Libérer la démocratie

Yves Mongeau
Des différentes interprétations de la raison et de l'entendement. Article écrit en collaboration avec Jean Proulx.
«Nous vivons une ère paradoxale. D'un côté, la rationalité nous envahit et nous domine; de l'autre, nous assistons à une véritable éclipse de la raison. Qu'en est-il, au juste? Est-il possible que notre époque soit caractérisée par une sorte de rationalité irrationnelle? Comment peut-on en arriver, au nom de la rationalité, à rejeter dans l'ombre la raison elle-même?

C'est qu'il y a, en fait, divers niveaux de rationalité tout comme il existe différents niveaux de conscience. La "raison" qui pense les significations et fixe les finalités de l'existence personnelle et de la vie collective n'est pas celle qui s'occupe des moyens, des méthodes et des stratégies servant à maîtriser le monde. Une rationalité des moyens fondée sur la science et la technologie peut cohabiter avec une irrationalité des fins, abandonnées aux coutumes, aux traditions, à la volonté de puissance ou tout simplement à l'arbitraire.

Certains penseurs contemporains, héritiers du positivisme ou partisans du marxisme, en viennent aujourd'hui à prophétiser le déclin des idéologies, la fin du politique et la mort de la démocratie. Car, disent-ils, il est devenu évident que la science remplace les idéologies, que le politique n'est qu'une superstructure reflétant les déterministes socio-économiques et que la nécessité du règne des experts ou technocrates conduit à la négation de la démocratie. Il y a là une inquiétante vénération de l'objectivité de la science et de l'efficacité de la technique. Fort étroit, cet horizon de rationalité est celui des moyens et des stratégies; c'est aussi celui de la raison formalisée et instrumentale que nous appellerons l'entendement. En n'accordant de validité qu'à la science et à la technique, c'est à une pareille réduction de la raison à l'entendement que se livrent certains penseurs positivistes ou marxistes.

Nous tenterons de montrer que cette réduction n'est qu'un intermède dans l'histoire de l'esprit, ce que Max Horkheimer appelle une éclipse de la raison, celle-ci se trouvant temporairement occultée par l'entendement. Pourtant, la raison doit occuper sa vraie place dans l'histoire, car l'homme ne vit pas seulement de science et de technique; il se nourrit, d'abord et avant tout, de significations et de valeurs. Or, ces idées universelles et ces finalités ultimes, la raison ne cesse de les exprimer à travers les idéologies, les choix politiques et l'organisation démocratique. Car l'idéologie peut être un discours de la raison; le politique, un choix de la raison; et la démocratie, une organisation socio-politique selon la raison. Si ces voix, grâce auxquelles la raison peut se faire entendre dans l'histoire, venaient à se taire, alors l'homme contemporain devrait faire sienne cette parole prophétique du capitaine Achab dans Moby Dick: "Tous mes moyens sont sensés: mes mobiles et mon but sont fous."


Au-delà de l'entendement: la raison

La "rationalité irrationnelle" dont parlent, par exemple, Horkheimer, Habermas et Marcuse, nous indique qu'il existe au moins deux approches conduisant à des concepts assez différents de la raison.1 La première interprétation de la raison va de Parménide à Hegel, en passant par Platon, les Stoïciens, Augustin, Spinoza et Kant. Elle relève du courant classique de la pensée idéaliste et aboutit au concept ontologique de la raison: conçue objectivement, la raison habite la totalité du cosmos; conçue subjectivement, elle est, dans l'esprit humain qui saisit (comprend) et façonne (transforme) le réel, la structure et le lieu de la signification. Selon cette conception, en effet, le cosmos est habité par le logos, il est imprégné par l'idée, il est lui-même une structure rationnelle et signifiante. De plus, toutes les fonctions théoriques et pratiques de l'esprit - l'art, la science, la philosophie, la religion, l'éthique, le politique, la technique - sont traversées par le logos, participent à cette structure rationnelle d'où émergent les significations et les valeurs. En résumé, il s'agit bel et bien de la structure rationnelle de l'esprit et du réel.2

