (Archer, Gartner et Beittel,1983), avec des données avant et après d'un (1) an et de cinq (5) ans dans une douzaine de pays. Les taux après diminuent ou augmentent selon les pays, mais il y a plus de pays où les taux ont diminué. Évidemment, ce genre de comparaisons globales est sujet à caution puisque plusieurs variables socio-économiques ne sont pas contrôlées car ces variables sont complexes et difficiles à mesurer.
Le troisième volet de la recherche sur l'effet intimidant de la peine de mort concerne les tendances des taux à court terme, à la suite d'événements dramatiques hautement médiatisés. Toutes proportions gardées, les taux d'homicides devraient normalement diminuer sensiblement après une exécution notable. Or, ce n'est pas le cas. Certes, dans quelques cas, un certain effet de dissuasion à court terme a été enregistré, mais cet effet ne s'est pas poursuivi à moyen et long terme (Bailey et Peterson, 1989).

Somme toute, aucune des études précédentes ne nous permet de conclure à l'effet intimidant général de la peine de mort. Cependant, en toute objectivité scientifique, une exception importante doit être soulignée. Il s'agit des études d'un économiste américain bien connu, Isaac Ehrlich (1975,1977,1982). L'auteur utilise une technique statistique sophistiquée, l'analyse de régression multiple, pour examiner plusieurs variables liées à l'homicide pour les années 1933 à 1969: les taux d'arrestations et de condamnations pour homicides, les indices sur l'emploi et le chômage, les revenus par habitant, les pyramides d'âge de la population. Sa variable principale est le risque d'exécution, mesuré par le nombre d'exécutions par rapport au nombre de condamnations. Sa conclusion «coup de poing» a fait le tour du monde des criminologues et des législateurs: «Une exécution additionnelle par année prévient sept ou huit homicides». Évidemment, une telle conclusion a été immédiatement utilisée par les personnes favorables à la peine de mort, ainsi que dans plusieurs décisions judiciaires américaines «populaires», telles Fowler v. North Carolina (1976) ou Gregg v. Georgia (1976). Toutefois, plusieurs recherches subséquentes ont critiqué sévèrement les fautes méthodologiques des recherches économiques de ce genre. Par exemple (Peterson et Bailey, 1998):
1. Qu’Ehrlich a oublié de comparer l'efficacité de la peine de mort avec celle de l'emprisonnement à long terme pour les meurtriers;
2. Que son modèle statistique a mis de côté, sans justifications satisfaisantes, des périodes de temps qui auraient affaibli sa démonstration;
3. Qu'il a utilisé des taux nationaux agrégés aux dépens de taux régionaux qui auraient donné des résultats différents;
4. Qu'il n'a pas tenu compte de variables, certes difficiles à mesurer mais néanmoins probablement fort pertinentes, comme les problèmes raciaux, le conflit du Vietnam, la révolution sexuelle, les ventes d'armes à feu, la disponibilité de soins médicaux d'urgence de plus grande qualité qui ont contribué à diminuer les taux d'homicides.
La critique la plus dévastatrice des études d'Ehrlich est venue d'un comité scientifique renommé, celui du National Academy of Sciences (voir Zimring et Hawkins, 1986). L'Academy concluait ainsi: «Il n'y a pas de preuves, dans les études d'Ehrlich et des autres économistes, ni évidentes ni utiles, sur l'effet intimidant de la peine de mort. Leurs preuves sont inadéquates et ne peuvent servir de conclusions substantielles» (p. 180). Ajoutons à ce constat une méta-analyse rigoureuse de William Bailey (1998) des études empiriques sur la peine de mort à partir de plusieurs comparaisons:
1. L'exécution versus l'emprisonnement de longue durée;
2. Le rôle de la célérité dans l'exécution par rapport à de longs délais avant l'exécution;
3. L'étude comparative systématique de plusieurs États abolitionnistes versus non abolitionnistes «avant» et «après»;
4. Le poids de la publicité dans les médias au sujet des exécutions.
La conclusion de Bailey: aucune des études analysées en arrive à prouver de façon statistique un effet intimidant significatif.

