Mignard Pierre

7 novembre 1612-30 mai 1695
Article d'Étienne Bricon publiée dans La Grande encyclopédie (1885-1902):

«Peintre français, né à Troyes le 7 nov. 1612, mort à Paris le 30 mai 1695, frère du précédent. Destiné à la médecine et placé à douze ans chez un médecin, il y peignit, dit-on, la famille de son maître. Ses parents, cédant à son goût, l'envoyèrent alors à Bourges (1624) chez le peintre Jehan Boucher. De là il revint à Troyes et y travailla chez un sculpteur nommé François Gentil, puis il partit pour Fontainebleau, qui était encore au XVIIe siècle la ville française des arts, et il y passa deux ans à étudier le Primatice, le Rosso et Fréminet. De retour à Troyes, il peignit la chapelle du château de Coubert en Brie pour le maréchal de Vitry qui le prit sous sa protection, l'amena à Paris et lui donna pour maître Simon Vouet. Chez Simon Vouet, Mignard rencontra Le Brun, Lesueur, et du Fresnoy qui allait devenir son plus intime ami. En 1635, il part pour Rome où il arrive vers la fin de l'année; il y retrouve du Fresnoy, y prend des conseils de Poussin et s'y lie avec lui. À Rome, Mignard travaille beaucoup; il étudie avec ardeur les maîtres italiens, et il s'assimile leur manière; il apprend les procédés de la fresque. Cependant il fait des portraits; il peint la Famille de M. Hugues de Lionne, plénipotentiaire de France près les princes d'Italie, et son nom se répand, et le pape Urbain VIII se fait peindre par lui. Le cardinal du Plessis, qui vient à Rome avec Nicolas Mignard, lui commande une copie des Annibal Carrache du palais Farnèse qui est terminé en huit mois: le Louvre en possède seize dessins. A Rome il aime la fille d'un architecte, Anna Avolara, qu'à la suite de retards et d'obstacles, il épousera seulement en 1660 à Paris, ayant déjà deux enfants d'elle. En 1653, il part rejoindre à Venise son ami du Fresnoy; il s'arrête à Rimini, à Bologne où il rend visite à l'Albane vieilli, à Modène où il fait des portraits, à Parme, à Mantoue, déjà célèbre et partout fêté. II reste huit mois à Venise et y fait le portrait du doge. II revient à Rome, peint le pape Innocent X, le pape Alexandre VII et, influencé par Annibal Carrache, il recherche de plus en plus la manière italienne et peint un assez grand nombre de madones qu'on a appelées les Vierges mignardes et que les Romains se disputent; et dans son excessif désir de ressembler aux maîtres italiens, il est fier d'être surnommé le Romain. Pourtant dans un concours pour le tableau du maître-autel de San Carlo de Catenari où il a peint un de ses meilleurs tableaux religieux, Saint Charles administrant la communion à des malades - on ne sait ce qu'est devenu ce tableau connu par la gravure de Poilly et dont il existe une réduction au musée du Havre - Pierre de Cortone l'emporte sur lui. Son succès n'en est pas moins grand à Rome où il peint beaucoup de portraits, et son nom devenant célèbre, Louis XIV le rappelle en France en 1657. Mignard quitte Rome où il vient de vivre vingt et un ans et où il laisse son ami Poussin; il tombe malade à Marseille, reste huit mois à Avignon où il rencontre Molière, s'arrête à Lyon pour y faire des portraits et arrive à Fontainebleau. Il est présenté par M. Hugues de Lionne à la cour, où il fait en trois heures un portrait du jeune roi qu'on envoie à l'infante d'Espagne; il fait ensuite le portrait d'Anne d'Autriche (1660) et il devient son peintre. Il plait à la cour; et à Paris, où il vient d'arriver et où il habite avec son ami du Fresnoy, il est aussitôt à la mode. En 1663, Anne d'Autriche lui fait peindre le Dôme du Val-de-Grâce, son oeuvre capitale; Mignard y peignit à fresque le Paradis où Anne d'Autriche, entourée de saints, vient offrir à Dieu le monument qu'elle lui a élevé; composition grandiose de plus de deux cents figures, saisissante et harmonieuse; qui est un des chefs-d'oeuvre de l'art français et pour laquelle Molière écrivit son poème de la Gloire du Val-de-Grâce; aidé par du Fresnoy, Mignard termina en un an ce morceau colossal qui est la plus grande fresque du monde et qui lui fut payée 35.000 livres. En 1664, après s'être arrêté à Troyes, il va se reposer à Avignon d'où il ramène sa femme et ses enfants qu'il y avait envoyés. La gloire de Mignard a rencontré celle de Le Brun, et Colbert a essayé vainement de rapprocher ces deux hommes; Mignard refuse d'entrer à l'Académie royale dont Le Brun est le tout-puissant directeur et aussitôt l'Académie rivale de Saint-Luc le choisit pour son chef (1664). L'année suivante, du Fresnoy meurt et Mignard publie son important poème latin sur la Peinture. La vogue de Mignard est à son apogée: toutes les femmes lui demandent leur portrait, et plus tard, Louvois remplaçant Colbert comme surintendant des finances, sa faveur va grandir tandis que diminuera celle de Le Brun. II a décoré rue Plâtrière l'hôtel du financier d'Hervart en y peignant la Mort des enfants de Niobé, la Punition de Marsyas, le Jugement de Midas et les Vices chassés du temple d'Apollon. En 1677, il a décoré au château de Saint-Cloud pour Monsieur, frère de Louis XIV, la galerie d'Apollon (Apollon sur son char et les Saisons), le cabinet de Diane et le grand salon de Mars (Mars et Vénus et l'Olympe) et il a peint une Pietà pour la chapelle. Il décore la petite galerie de Versailles qui fut détruite en 1736, mais les gravures de Gérard Audran nous en restent. En juin 1687, le roi l'anoblit, et en 1690, à la mort de Le Brun, il le nomme son premier peintre, lui donne la direction des manufactures royales et le fait d'office entrer à l'Académie et y siéger comme directeur; pour son morceau de réception, Mignard fit faire en grisaille par Michel Corneille une copie de son Dôme du Val-de-Grâce qui a été gravée par Gérard Audran. En 1691, Louvois le consulta pour la décoration du dôme des Invalides; Mignard lui donna des dessins et, malgré son grand âge, il les voulait exécuter, mais il allait mourir bientôt, ayant travaillé jusqu'à la fin, le 30 mai 1695. On lui fit de grandes funérailles à Saint-Roch et il fut enterré aux Jacobins où sa fille lui fit élever plus tard un monument par Lemoine. Mignard avait eu quatre enfants d'Anna Avolara: trois fils qui moururent sans postérité et une fille, Catherine, qui fut belle comme l'avait été sa mère, et qui, après elle, posa pour les madones de son père: elle épousa en 1696 le comte de Feuquières.