La seconde interprétation de la raison prend son origine dans l'empirisme anglais des XVIIe et XVIIIe siècles, passe par le positivisme du XIXe siècle et s'achève dans le néopositivisme et le pragmatisme américain contemporain. Elle aboutit au concept scientifico-technique de la raison, qui restreint la rationalité au mode de connaissance empirique, formalisée et utilitaire. Nous donnons à ce concept technique de la raison le nom d'entendement tandis que nous réservons au concept ontologique plus vaste et plus englobant l'appellation de raison.3

Dans la conception empiriste et positiviste, la raison est donc réduite à l'entendement, c'est-à-dire, d'abord et avant tout, à la connaissance objective, fondée sur l'observation des phénomènes, leur explication par des causes nécessaires et leur vérification par des méthodes de plus en plus raffinées. L'entendement en arrive ainsi à formuler les lois de l'univers et du comportement humain. Ces lois, il les formule dans un langage de plus en plus formel, abstrait, mathématisé. L'entendement, en plus d'être une raison constitutive d'objets, est aussi une raison formalisée, pour laquelle la logique, le calcul, l'exactitude et la pertinence comptent plus que la vérité.4 C'est aussi une raison technique, instrumentale et méthodique qui recherche l'utilitaire et le fonctionnel, se préoccupant d'adaptation et de production d'effets pratiques dans le monde. En somme, l'entendement est une raison dominée par la science et la technique. Il apparaît normal que dans la société industrielle avancée, dont les bases sont précisément la science et la technique, on tende à réduire la raison à l'entendement, c'est-à-dire à l'objectivité, à la formalisation et à l'efficacité. Le fait que sur ce point positivisme et marxisme se rejoignent n'a pas de quai étonner celui qui connaît leur commun enracinement dans les postulats et les valeurs de la société industrielle. Mais, avec Max Horkheimer, nous devons reconnaître qu'il ne s'agit là que d'une occultation passagère, c'est-à-dire d'une éclipse de la raison véritable.

Ce que nous appelons raison, en effet, inclut l'entendement, mais possède un champ beaucoup plus profond et un horizon qui s'ouvre sur l'infini. La raison peut justement être définie comme la structure de significations et de valeurs présente dans toutes les fonctions théoriques et pratiques de l'esprit humain, aussi bien dans la moralité et la religion que dans l'ensemble des productions culturelles. Elle est le lieu de germination des idées et des finalités telles que la justice, le bonheur, la liberté, l'égalité, la fraternité, l'amour, qui donnent à l'existence personnelle et à la vie collective leur sens ultime. Ces idées universelles, ressemblant aux essences ou archétypes platoniciens, sont produites, jugées et sanctionnées par la raison. Arbitre suprême, c'est elle qui juge, en dernière instance, les finalités individuelles et collectives.

La raison humaine va encore plus loin: elle vise la signification et la valeur inconditionnées, elle poursuit l'idée la plus englobante, elle recherche, comme le signale Kant, l'unité la plus haute et la plus grande intelligibilité. C'est à ce niveau qu'elle pense, sans les connaître comme objets empiriques, les totalités les plus universelles: la divinité, l'humanité, le cosmos. Pour Hegel comme pour Kant, seule la raison, comprise dans toute son extension, peut penser et viser ces totalités. C'est sur ces étalons universels, sur ces idées régulatrices que toute signification et toute finalité partielle seront mesurées. En définitive, la raison juge toutes les idées et toutes les actions en regard de ces totalités les plus universelles que sont l'idée de Dieu, l'idée d'homme et l'idée d'univers. Elle est présente dans l'art la religion ou la politique pour y trouver et y dévoiler la vérité. Elle est le tribunal, le juge ou l'arbitre qui se prononce sur les significations et les valeurs de l'existence personnelle et de la vie collective. En somme, il y a une rationalité des valeurs et des finalités, par-delà la rationalité des stratégies et des moyens. Les idéologues scientistes qui, à gauche ou à droite, selon J'approche marxiste ou positiviste, prédisent la fin des idéologies, le déclin du politique et la mort de la démocratie, réduisent la raison à l'une de ses fonctions. Pour tout dire, ils identifient l'un des moments de la raison, l'entendement, à la raison elle-même.