Finalement, mais non de moindre importance, soulignons les études de Franklin Zimring dont nous avons déjà mentionné les travaux. Son livre (2003) et sa conférence au 14 ° Congrès mondial de criminologie à Philadelphie (2005) confirment qu'il est devenu le spécialiste des études empiriques sur l'effet intimidant de la peine, autant la peine de mort que l'ensemble des autres sanctions pénales. Il est probablement aujourd'hui le spécialiste le plus qualifié en matière de recherche évaluative sur le sujet. Dans son livre, Franklin Zimring se livre à une méta-analyse systématique des études anglo-saxonnes sur la peine de mort de 1950 à l'an 2000. Sa conclusion scientifique est claire et nette: sauf exception, il n'y a pas d'effet dissuasif en ce qui concerne la peine de mort, dû à des variables liées: a) à la passion et aux émotions, comme dans les cas de meurtres conjugaux et familiaux ou d'agressions spontanées suite à une querelle d'amis ou d'étrangers; b) à l'idéologie «aveugle» découlant de certaines interprétations religieuses, politiques, socio-économiques ou culturelles. Ces criminels sont persuadés que leurs idées méritent tous les sacrifices, y compris, à l'occasion, le sacrifice de leur propre vie; c) soit au calcul même relativement rationnel de type crime organisé: ces criminels sont persuadés qu'ils ne se feront pas arrêtés; et si c'était le cas, qu'ils seront défendus par les «meilleurs» avocats et ainsi trouvés non coupables.

Dans sa conférence en août 2005, Franklin Zimring a fait un exercice de prévision sur la situation américaine. Il a parlé de «l'exceptionnalisme américain», de la «préférence américaine», non seulement sur la peine de mort mais également sur l'emprisonnement. Parmi les pays dits démocratiques, les États-Unis sont en effet «exceptionnellement» différents des autres: a) seul pays démocratique en Occident à promouvoir encore la peine de mort (du moins dans 38 des 50 États, ainsi que le gouvernement fédéral) en exécutant bon an mal an de 50 à 100 Américains; b) seul pays occidental également avec un taux d'emprisonnement aussi élevé, de l'ordre de 750 par 100,000 habitants, par rapport à une moyenne de 100 à 150 partout ailleurs. Quelle différence! Quel décalage! Quel exceptionnalisme! Quelle préférence! À partir de ce constat, Franklin Zimring en tire une série de conclusions fort intéressantes:
1. Les États-Unis se retrouvent et se retrouveront encore davantage isolés en Occident sur ces deux fronts;
2. Les États-Unis sont et seront encore plus vulnérables aux critiques sociales et pénales de l'Organisation des Nations-Unis (ONU), ainsi que des pays démocratiques en particulier;
3. Les États-Unis ont déjà perdu et perdront davantage toute autorité morale, comme ils ont perdu par le passé cette autorité, compte tenu de leur histoire d'esclavage et de racisme envers les Noirs. Franklin Zimring prévoit donc que les Américains, pris «au pied du mur international», finiront par «craquer» et s'aligneront dans 10 ou 15 ans sur les «critères de décence» des autres pays démocratiques en matière de peine de mort et d'emprisonnement. Déjà, dit-il, même si on parle de 38 États non abolitionnistes, en fait seulement 10 des 38 États ont vraiment exécuté des condamnés au cours des dernières années. De plus, un doute important s'est emparé de plusieurs législateurs, compte tenu des erreurs judiciaires dépistées grâce aux tests d'ADN, de sorte qu'une douzaine d'États ont décrété depuis l'an 2000 un moratoire qui pourrait mener à l'abolition totale d'ici quelques années. Par exemple, l'État de l'Illinois (ville principale, Chicago) où un tel moratoire existe depuis l'an 2000 et où le Gouverneur a commué toutes les sentences à mort en janvier 2003. La pression morale et politique des 112 pays actuellement de jure ou de facto abolitionnistes (sur les 220 pays présents à l'ONU) sera éventuellement, dit Franklin Zimring, «trop forte». «L'Amérique changera», affirme-t-il. Espérons que les «futuribles» de Franklin Zimring seront à la hauteur de son analyse scientifique. Malgré mon optimiste personnel habituel, je suis loin de croire, sur la base de mes contacts professionnels et personnels avec des Américains, que cette prédiction se réalisera. Tant mieux si je me trompe!