Peintre séduisant et fort, mais d'un charme de distinction un peu froid, Mignard après avoir abusé, dans ses tableaux religieux, de son goût pour Annibal Carrache, trouva l'affirmation de sa puissance personnelle et supérieure dans son admirable fresque du Val-de-Grâce; mais c'est surtout dans la peinture des portraits que son art devenu original se complut et s'épanouit. Du reste, ambitieux et habile, il rechercha de bonne heure l'art du portrait, comprenant tout l'intérêt qu'il en pouvait tirer pour lui-même; sa figure agréable, la séduction de ses manières, son esprit, bien qu'il fût quelquefois chagrin, l'aidèrent à y réussir et firent de lui un courtisan à la mode, tout nerveux qu'il fût, comme le montre son buste par Martin Desjardins qui est au Musée du Louvre. Très considéré et très entouré, Mignard fut lié avec les grands esprits de son temps: Molière, la Fontaine, Racine, Boileau. Et, tandis que Le Brun, pompeux et magnifique, avait pour lui la toute-puissance officielle, Mignard, plus fin, avait les écrivains et les femmes, lui qui avait peint Molière et Bossuet lui qui avait peint la princesse Palatine, la duchesse de Châtillon, la comtesse de Fiesque, Julie d'Angennes, Mlle de Montpensier, Mlle de Valois et sa soeur la grande-duchesse de Toscane, Mme de la Sablière, la duchesse de Brissac, la duchesse de Ventadour, Mme de Montespan et Mlle de La Vallière, Mme de Sévigné et Mlle de Grignan, Mlle de Fontanges, et qui avait peint dix fois Louis XIV. Sa part de succès fut sans doute la meilleure, mais après sa mort une réaction naturelle se fit contre lui et pendant quelque temps on étouffa sa mémoire sous la mémoire déjà plus ancienne de Le Brun. Mignard eut peu d'élèves; en n'en connaît que trois: Sorlay, Nicolas Fouché et un Flamand nommé Carré. Mignard a gravé une Sainte Scholastique; il a fourni de nombreux dessins pour les sujets de thèse qui ont été gravés par Fr. de Poilly; c'est lui qui a donné le dessin de la place des Victoires. Les principaux graveurs de l'oeuvre de Mignard ont été: les Audran, Edelinck, Nicolas Bazin, Masson, Van Schuppen, François et J.-B. de Poilly, Roullet, Gagnières.