L'idéologie: un discours de la raison

"Par des voies différentes, spontanément ou avec l'aide de la police, les deux grandes sociétés (URSS et USA) ont supprimé les conditions du débat idéologique, intégré les travailleurs, imposé une adhésion unanime aux principes de la Cité", affirme Raymond Aron.5 Dans les sociétés libérales, en effet, le pragmatisme des attitudes, le recul du militantisme politique, la puissance de la technologie, la dépolitisation générale et l'accès à une société d'abondance indiquent un certain déclin des idéologies.6 Cox a bien montré comment la vision et l'attitude de l'homme séculier des grandes technopoles tendent à devenir réalistes, pragmatiques, fonctionnelles et, en somme, idéologiques.7

Le néo-positivisme, le pragmatisme et le béhaviorisme contemporains s'enracinent dans l'empirisme anglo-saxon des XVIIe et XVIIIe siècle et dans le positivisme du XIXe siècle. Nous avons déjà indiqué que l'empirisme anglo-saxon tendait à réduire la raison à l'entendement et à ramener toute possibilité de connaissance à la méthode expérimentale. Au XIXe siècle, Saint-Simon et Comte vont chercher à poser les bases d'une politique scientifique et d'une sociologie positiviste, indépendantes de toute passion et de toute valeur reliées à la subjectivité. Durkheim poursuivra cette thérapeutique scientifique et positive qui contribuera à éliminer ces maladies de l'esprit (lue sont la métaphysique, la mythologie et l'idéologie.8 C'est l'avènement de l'âge positif et le triomphe de la rationalité scientifique en Occident.

À l'Est également, dans les sociétés édifiées sur les bases du matérialisme dialectique et historique, les conditions du débat idéologique tendent à être supprimées. Concrètement, "l'idéocratie du parti unique qui se réclame de la science" limite la discussion, nie toute valeur au pluralisme, restreint les droits d'expression et d'association.9 Théoriquement et pratiquement, le marxisme prétend mettre un terme à l'idéologie et à l'utopie et se présente comme l'achèvement scientifique de la philosophie. Marx condamne les "chimères idéologiques" de Cabet, de Fourier et d'Owen, se réclame de l'objectivité des sciences contre les idéologues idéalistes, présente une soi-disant conception scientifique de l'histoire, propose une interprÉtation objective du réel qui, comme l'affirme Althusser, remplace les théories idéologiques passées et présentes.10 De même qu'à l'Ouest l'attitude pragmatique se voyait justifiée par le positivisme, ainsi à l'Est le totalitarisme pratique se fonde sur un dogmatisme théorique. De part et d'autre, on affirme que la science remplace les idéologies.

On feint d'ignorer que cet absolutisme scientifique est lui-même une idéologie qui a nom le "scientisme". L'idéologie scientiste, en effet, affirme que la science suffit à tout expliquer et rend superflue toute explication concurrente. Elle se base sur un concept de science totale et achevée, concept éminemment non scientifique.11 Elle oublie que la science, en tant que connaissance objective, se donne des objets précis et aboutit à des connaissances acquises selon un certain point de vue bien délimité et qu'à ce titre elle ne perçoit que des ensembles partiels. Il n'existe, en effet, aucune perception scientifique de la totalité, aucun discours scientifique qui puisse fonder, unifier et totaliser l'ensemble des significations et des valeurs. Par-delà les analyses scientifiques, ce sont les idéologies qui, au plan politique, fournissent cette totalisation et assurent un ordre de fondation de la vie collective. Cela fait partie de l'illusion scientiste de croire que l'entendement ou la raison formalisée puisse donner à la vie ses fins ultimes et à la collectivité le fondement de ses valeurs.

