De prime abord, quiconque a rencontré Claude Béland confirmera que c'est un homme charmant. Il faut que cet homme incarne ce qu'il y a de plus noble chez l'humain. Et à 77 ans, on voit encore dans le fond de ses yeux la flamme de ceux qui vivent de conviction. Conviction empreinte des valeurs qu'il a reçues en héritage et qu'il partage sans retenue chaque fois qu'il peut prêter main-forte à son prochain. Doté d'un sens commun exceptionnel, il est une source intarissable de mobilisation quand vient l'heure de passer à l'action. Sa grande satisfaction est de bâtir avec les gens d'ici un monde où il fait bon vivre ensemble.
D'où vous est venu ce désir de vous investir au sein du mouvement coopératif?
Je suis l'avant-dernier d'une famille de sept enfants. Mon père était un homme extrêmement occupé, un commerçant qui vendait des accessoires électriques en gros et qui avait beaucoup de succès. Maman était une femme à la santé fragile qui ne sortait pas de la maison. Donc, il fallait garder maman, elle ne restait pas seule. Chacun avait son temps de garde. On faisait la vaisselle, on faisait notre lit, et j'ai compris rapidement que dans le modèle familial, pour être heureux, il fallait que tout le monde fasse un peu sa part. J'ai vite appris que le bonheur individuel se construit en se préoccupant des autres. Et ça, c'était une valeur que mon père possédait au plus haut point. C'était un homme extrêmement généreux. Par exemple, il payait le lait et les ceufs à une famille pauvre de sept enfants. Je me souviens d'un jour en particulier, j'avais six ou sept ans, un policier avait amené chez nous un monsieur qui avait caché un grille-pain derrière son manteau. C'était justement le père de famille que mon père aidait. Le policier dit à mon père: «En sortant de votre magasin, ce monsieur vous a volé un grîlle-pain.» La réaction de papa me frappa. Il a dit: « Non, non, je lui ai donné, c'est une erreur!» Une fois le policier parti, mon père par contre lui fit la leçon: « As-tu pensé que si j'avais dit oui au policier, tu serais en prison? Et tes enfants, ils feraient quoi?» Il faut être généreux, quand même, pour faire ça! Voilà le genre de valeurs dans lesquelles on vivait. Et ça, ça influence beaucoup. Par la suite, la vie a orienté le reste, avec l'éthique dominante et les valeurs religieuses de l'époque.
[...]
Comment peut-on demeurer près des valeurs humaines que vous défendez dans le milieu des affaires quand on sait que la recherche de profit est prédominante?
C'est ça qui est le grand défi actuellement. La population n'est pas au service de l'économie, c'est l'inverse. Bien sûr, une entreprise doit être en équilibre, elle doit être rentable, autrement elle ne peut pas opérer. [...] Notre préoccupation n'était pas de faire plus d'argent que les autres, elle était de répondre aux besoins de la population et d'avoir un bilan social plus important que le bilan financier.
[...]
Montréal demeurait inaccessible aux coopératives funéraires [pourtant bien établies ailleurs au Québec] jusqu'à tout récemment. Après des années de travail, une première coopérative vient de voir le jour. Quel rôle avez-vous joué dans son implantation?
On m'a demandé de présider la première campagne de recrutement des membres. Le défi, maintenant, c'est de trouver des points de services un peu partout sur l'île. Je suis membre de cette coopérative, mais je demeure à Ville Mont-Royal et, comme tout le monde, je souhaiterais que mes funérailles se fassent près de chez nous.
Vous parlez du coopératisme comme d'une manière de donner un sens à la vie. La mort peut-elle bénéficier de cette même logique devant l'évolution des pratiques funéraires que nous connaissons?
La mort est incontournable et j'aimerais bien que le coopératisme le soit aussi. Mais ce n'est pas le cas. Il faut donc travailler pour que les gens coopèrent afin de ne pas perdre de vue l'importance de rendre hommage à nos morts, sans passer par un système de Dignité 1-2 ou 3 que l'on retrouve dans les entreprises privées. Nous souhaitons tous offrir ce qu'il y a de meilleur à ceux que nous avons aimés sans avoir à nous ruiner.