L'EFFET INTIMIDANT DE LA PEINE DE MORT POUR LES TERRORISTES

Cela dit, compte tenu des événements terroristes des dernières années, à Paris (1995), à New York (2001), à Madrid (2004), à Londres (2005), et ailleurs, plusieurs citoyens même abolitionnistes ont soulevé l'idée de rétablir la peine de mort, mais «seulement» pour ces terroristes qui tuent des civils innocents. Nous pouvons comprendre cette réaction puisque même un criminologue abolitionniste aussi convaincu que moi en arrive quelquefois, comme je l'ai déjà mentionné, au moins pendant les quelques jours qui suivent de tels événements, à souhaiter de façon un peu enfoui en moi-même un tel rétablissement de la peine de mort. Toutefois, tel que déjà précisé, la raison reprend rapidement le dessus pour nous détourner, nous abolitionnistes, de cette pensée. En effet, la dissuasion de la peine de mort pour ces terroristes est probablement encore moins présente que pour les autres meurtriers. Comme nous le savons bien maintenant, les terroristes du 7 juillet 2005 à Londres, par exemple, étaient motivés par une idéologie religieuse -l'Islam dit radical- qui les transforme en élus d'Allah et souvent en héros pour plusieurs personnes affiliées à cette idéologie. Certains sont même prêts à mourir en même temps qu'ils exécutent leurs actes terroristes, ceux que l'on nomme les «Kamikazes d'Allah». Ma réaction serait la même s'il s'agissait de n'importe quelle autre idéologie religieuse, politique, sociale ou culturelle. Par exemple, tout en étant un «catholique» croyant et pratiquant, je répudie complètement les croisades historiques des Catholiques du Moyen-Âge qui, au nom du Dieu des Chrétiens, ont exterminé des milliers de musulmans, entre autres. Tout extrémisme, surtout de nature violente, est à proscrire, quel qu'il soit. Mais je suis persuadé, pour revenir à la peine de mort, que le rétablissement de la peine de mort dans le code pénal n'aurait sur eux vraiment aucun effet intimidant significatif. La seule raison d'exécuter les terroristes, s'ils étaient arrêtés, jugés coupables et condamnés, serait la «punition» à l'état pur: «Oeil pour oeil, dent pour dent».

Ce serait un autre débat qui dépasse la criminologie scientifique. Cela dit, rappelons ici les arguments maintenant classiques que les grandes organisations abolitionnistes remettent sans cesse sur la place publique. Ils s'appliquent à tous les homicides, à mon avis, autant aux homicides de type terroriste que tous les autres. Parmi ces organisations (voir les références et les sites Internet en fin d'article), citons les suivantes:
1. Amnistie internationale (A.I.); 2. Ensemble contre la peine de mort (ECPM); 3. Le collectif "Octobre 2001" pour l'abolition universelle de la peine de mort; 4. La Coalition mondiale contre la peine de mort qui regroupe elle-même 39 organisations; 5. La Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme; 6. La Fédération internationale des Chrétiens contre la peine de mort et la torture; 7. La Fédération internationale des juristes contre la peine de mort; 8. Penal Reform International; 9. Death Penalty Information Center; 10. Et plusieurs autres organisations internationales et nationales regroupées lors de la Journée mondiale contre la peine de mort qui se tient depuis l'an 2000 le 10 octobre de chaque année.