Ainsi, le thème de la fin des idéologies est en lui-même idéologique et comporte une réduction de l'ordre des valeurs, puisque, comme l'a bien démontré Max Weber, les valeurs échappent à la rationalité scientifique et appartiennent, en dernière instance et contre tout déterminisme, à la conscience libre.12 Il s'agit là, selon l'expression de Max Horkheimer, d'une véritable "dépression idéologique" et d'une réelle "décadence intellectuelle ".13

En somme, lorsque les positivistes proclament la fin des idéologies, ils refusent de se rendre compte qu'ils constatent la prépondérance d'une idéologie sur les autres. La fin des idéologies c'est la domination de l'idéologie scientiste et technocratique de la société industrielle avancée, intériorisée dans les consciences de tous.14 Et la pensée positiviste possède un caractère idéologique inavoué: elle est la philosophie unidimensionnelle qui réduit toute rationalité à la rationalité dominante et propose, finalement, la soumission aux faits établis.15

De même, quand les maxistes parlent, à leur tour, du dépassement de l'idéologie et de l'utopie, ils sont les victimes de l'illusion et de la mystification scientistes. Par leur dogmatisme et leur réductionnisme, ils justifient les totalitarismes qui s'annexent les idéaux humains, ils légitiment la dictature du parti unique, dont l'idéocratie se réclame de la science, pour imposer le silence le plus total aux "dissidents" et faire régner ce que Soljénitsyne appelle "la tyrannie idéologique".

Ainsi, la dissidence en pays communistes et la prise de conscience occidentale des limites de la société industrielle avancée et de sa philosophie positiviste nous rappellent la nécessité du débat idéologique. Si la science se rattache à l'entendement, l'idéologie, de son côté, relève de la raison qui juge les significations ultimes et propose les valeurs fondamentales pour l'existence personnelle et la vie collective. L'idéologie est un discours de la raison, puisqu'elle fournit à un groupe humain sa représentation idéale, lui indique ses raisons de vivre et fixe les finalités de sa vie collective. En tant que discours de la raison, ses fonctions essentielles sont celles du ralliement et de la justification. En effet, en désignant des finalités et des valeurs, l'idéologie rassemble ceux qui en font le choix. De plus, en fournissant une représentation totale de l'homme et de sa réalité sociale, elle justifie un choix de valeurs et fonde en raison les choix politiques.16

L'idéologie est liée à l'action politique. En proposant son choix d'institutions et de valeurs, ce qu'elle défend, finalement, c'est un ordre socio-politique, que représentation de la vie sociale, un sens de la vie collective. Or, aucun sens, aucune représentation, aucun ordre n'épuisent l'ensemble des possibilités de "l'universel humain", bien qu'ils visent cette totalité ou, pour parler comme Kant, cet inconditionné. C'est pourquoi, croyons-nous, le pluralisme idéologique doit, en fin de compte, exister. Pour préserver toute la richesse de l'essence et de la socialité humaines, il importe qu'existe un débat idéologique en vue de la prise du pouvoir politique, Ainsi, le pluralisme lui-même peut être fondé en raison. Et c'est l'idéocratique et le dogmatisme qui appariassent comme irrationnels. C'est au nom de la dignité humaine, en deçà de laquelle se situent tout positivisme et tout scientisme réductivistes que les conditions du débat idéologique doivent être préservées. Discours de la raison en vue de rallier un groupe humain et justifier l'action dans le domaine politique, l'idéologie ne peut être remplacée par le discours de la science, qui relève de l'entendement.