Et vous, comment vous sentez-vous face à la mort?
Quand on a été un bon chaînon dans la vie, ça la rend moins effrayante. Moi je parle encore de mon père, de ma mère et de mon grand-père. Parce qu'ils ont été de bons chaînons, ils sont encore présents dans ma vie. Ce qu'ils ont semé est encore là. Oui je vais mourir, je n'ai pas de contrôle là-dessus, mais si j'ai été un bon chaînon, je vais continuer à vivre parce que les gens qui m'ont connu vont se souvenir de moi, de ce que j'ai fait, de ce que je disais.
Et qu'aimeriez-vous que l'on retienne de votre passage sur Terre?
Quand j'étais au collège Brébeuf, il fallait choisir une devise pour notre conventum. On avait choisi «Semeurs de joie». Alors, j'espère avoir été un semeur de joie. Mais ce que j'aimerais surtout, c'est être classé parmi les humanistes, parce que pour moi, l'humain a toujours été ce qu'il y a de plus important.
Encadré
Une réponse à l'américanisation du marché funéraire québécois
Au milieu des années 90, le marché funéraire québécois avait changé considérablement. Flairant un marché intéressant, de grandes multinationales débarquaient au Québec pour acheter des entreprises funéraires. À une certaine époque, 45 % du marché funéraire québécois était la propriété des Américains. Pour contrer cet envahissement, la fédération des coopératives funéraires du Québec décide de se lancer dans la bataille et de procéder elle aussi à des acquisitions.
Avec l'aide de Desjardins et d'Investissement Québec, le fonds est lancé en février 1997. Le réseau des coopératives devient alors une nouvelle option pour les entrepreneurs québécois désireux de vendre leur maison funéraire. Ainsi, de 1997 à 2000, la Fédération acquiert plus d'une quinzaine d'entreprises funéraires. Ces ajouts permettent la création de cinq nouvelles coopératives et sept autres réalisent des projets de développement, ce qui totalise des investissements de plus de 28 millions de dollars.
Grâce à ce fonds, ces entreprises sont demeurées propriétés québécoises et appartiennent maintenant aux membres des coopératives.
Je suis l'avant-dernier d'une famille de sept enfants. Mon père était un homme extrêmement occupé, un commerçant qui vendait des accessoires électriques en gros et qui avait beaucoup de succès. Maman était une femme à la santé fragile qui ne sortait pas de la maison. Donc, il fallait garder maman, elle ne restait pas seule. Chacun avait son temps de garde. On faisait la vaisselle, on faisait notre lit, et j'ai compris rapidement que dans le modèle familial, pour être heureux, il fallait que tout le monde fasse un peu sa part. J'ai vite appris que le bonheur individuel se construit en se préoccupant des autres. Et ça, c'était une valeur que mon père possédait au plus haut point. C'était un homme extrêmement généreux. Par exemple, il payait le lait et les ceufs à une famille pauvre de sept enfants. Je me souviens d'un jour en particulier, j'avais six ou sept ans, un policier avait amené chez nous un monsieur qui avait caché un grille-pain derrière son manteau. C'était justement le père de famille que mon père aidait. Le policier dit à mon père: «En sortant de votre magasin, ce monsieur vous a volé un grîlle-pain.» La réaction de papa me frappa. Il a dit: « Non, non, je lui ai donné, c'est une erreur!» Une fois le policier parti, mon père par contre lui fit la leçon: « As-tu pensé que si j'avais dit oui au policier, tu serais en prison? Et tes enfants, ils feraient quoi?» Il faut être généreux, quand même, pour faire ça! Voilà le genre de valeurs dans lesquelles on vivait. Et ça, ça influence beaucoup. Par la suite, la vie a orienté le reste, avec l'éthique dominante et les valeurs religieuses de l'époque.