On voit de Mignard au musée du Louvre: la Vierge à ta grappe (1656); Jésus sur le chemin du Calvaire (1684); Neptune offrant ses richesses à la France (1687); Ecce homo (1690); la Vierge en pleurs (1690); Sainte Cécile chantant les louanges du Seigneur (1691); la Foi et l'Espérance (1692); Mme de Maintenon en sainte Françoise (1694); Louis XIV (1694); Saint Luc peignant la Vierge (1695), son dernier tableau resté inachevé; et Son portrait, peint vers 1667. Au musée de Versailles: les portraits d’Anne d'Autriche (11159); de Colbert (1660), de Mlle de Blois, enfant (1673), de Louis XIV à cheval (1674), de Catherine Mignard (1677), du Comte de Toulouse en Amour endormi (1680), de Philippe de France, duc d'Anjou (1686). À la chapelle des fonts baptismaux de Saint-Eustache: le Baptême de Jésus-Christ et la Circoncision (1669). À la Comédie-Française: Portrait de Molière dans le rôle de César de la tragédie de Pompée (1658), acheté 6.500 fr. en 1869, un autre Portrait de Molière (1669), acquis en 1875. Aux musées d'Amiens: Bacchus et Un Fleuve et une Naïade; d'Angers: Madone avec l'Enfant Jésus et saint Jean et Portrait de Mme de Sévigné; d'Avignon: deux Portraits et l'Enfant Jésus et saint Jean caressant un agneau; de Besançon: Portrait de femme et l'Automne; de Bordeaux: Portrait de Louis XIV; de Dijon: Son portrait; de Lille: Madone et la Fortune; de Marseille: Portrait de Ninon de Lenclos; de Montpellier: Tête de sainte Anne; de Nancy: Madone et Portrait de la duchesse de Ludres (1677); de Narbonne : Saint Charles Borromée; d'Orléans: Portrait de Catherine Mignard; de Rouen: Jésus les mains attachées et entouré de soldats qui l'outragent et Repos de la Sainte Famille (1690); de Toulouse: le Christ au roseau (1690) et Allégorie; de Troyes: Portrait de Mme de Montespan (1671); au palais de justice de Rouen: le Jugement de Salomon; et à l'église de Saint-Jean de Troyes: Dieu le Père soutenu par des anges et bénissant son Fils (1667). Aux Offices: Portrait de Mme de Sévigné, Portrait de Mme de Grignan et Son portrait (1690); à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg: la Duchesse de la Vallière en Flore, Cléopâtre mourant, le Retour de Jephté, la Famille de Dartus implorant Alexandre et la Vierge et l'Enfant Jésus; à Vienne: Saint Antoine l'ermite dans un paysage au Belvédère et Sainte Famille (1691) à la galerie Liechtenstein; au musée de Berlin: Portrait de Marie Mancini; à la Pinacothèque de Munich: Vierge avec l'Enfant Jésus; au musée de Cologne: Portrait de l'archevêque de Mayence; à Darmstadt: Diane et Endymion; à Stuttgart: Sainte Famille; à Copenhague: Louis XIV et Marie-Thérèse; à Turin: Portrait équestre de Louis XIV et Le Grand Dauphin et la Grande Dauphine; à Modène: Portrait du peintre Jean Boulanger, à Sienne: la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean; à Naples: Portrait du duc de Guise; à Madrid: Saint Jean dans le désert et plusieurs portraits; à Hampton-Court: Portrait de Louis XIV; à l'Historical Society de New York: Sainte Famille et Femme à sa toilette. On notera encore: Jésus et la Samaritaine, au marquis de Grosvenor; les portraits de Julie d'Angennes (1662), à lord Spencer; de Molière (1668), au duc d'Aumale; de la Duchesse de la Vallière entre ses deux enfants (1673), au marquis d'Oilliamson; de Mme de Sévigné (1674), au comte de Luçay; d'Anne d'Autriche (1660) et de Marie-Louise d'Orléans, reine d'Espagne (1677), à M. Le Brun-Dalbanne, et la belle décoration du salon d'honneur du château de Balleroy qui comprend les peintures du plafond représentant Apollon et les Saisons et de nombreux portraits.»

source: Étienne Bricon, article «Mignard» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.] Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vingt-troisième, p. 958-959.

Articles





Articles récents