Le Politique: un choix de la raison

La fin du débat idéologique signifie la fin du politique. Car le politique réside essentiellement dans le choix d'un ordre, selon lequel certaines institutions, certaines lois et certaines valeurs sont privilégiées. Or, les critères de cet "ordre juste" sont multiples, parce que les idées de socialité et d'humanité sont vastes et n'épuisent jamais toutes leur virtualité dans des conditions déterminées ou dans quelque ordre concret que ce soit. Ce qui définit le politique, c'est la pluralité des choix possibles et, par conséquent, le nécessaire débat idéologique accompagné des inéluctables conflits en vue de la prise du pouvoir. Car le pouvoir est le moyen de réalisation de l'idée qu'on se fait de l'ordre juste.

Ceux qui proclament actuellement la fin du politique affirment, par le fait même, la fin du choix des finalités sociales et la fin du débat idéologique. Dans la problématique positiviste, on annonce la fin du politique parce qu'on prétend que la science est devenue capable de résoudre l'ensemble des problèmes politiques. Désormais, dit-on, le politique est une affaire de science et de technique. L'État moderne, institution de la civilisation scientifique et technique, est de plus en plus soumis aux conclusions de l'analyse scientifique et aux impératifs de la planification technocratique. L'État est devenu, par nécessité, une administration centralisée, scientifique, neutre idéologiquement, technocratique et fonctionnelle. St-Simon avait déjà opposé une politique scientifique à une politique métaphysique et soutenu l'idée que le politique exécute les jugements d'une intelligentsia scientifique, seule capable de dicter la décision qui réponde aux contraintes objectives de la situation.17

Du côté marxiste, de même, on annonce la fin des idéologies et du politique. Se concevant comme la science en laquelle s'achève la philosophie, le marxisme prône l'avènement d'une scientifisation du politique. Mais c'est aussi par le biais du déterminisme économique et par sa conception du politique comme superstructure que le marxisme signe l'arrêt de mort du politique. La domination des faits économiques, en effet, tend à nier toute autonomie et toute spécificité au politique. Associés au thème du dépérissement de l'État dans l'utopique société sans classes, le déterminisme économique et la scientifisation du politique constituent l'essentiel de la thèse marxiste de la fin du politique.

Une fois de plus s'opère une réduction de la raison à l'entendement. Une théorie politique positiviste et déterministe, à prétention scientifique, entend se substituer à une théorie philosophique et normative. Pourtant, dès qu'il s'agit de droits ou de valeurs, c'est la raison qui les fixe et en demeure l'arbitre. C'est elle qui juge ultimement les idées politiques en les mettant en rapport avec les idées d'humanité et de socialité. Si les droits et les valeurs ne peuvent être démontrés scientifiquement, comme le pense justement Max Weber, cela ne signifie pas pour autant qu'ils soient irrationnels, comme il l'affirme par ailleurs. Les idées d'ordre, de bien commun, de sécurité, de concorde, de prospérité, de progrès, de participation et d'autorité qui relèvent du politique passent devant le tribunal de la raison qui les met en rapport avec ces idées plus hautes encore de bonheur, de justice et de liberté, et ce "règne des fins" s'inscrit à son tour dans le développement cohérent de l'idée dc l'homme et de sa socialité.

Cependant, si le choix politique se tourne d'un côté vers les finalités et tente de les fonder en raison - ce qui, rappelons-le, fonde l'idéologie elle-même - de l'autre, il cherche à tenir compte des contraintes objectives de la civilisation scientifique et technique ainsi que de la situation particulière où il s'enracine. C'est dire que le choix politique est à la fois affaire de raison et d'entendement, volonté des fins et stratégie des moyens, réponse à l'appel des valeurs et respect de l'exigence des faits. Le rattacher à la pure raison conduirait à une position idéaliste; le réduire à l'entendement aboutirait au positivisme, au pragmatisme et ultimement à la scientifisation du politique, c'est-à-dire à la fin du politique.