Les principales raisons de l'abolition de la peine de mort peuvent ainsi se synthétiser en 8 arguments:
1. La vie de tout homme et de toute femme est sacrée et nulle autorité ne saurait voter, juger ou décider de la mort d'un être humain;
2. La peine de mort ne dissuade jamais, sauf exceptions, un criminel de tuer et n'a aucun effet sur les taux de criminalité;
3. La peine de mort est une violation des droits de la personne, elle est un traitement cruel, inhumain et dégradant, une double torture (attente dans le couloir de la mort, exécution);
4. La peine de mort légitime fondamentalement la violence alors que la justice doit être rendue pour pacifier les relations sociales et les moeurs civiles; pour être efficace, la justice doit rester humaine et équilibrée;
5. La peine de mort frappe principalement des personnes défavorisées, la
plupart du temps sans ressources ni moyens de se défendre, souvent membres de minorités;
6. En supprimant tout espoir, la peine de mort empêche et dissuade le condamné d'effectuer un travail de réhabilitation personnelle et sociale; elle postule que l'on puisse réduire la vie d'un homme ou d'une femme à un seul acte qu'il ou qu'elle aurait commis;
7. La peine de mort est l'apanage des régimes autoritaires où la justice est d'une manière ou d'une autre l'instrument du pouvoir politique et d'un contrôle social omnipotent; dans une démocratie, la justice étant rendue au nom des citoyens, nul ne peut s'arroger le droit de voter la mort en notre nom commun;
8. Un mouvement social et spirituel moderne et important nous suggère pour les criminels, y compris pour les meurtriers, une solidarité basée sur le pardon, la réparation, la médiation; il s'agit de la «justice réparatrice» ou de la «justice restauratrice».

À sa façon, Maurice Cusson (2005) rapproche lui aussi le terroriste du «criminel banal», du meurtrier de tous les jours. C'est ainsi qu'il écrit que: «Dans son acception habituelle, le terme terrorisme désigne les actions violentes et spectaculaires menées contre des non-combattants par des individus qui se proposent de frapper de stupeur le public et de déstabiliser le pouvoir établi. Le scénario de ces opérations est conçu pour produire le maximum d'impact sur l'opinion et le gouvernement. Les méthodes terroristes les plus connues incluent la bombe placée dans un lieu public, l'enlèvement, l'assassinat d'une personnalité, le détournement d'avion. Viennent s'y ajouter les opérations de financement: l'extorsion sous couvert "d'impôt révolutionnaire", le hold-up, le vol, les trafics. La frontière séparant le terroriste du criminel de droit commun n'est pas nette; quelquefois, elle s'estompe. Le criminologue qui veut saisir la personnalité du terroriste sans se laisser abuser par sa rhétorique lui trouve maintes ressemblances avec le criminel banal: Mêmes moyens, même absence de scrupules, même goût du risque, même sentiment d'injustice subie, même refus de l'autre» (p.144 et 146). Dans cette perspective, nous faisons l'hypothèse que si les études évaluatives sur l'effet intimidant de la peine de mort dans le cas du «criminel banal» ne concluent pas à l'efficacité de cette sanction pénale (de Sellin à Zimring), il en est ainsi pour le «criminel-terroriste» qui n'est pas susceptible, sauf exceptions, d'être influencé par la présence ou non de cette peine capitale. A vous de juger!