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Comment peut-on demeurer près des valeurs humaines que vous défendez dans le milieu des affaires quand on sait que la recherche de profit est prédominante?
C'est ça qui est le grand défi actuellement. La population n'est pas au service de l'économie, c'est l'inverse. Bien sûr, une entreprise doit être en équilibre, elle doit être rentable, autrement elle ne peut pas opérer. [...] Notre préoccupation n'était pas de faire plus d'argent que les autres, elle était de répondre aux besoins de la population et d'avoir un bilan social plus important que le bilan financier.
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Montréal demeurait inaccessible aux coopératives funéraires [pourtant bien établies ailleurs au Québec] jusqu'à tout récemment. Après des années de travail, une première coopérative vient de voir le jour. Quel rôle avez-vous joué dans son implantation?
On m'a demandé de présider la première campagne de recrutement des membres. Le défi, maintenant, c'est de trouver des points de services un peu partout sur l'île. Je suis membre de cette coopérative, mais je demeure à Ville Mont-Royal et, comme tout le monde, je souhaiterais que mes funérailles se fassent près de chez nous.
Vous parlez du coopératisme comme d'une manière de donner un sens à la vie. La mort peut-elle bénéficier de cette même logique devant l'évolution des pratiques funéraires que nous connaissons?
La mort est incontournable et j'aimerais bien que le coopératisme le soit aussi. Mais ce n'est pas le cas. Il faut donc travailler pour que les gens coopèrent afin de ne pas perdre de vue l'importance de rendre hommage à nos morts, sans passer par un système de Dignité 1-2 ou 3 que l'on retrouve dans les entreprises privées. Nous souhaitons tous offrir ce qu'il y a de meilleur à ceux que nous avons aimés sans avoir à nous ruiner.
Et vous, comment vous sentez-vous face à la mort?
Quand on a été un bon chaînon dans la vie, ça la rend moins effrayante. Moi je parle encore de mon père, de ma mère et de mon grand-père. Parce qu'ils ont été de bons chaînons, ils sont encore présents dans ma vie. Ce qu'ils ont semé est encore là. Oui je vais mourir, je n'ai pas de contrôle là-dessus, mais si j'ai été un bon chaînon, je vais continuer à vivre parce que les gens qui m'ont connu vont se souvenir de moi, de ce que j'ai fait, de ce que je disais.
Et qu'aimeriez-vous que l'on retienne de votre passage sur Terre?
Quand j'étais au collège Brébeuf, il fallait choisir une devise pour notre conventum. On avait choisi «Semeurs de joie». Alors, j'espère avoir été un semeur de joie. Mais ce que j'aimerais surtout, c'est être classé parmi les humanistes, parce que pour moi, l'humain a toujours été ce qu'il y a de plus important.
Encadré
Une réponse à l'américanisation du marché funéraire québécois
Au milieu des années 90, le marché funéraire québécois avait changé considérablement. Flairant un marché intéressant, de grandes multinationales débarquaient au Québec pour acheter des entreprises funéraires. À une certaine époque, 45 % du marché funéraire québécois était la propriété des Américains. Pour contrer cet envahissement, la fédération des coopératives funéraires du Québec décide de se lancer dans la bataille et de procéder elle aussi à des acquisitions.
Avec l'aide de Desjardins et d'Investissement Québec, le fonds est lancé en février 1997. Le réseau des coopératives devient alors une nouvelle option pour les entrepreneurs québécois désireux de vendre leur maison funéraire. Ainsi, de 1997 à 2000, la Fédération acquiert plus d'une quinzaine d'entreprises funéraires. Ces ajouts permettent la création de cinq nouvelles coopératives et sept autres réalisent des projets de développement, ce qui totalise des investissements de plus de 28 millions de dollars.
Grâce à ce fonds, ces entreprises sont demeurées propriétés québécoises et appartiennent maintenant aux membres des coopératives.