Il faut plutôt envisager une sorte de dialectique entre la raison et l'entendement, hors de toute réduction de la première au second. C'est en ce sens qu'Habermas s'oppose au "modèle technocratique", tel que le conçoit St-Simon, qui ramène la décision politique à l'exécution des impératifs de la science et de la technique interprétés par les experts: ici, le pratique (c'est-à-dire l'éthique et le politique) est réduit au technique. Habermas s'oppose, par ailleurs, au "modèle décisionniste" de Max Weber, selon lequel il existe une rationalité scientifique des moyens et des stratégies, s'accompagnant d'une irrationalité dans le domaine des fins et des valeurs: cette fois encore, la raison est dissoute et ne subsiste que la rationalité scientifico-technique de l'entendement. À ces deux visions des rapports entre le savant et le technocrate, d'une part, et le politique, d'autre part, Habermas oppose un "modèle pragmatique" que nous appellerions dialectique, puisqu'il tente de concilier la logique des valeurs avec les contraintes objectives d'une civilisation construite sur la science et la technique. Dans ce contexte, l'homme politique demeure attentif aux besoins réels de la communauté démocratique, les transforme en une volonté politique, ultimement basée sur la conception idéale ou la compréhension de soi que se donne la collectivité elle-même. À ce niveau, c'est la raison qui décide en faveur d'une idée de la justice ou de l'ordre. Et cette "raison décidée", comme il l'affirme, en nous indiquant un destin raisonnable de la communauté, rétablit l'unité de la théorie et de la pratique et ouvre les voies à la raison dans l'histoire.

Selon ce modèle dialectique, l'homme politique se fait attentif aux propos des savants et des technocrates qui lisent la logique de la situation et les exigences de la civilisation industrielle. L'expert informe l'homme politique sur les possibilités offertes par la technique et sur les stratégies que permet la problématique objective des faits. Mais cette logique des contraintes objectives relève du savoir et du pouvoir de la raison technique, autrement dit de ce que nous appelons l'entendement. Ainsi les finalités peuvent s'imposer dans le respect de la situation. Ainsi la raison décide en s'appropriant les lumières de l'entendement. En tout État de cause, quels que soient les caractères objectifs de la société présente ou future, ils laissent place à des jugements de valeurs et à des choix, ils permettent l'alternative, car ces conditions ne peuvent satisfaire toutes les aspirations de l'homme et n'épuisent aucunement les virtualités de "l'universel humain". La dissidence, la révolte ou l'opposition aux faits établis, même difficiles demeurent possibles.

Ce que la pensée positive dit de l'homme politique, elle l'affirme aussi de l'État. En effet, l'État serait devenu un pouvoir enchaîné à la technicité, soumis au déterminisme de la science, asservi aux contraintes objectives de l'économie. En somme, l'État technicisé, que certains nomment l'État fonctionnel, serait forcé d'obéir aux impératifs et de se soumettre aux nécessités de la société technicienne, qui lui dicterait ses objectifs. Ce serait un Léviathan téléguidé.19

C'est une lois de plus prendre une vérité partielle pour la vérité totale; c'est ériger certains faits en droits; c'est faire de phénomènes conjoncturels des nécessités durables. Il est évident que la société industrielle avancée, fondée sur la rationalité scientifico-technique, impose à l'État certaines contraintes objectives. Ces contraintes délimitent des moyens, des tactiques, des stratégies et des objectifs concrets dont l'entendement doit tenir compte. Elles n'empêchent pas l'État, cependant, d'être encore ce qu'il est essentiellement depuis sa naissance dans l'histoire: une idée de droit qui veut se réaliser par la médiation du pouvoir. L'État, comme l'affirme Hegel, est une médiation vers l'universel, une objectivation de l'esprit, puisqu'il est le lieu de la soumission de la collectivité au droit. La constitution d'un État exprime cette idée de droit ou cette représentation de la socialité qu'une collectivité se donne pour elle-même.20 Ainsi, l'État est produit de l'esprit et, comme lui, idée et pouvoir. Il crée des règles de droit sous forme de lois. Fondamentalement, l'État est donc une idée de la raison. Qu'il doive être aussi fonctionnel, efficace, technique, cela tombe sous le sens. L'idée de socialité qu'une collectivité humaine se donne a besoin, pour se réaliser dans l'histoire, d'adopter certaines stratégies et de tenir compte des conditions objectives du progrès. Mais cela est affaire d'entendement. Et l'État, d'abord et avant tout idée de droit, nous rappelle le destin raisonnable des communautés humaines.