CONCLUSION
En fait, la peine de mort sera probablement abolie un jour aux États-Unis, comme elle l'a été en Europe, même si l'opinion publique américaine n'est pas susceptible de changer dramatiquement à court et à moyen terme, surtout à la suite du traumatisme du World Trade Center le 11 septembre 2001. Cette opinion est toujours favorable à la hauteur de 65-70 pour cent. Mais l'abolition n'a jamais été le résultat d'une demande populaire importante. La plupart des pays qui ont aboli l'ont fait au moment où une majorité de leurs citoyens soutenaient encore la peine de mort. Si l'abolition a eu lieu malgré ce soutien populaire, c'est essentiellement parce qu'une majorité de députés ont eu le courage de voter en conséquence. Une telle majorité est loin du compte actuellement aux États-Unis. La peur et l'anxiété (bien compréhensible, par ailleurs) des Américains depuis 2001, en particulier, est un baromètre psychologique qui agit directement sur le niveau de tolérance de la société américaine. Pour l'instant, le baromètre est au beau fixe. Rien, à l'horizon, ne peut nous laisser espérer que les États-Unis rejoindront l'Europe sur le chemin de l'abolition de la peine de mort, sauf un renversement de l'opinion des juges de la Cour suprême des États-Unis. En effet, le 8 août 2005, un des juges de cette Cour, le «Justice» John Paul Stevens, au cours d'un discours important devant l'American Bar Association, l'association nationale des avocats américains, affirmait que plusieurs juges étaient troublés par les «carences sérieuses» au niveau des lois, des jugements et de l'exécution en matière d'homicides dans les 38 États américains qui ont retenu la peine de mort dans leurs codes pénaux (ainsi que le code fédéral). Il déclarait qu'il serait peut-être «sage» d'envisager l'abolition totale de la peine de mort aux États-Unis, à la suite de l'abolition par la Cour Suprême de cette sanction pour les meurtriers «mentalement atteints» (Atkins v. Virginia, 2002) et pour les mineurs meurtriers de moins de 18 ans «au moment» de l'homicide pour lequel ils furent condamnés à mort (décision du 1er mars 2005, Roper v. Simmons). En prolongement de ces deux jugements récents, l'interrogation suivante nous semble pertinente: l'abolition de la peine de mort pour les déficients mentaux et pour les mineurs serait-elle le présage d'une abolition totale à plus ou moins long terme? Rêve-t-on en couleurs à ce sujet? Si l'on ajoute la crainte de plus en plus ressentie par la population et les législateurs des erreurs judiciaires maintenant établies par l'utilisation des tests d'ADN, et si nous constatons que depuis cinq ans le nombre d'exécutions de fait est passé de l'ordre de 85-100 au tournant des années 2000 à 50-60 en 2004-2006, un certain espoir subsiste, avouons-le. De nouvelles études évaluatives sur l'effet intimidant de la peine de mort seront peut-être aussi utiles au cours des prochaines années, même si la criminologie doit être «modeste» à ce sujet.

Une certaine «humilité» scientifique doit en effet nous guider puisque les méthodes de recherche sur un tel thème sont encore fort imparfaites. De toute façon, les résultats des recherches ne sont qu'un éclairage parmi d'autres pour un débat qui est vraiment éternel et international. En démocratie, les autres arguments religieux, philosophiques, politiques, sociaux et culturels sont aussi importants et pertinents. Des livres et des films populaires sur le sujet, tels ceux de Soeur Helen Préjean, "Dead Man Walking"(La dernière marche,1995) et son plus récent, "The Death of Innocents" (2005), ont probablement plus d'influence directe sur le public et le législateur que les études criminologiques. C'est ainsi!
Le débat se poursuivra donc au cours des prochaines années, autant pour les meurtriers «ordinaires» que pour les meurtriers terroristes. Comme l'a signalé à plusieurs reprises le professeur Thorsten Sellin (1980,1981), les recherches sur la peine de mort se poursuivront et continueront d'être utilisées. Mais, quels que soient le soin qu'on y apporte et la solidité de leurs conclusions, la crédibilité qui leur sera accordée dépendra de ce que le grand philosophe du XIX° siècle John Stuart Mill (1806-1873) appelait «l'esprit de l'époque». Et Sellin de citer la conclusion célèbre de la Commission royale d'enquête sur la peine de mort en Angleterre (1951) à laquelle il avait contribué: «La décision d'abolir, de maintenir ou d'adopter la peine de mort ne dépend pas d'une démonstration empirique de son efficacité mais plutôt de l'intensité des croyances et des attitudes populaires qui, de leur côté, ne sont pas facilement influencées par ce genre de preuves. Ces croyances et ces attitudes sont enracinées dans la culture d'un peuple. Elles résultent d'un grand nombre de facteurs, comme la nature des institutions sociales, les idéologies politiques, économiques et sociales. Si, durant une période donnée, ces croyances se transforment d'une manière comme l'abolition de la peine capitale apparaît désirable, des faits comme ceux qui sont présentés dans ce rapport seront reconnus comme des preuves établies. Mais ces mêmes résultats pourront être tout aussi facilement ignorés si des changements sociaux font apparaître les anciens sentiments. Lorsqu'un peuple décide qu'il n'aime plus voir la peine de mort infligée aux meurtriers, elle sera abolie, quelle que soit par ailleurs l'évolution du taux d'homicide. C'est ce qui se produisit autrefois lorsque la peine de mort s'appliquait aux crimes contre la propriété. (Home Office, 1951, p. 525).

