L'Encyclopédie sur la mort


Œdipe Roi

Voltaire

Voltaire suit fidèlement la trame de la tragédie de Sophocle et présente Oedipe en crise devant son épouse la reine Jocaste, dont il ne sait pas encore qu'elle est sa mère. Oedipe est déchiré, car il vient d'apprendre qu'il est le meurtrier du roi Laïus, premier époux de Jocaste et, de ce fait aussi son père.
ACTE 4 SCENE 3
[...]

Jocaste

Hélas !

Oedipe

Prenez ce fer, instrument de ma rage ;
qu'il vous serve aujourd'hui pour un plus juste usage ;
plongez-le dans mon sein.

Jocaste
Que faites-vous, seigneur ?
Arrêtez ; modérez cette aveugle douleur ;
vivez.

Oedipe
Quelle pitié pour moi vous intéresse ?
Je dois mourir.

Jocaste
Vivez, c'est moi qui vous en presse ;
écoutez ma prière.

Oedipe
Ah ! Je n'écoute rien ;
j'ai tué votre époux.

Jocaste
Mais vous êtes le mien.
Oedipe.
Je le suis par le crime.

Jocaste
Il est involontaire.

Oedipe
N'importe, il est commis.

Jocaste
ô comble de misère !

Oedipe
ô trop funeste hymen ! ô feux jadis si doux !

Jocaste
Ils ne sont point éteints ; vous êtes mon époux.

Oedipe
Non, je ne le suis plus ; et ma main ennemie
n'a que trop bien rompu le saint nœud qui nous lie.
Je remplis ces climats du malheur qui me suit.
Redoutez-moi, craignez le dieu qui me poursuit ;
ma timide vertu ne sert qu'à me confondre,
et de moi désormais je ne puis plus répondre.
Peut-être de ce dieu partageant le courroux,
l'horreur de mon destin s'étendrait jusqu'à vous :
ayez du moins pitié de tant d'autres victimes ;
frappez, ne craignez rien, vous m'épargnez des crimes.

Jocaste
Ne vous accusez point d' un destin si cruel ;
vous êtes malheureux, et non pas criminel :
dans ce fatal combat que Daulis vous vit rendre,
vous ignoriez quel sang vos mains allaient répandre ;
et, sans trop rappeler cet affreux souvenir,
je ne puis que me plaindre, et non pas vous punir.
Vivez...

Oedipe
Moi, que je vive ! Il faut que je vous fuie.
Hélas ! Où traînerai-je une mourante vie ?
Sur quels bords malheureux, en quels tristes climats,
ensevelir l'horreur qui s'attache à mes pas ?
Irai-je, errant encore, et me fuyant moi-même,
mériter par le meurtre un nouveau diadème ?
Irai-je dans Corinthe, où mon triste destin
à des crimes plus grands réserve encor ma main ?
Corinthe ! Que jamais ta détestable rive...

Source: fr.wikisource.org/wiki/Œdipe_Roi_(Voltaire)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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