La démocratie: une institution de la raison

En 1848, Marx écrivait: "un spectre hante l'Europe: le communisme". En 1978, je dirais: "Deux spectres hantent l'Europe: la liberté et l'Armée rouge". Il dépend de notre courage et de notre clairvoyance que la liberté l'emporte.21

Ces phrases cinglantes de Raymond Aron nous rappellent qu'il y a une première manière d'étouffer la démocratie et la liberté: une Armée rouge, capable d'effectuer, par exemple, le "coup de Pragme", grâce auquel des blindés exemple refoulent les aspirations à la liberté d'un peuple désarmé. L'armée rouge, en somme, n'est qu'un symbole de toutes les dictatures pour qui, de la Russie au Chili, la violence et le mensonge institutionnalisés sont le pain quotidien. N'est-ce point mensonge, en effet, que ce "centralisme démocratique" dont on parle en URSS et "qui signifie le contraire de la démocratie, à savoir le pouvoir absolu du Comité central sur l'ensemble du parti" et sur l'ensemble du peuple?22

Mais il y a une autre manière d'assurer la mort de la démocratie: le meurtre de la raison, régulatrice de l'agir, responsable des finalités, instigatrice des valeurs et de l'idéal qui empêche tout asservissement aux faits établis. Car c'est bien de cette raison, aussi, qu'émergent les idées de liberté et d'égalité sur lesquelles se fonde ultimement l'idée démocratique elle-même. Ainsi, penser, à la manière de certains positivistes, qu'il est désormais possible à des élites professionnelles politiquement neutres, d'organiser scientifiquement la société, c'est proclamer la mort de la démocratie. De même, croire qu'une administration scientifique des choses par des experts et des technocrates peut remplacer le gouvernement des hommes par eux-mêmes c'est, pour ainsi dire, remettre entre les mains de l'entendement ce qu'on croyait être, jusqu'à aujourd'hui, le destin raisonnable des communautés humaines.23 On le constate maintenant: le thème du déclin des idéologies conduit à celui de la fin de la politique, et celui de la fin du politique s'ouvre à son tour sur la perspective macabre de la mort de la démocratie. En effet, lorsque les contraintes objectives de la société technicisée constituent les impératifs politiques qu'administre une armée sans couleur de technocrates, c'en est fait de la démocratie et des idées qui la fondent en raison. Une fois de plus, on tend ici à nier que le savoir et le vouloir pratiques, où se situent l'éthique et le politique, dépassent largement, tout en les incluant, le savoir et le vouloir techniques, où s'affirme la domination de l'homme sur la nature.24 Le rêve technocratique de déterminer les besoins et les valeurs par chiffres et statistiques s'associe alors au rêve bureaucratique d'administrer et de contrôler efficacement ces besoins et ces valeurs. Ce règne de l'expert signe l'arrêt de mort du citoyen, tout comme l'impérialisme de l'entendement marque l'effacement de la raison.

De toute évidence, le citoyen pour lequel est conçue la démocratie est un être essentiellement raisonnable et libre. Le peuple des citoyens est formé d'hommes présumément éclairés par la raison et aptes à exercer leurs droits et libertés. Rousseau disait que la démocratie était faite pour un peuple de dieux. Ce "dieu", c'est précisément le citoyen possédant cette capacité essentielle d'agir rationnellement et de décider des finalités de la vie collective.25 La démocratie, présupposant l'homme rationnel, crée en même temps les conditions qui rendent l'homme capable de raison et de moralité.26 On le voit, l'idée même du citoyen nous renvoie, par-delà l'entendement, à la raison qui fixe les finalités de l'existence personnelle et de la vie collective. La démocratie est une foi dans la dignité humaine. En créant des conditions favorables - libertés civiles, pluralisme, régime représentatif -elle rend possible et cultive cette dignité que la technocratie et la bureaucratie tendent à nier.