Après le crucifiement (crucifixion), la lapidation, la noyade, le bûcher, l'écartèlement, la strangulation (garrot), la décapitation (guillotine), le peloton d'exécution (fusillade), la pendaison, la chambre à gaz létale (gaz mortel), l'électrocution (chaise électrique) et l'injection létale (sérum mortel) ou l'alternative, c’est-à-dire : l'emprisonnement de longue durée, que nous réservent l'histoire de l'humanité et la «petite histoire» de la peine de mort en ce troisième millénaire qui a débuté avec des actes terroristes d'une extrême gravité?

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE SUR LA PEINE DE MORT

A. DE QUELQUES PUBLICATIONS DE L'AUTEUR SUR LA PEINE DE MORT
1. Normandeau, A. (1965-2005). Plusieurs articles de vulgarisation sur la peine de mort publiés dans les quotidiens La Presse, Le Devoir, Le Journal de Montréal, The Gazette, Le Soleil, Le Jour et Allo-Police. Plusieurs entrevues sur le sujet à la radio et à la télévision.
2. Normandeau, A. (1965). "La peine de mort", Cité Libre, mars, p.15-20. Montréal.
3. Normandeau, A. (1965). "Peine de mort, peine perdue!", Maintenant, juillet, p. 238-242. Montréal.
4. Normandeau, A. (1966). "La peine de mort au Canada", Revue de droit pénal et de criminologie, mars, p. 547-559, Bruxelles.
5. Normandeau, A.; Akman, D. (1967). "Meurtres et assauts dans les pénitenciers canadiens et peine de mort", Revue de droit pénal et de criminologie, janvier, p. 383-390. Bruxelles.
6. Normandeau, A. (1967). "Arnould Bonneville de Marsangy, 1802-1894", Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juin, p. 385-410. Paris. Voir aussi la version américaine sous le titre: «Pioneers in Criminology- Arnould Bonneville de Marsangy, 1802-1894», dans le Journal of Criminal Law, Criminology and Police Science, March 1969, p. 28-32, Chicago, ainsi que dans le livre édité par H.Mannheim, Pioneers in Criminology, deuxième édition, NewJersey, USA, Patterson Smith, 1972, p. 129-137.
7. Normandeau, A. (1970). "Pioneers in Criminology/ Charles Lucas-Opponent of Capital Punishment", Journal of Criminal Law, Criminology and Police Science, June, p. 218-228. Chicago. Voir aussi, sous le titre: "Pioneers in Criminology/Charles Lucas, 1803-1889" dans le livre édité par H. Mannheim, Pioneers in Criminology, deuxième édition, New Jersey, USA, Patterson Smith, 1972, p.138-157.
8. Normandeau, A. (1970-1985). Propositions pour le programme «Justice» du Parti Québécois, de 10 à 25 pages selon l'année. Montréal et Québec.
9. Normandeau, A. (1995). "La nouvelle pénologie des États-Unis d'Amérique", Revue internationale de criminologie et de police technique, septembre, p. 350-365. Genève.
10. Normandeau, A. (1997). «La punition exemplaire par excellence: la peine de mort aux États-Unis, version 1997», Revue internationale de criminologie et de police technique, décembre, p. 420-430. Genève.
11. Normandeau, A. (2000). «La peine de mort en Amérique du Nord/ Un débat éternel et universel», Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, décembre, p. 904-907. Paris.
12. Normandeau, A. (2003). "La peine de mort aux États-Unis, version 2003", Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, décembre, p. 902-906, Paris.
13. Normandeau, A. (2004). «L'opinion publique et la peine de mort aux Etats-Unis», Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, décembre, p. 982-984. Paris.
14. Normandeau, A.; Laingui, A. (2004). «Peine de mort», in G. Lopez et S. Tzitzis, dir., Dictionnaire des sciences criminelles, Paris, Dalloz, p. 689-694.
15. Normandeau, A. (2005). «L'abolition de la peine de mort aux États-Unis. pour les jeunes de moins de 18 ans/ Un présage de l'abolition totale», Revue pénitentiaire et de droit pénal, juin, p. 371-374, Paris.

B. DE QUELQUES PUBLICATIONS DU PIONNIER DE LA RECHERCHE SUR LA PEINE DE MORT.

a) Spécifiquement sur la peine de mort:

1. Sellin, T. (1959). The Death Penalty, Philadelphia, The American Law Institute.
2. Sellin, T. (1960). «L'effet intimidant de la peine», Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, décembre, p. 559-593. Paris.
3. Sellin, T. (1967). Capital Punishment, New York, Harper and Row.
4. Sellin, T. (1979). «Intimidation générale et peine de mort», Revue de droit pénal et de criminologie, avril, p. 315-325. Bruxelles.
5. Sellin, T. (1980). The Penalty of Death, California, Sage.
6. Sellin, T. (1981). «Les débats concernant l'abolition de la peine capitale: une rétrospective», Déviance et Société, juin, p. 97-112. Genève.

b) Quelques autres livres importants:

7. Sellin, T. (1944). Pioneering in Penology, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.
8. Sellin, T. (1976). Slavery and the Penal System, New York, Elsevier.
9. Sellin, T.; Wolfgang, M. (1964). The Measurement of Delinquency, New York,Wiley.
10. Wolfgang, M.; Figlio, R.; Sellin, T. (1972). Delinquency in a Birth Cohort, Chicago, University of Chicago Press.

C. DE QUELQUES ORGANISATIONS DÉDIÉES À L'ABOLITION DE LA PEINE DE MORT.

1. AMNESTIE INTERNATIONALE (2007). Voir leur site Internet: www. amnesty.org. Consultez toutes les publications d'A.I. depuis plusieurs années.
2. COALITION MONDIALE CONTRE LA PEINE DE MORT (2007). Voir leur site Internet: www.worldcoalition.org. Consultez toutes les publications de cette coalition qui regroupe 39 organisations abolitionnistes au niveau international et qui soutient la Journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre de chaque année.
3. COLLECTIF "OCTOBRE 2001" (2007). Voir leur site Internet:
www.collectif2001.org. Consultez toutes les publications de ce collectif contre la peine de mort qui regroupe plus de 12 associations françaises sous l'égide de l'Association française de criminologie. Voir en particulier leur livre Comment sanctionner le crime? (Ramonville-Toulouse, Éditions Erès, 2002).
4. DEATH PENALTY INFORMATION CENTER (2005). Voir leur site Internet: www.deathpenaltyinfo.org. Consultez toutes les publications de cette organisation américaine dont les données sont toujours à jour et fiables.
5. ENSEMBLE CONTRE LA PEINE DE MORT / COLLECTIF (2005). Voir leur site Internet: www.abolition.fr. Consultez toutes les publications de ce collectif franco-québécois qui se veut également international. Voir en particulier leur livre Abolir. Édition 2005 publiée à l"occasion du deuxième Congrès mondial contre la peine de mort, tenu à Montréal en septembre 2004. Excellente bibliographie et une liste relativement complète des sites Internet sur le sujet.
6. FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES LIGUES DES DROITS DE L'HOMME (2007). Voir leur site Internet: www.fidh.org. Consultez toutes les publications de la Fédération qui regroupe plusieurs associations nationales.

D. DE QUELQUES AUTRES RÉFÉRENCES SUR LA PEINE DE MORT DONT LES RÉFÉRENCES CITÉES DANS L'ARTICLE.

1. Acker, J.R.; Bohm, R.M.; Lanier, C.S., dir. (1998). America's Experiment with Capital Punishment, Durham, Carolina Academic Press.
2. Archer, D.; Gartner, R.; Beittel, M. (1983). «Homicide and the Death Penalty/ A Cross-National Test of a Deterrence Hypothesis», Journal of Criminal Law and Criminology, p. 991-1013.
3. Bailey, W. (1998). «Deterrence, Brutalization and the Death Penalty: Another Example of Oklahoma's Return to Capital Punishment», Criminology, p.711-733.
4. Bailey, W.; Peterson, R. (1989). «Murder and Capital Punishment: A Monthly Time-Series Analysis of Execution Publicity», American Sociological Review, p. 722-743.
5. Bedau, H., dir. (1965-2005). The Death Penalty in America, New York, Oxford University Press. Plusieurs rééditions.
6. Bohm, R.M. (2003). Deathquest II / An Introduction to the Theory and Practice of Capital Punishment in the United States, Cincinnati, Anderson Co.
7. Bureau of Justice Statistics (BJS) du ministère de la Justice des États-Unis (2005). Voir leur site Internet: www.ojp.usdoj.gov/bjs. Consultez leur Bulletin annuel sur la peine de mort aux États-Unis.
8. Carbasse, J. (2002). La peine de mort, Paris, Les Presses Universitaires de France, collection «Que sais-je?»
9. Cario, R., dir. (1993). La peine de mort au seuil du troisième millénaire, Toulouse, Erès.
10. Carmen, R.; Vollum, S.; Cheeseman, K. (2005). The Death Penalty: Constitutional Issues, Commentaries and Case Briefs, Cincinnati, Anderson Co.
11. Cusson, M. (2005). La criminologie, Paris, Hachette, quatrième édition.
12. École nationale de l'administration pénitentiaire (2005). La peine de mort/ Bibliographie sélective. Document de 8 pages par l'Enap (Agen, France).
13. Ehrlich, I. (1975). «The Deterrent Effect of Capital Punishment: A Question of Life and Death», American Economic Review, p. 397-417.
14. Ehrlich, I. (1977). «Capital Punishment and Deterrence: Some Further Thoughts and Additional Evidence», Journal of Political Economy, p. 741-788.
15. Ehrlich, I. (1982). «On Positive Methodology, Ethics, and Polemics in Deterrence Research», British Journal of Criminology, p. 124-139.
16. Home Office (1951). Royal Commission on Capital Punishment/ Report, Londres, Her Majesty Printing Office.
17. Kaspi, A. (2003). La peine de mort aux États-Unis, Paris, Plon.
18. Le Monde, le journal (2002). La peine de mort, Paris, Librio.
19. National Criminal Justice Reference Service (NCJRS) du ministère de la Justice des États-Unis (2005). Voir site Internet www.ncjrs.org. Il s'agit d'une véritable bibliothèque de toute la littérature criminologique anglo-saxonne.
20. National Institute of Justice (NIJ) du ministère de la Justice des États-Unis (2005). Voir leur site Internet: www.ojp.usdoj.gov/nij. Consultez toutes les publications de cet Institut américain qui subventionne largement la recherche criminologique appliquée.
21. Peterson, R.; Bailey, W. (1998). «Is Capital Punishment an Effective Deterrent for Murder?/ An Examination of Social Science Research», in J. R. Acker, R. M. Bohm, et C. S. Lanier, dir., America's Experiment with Capital Punishment, Durham, Carolina Academic Press, p. 157-182.
22. Sarat, A. (2001). When the State Kills: Capital Punishment and the American Condition, New York, Oxford University Press.
23. Sarat, A., dir. (2005). The Killing State/ Capital Punishment in Law,Politics and Culture, New York, Oxford University Press.
24. Taube, M. (2001). L'Amérique qui tue/ La peine de mort aux États-Unis, Paris, Laffon.
25. Van den Haag, E.; Conrad, J. (1983), The Death Penalty/ A Debate, New York, Plenum.
26. Wilbanks, W. (1987). The Myth of a Racist Criminal Justice System, California, Brooks-Cole.
27. Wolfson, W. (1982). «The Deterrent Effect of the Death Penalty upon Prison Murder», in H. Bedau, dir., The Death Penalty in America, 3 ième édition, New York, Oxford University Press, p. 159-173.
28. Zimring, F. (2003). The Contradictions of American Capital Punishment, New York, Oxford University Press, 2 ième édition.
29. Zimring, F. (2005). «Capital Punishment and Mass Imprisonment: Does American Exceptionalism Have a Future?», conférence au Congrès mondial de criminologie, Philadelphie, 7-12 août 2005.
30. Zimring, F.; Hawkins, G. (1986). Capital Punishment and the American Agenda, Cambridge, Cambridge University Press.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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