Le pluralisme lui-même nous indique que la démocratie prend racines dans la raison. Distinction des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire; respect de l'hétérogénéité de la sphère publique et de la sphère privée; acceptation de la diversité des groupes sociaux, de la multiplicité des partis et de la pluralité des idéologies; toujours le pluralisme empêche l'asservissement à un groupe dominant, fut-il celui des technocrates, et la domination d'une idéologie, fut-elle l'idéologie scientiste. Car dans une société pluraliste, "le pouvoir arrête le pouvoir".27 En préservant ainsi la diversité des formes et des styles de la vie collective, le pluralisme nous renvoie à cette idée que "d'universel humain" (l'essence humaine) n'épuise l'ensemble de ses virtualités dans aucune pensée, ni aucune action, ni aucune réalisation historique. A la limite, cette idée d'humanité, que la raison pense naturellement, dirait Rousseau, fonde l'ordre démocratique et pluraliste et assure la haute considération dans laquelle sont tenues les idées de liberté et d'égalité, qui résument à elles seules tout l'idéal démocratique. Partout, au nom de la raison et de l'homme, il faut travailler à affermir ou à rétablir les conditions du débat idéologique et, plus largement, du pluralisme lui-même, avant que la rationalité scientifico-technique n'ait définitivement créé l'homme et la société unidimensionnels, en somme l'automate standardisé socialement et manipulé politiquement. La raison seule peut imposer des limites à l'entendement. Et la rationalité des fins demeure, même dans une société technicienne, la mesure de la rationalité des moyens et des stratégies. Une inversion, en ce domaine, signe une fois de plus l'arrêt de mort de la raison, des idées de liberté et d'égalité et, pour tout dire, de l'idéal démocratique lui-même.

Ce sont, en effet, ces deux idées de la raison qui portent en elles toute la richesse et la puissance de l'idéal démocratique. La première, l'idée de liberté, après avoir inspiré la démocratie athénienne antique, a été au principe même de l'édification politique du Nouveau monde et de la révolution de 1789. Elle a inspiré, plus largement encore que l'idée d'égalité, les grandes démocraties libérales de l'Occident, dont l'un des principaux théoriciens demeure Alexis de Tocqueville.28 Elle a fondé ce que l'on nomme la théorie classique de la démocratie, c'est-à-dire la démocratie politique. Reposant sur la conception de l'homme comme citoyen, sujet de droits, la démocratie politique, rattachée à la pensée libérale, affirme avec force les libertés personnelles et politiques: liberté de conscience, d'opinion, d'association, de presse, du choix des représentants, etc. Soucieux de préserver les libertés du citoyen et les droits de la personne, les théoriciens de la démocratie politique prônent donc la nécessité du pluralisme des partis, des pouvoirs et des idéologies.29

Les théoriciens de la démocratie sociale, dont Marx demeure l'un des grands porte-parole, ont qualifié ces droits du citoyen de "libertés formelles", les opposant aux "libertés réelles", c'est-à-dire à l'égalité concrète des moyens et des chances, à l'égalité réelle des conditions socio-économiques de l'existence. On le voit, l'idée d'égalité inspire, davantage que l'idée de liberté, cette conception de la démocratie sociale. Les "libertés réelles" résident donc dans cette égalité socio-économique concrète en regard du travail, du bien-être, de la sécurité sociale, de l'éducation, etc. La démocratie sociale est ainsi fondée sur une satisfaction égalitaire des besoins socio-économiques de l'ensemble du peuple. À la limite, comme dans les démocraties dites populaires, on est prêt à sacrifier les "libertés formelles" pour sauvegarder les "libertés réelles". En d'autres termes, on préfère l'idée d'égalité à celle de liberté.

Nous pensons, pour notre part, que partout où la scission de ces deux idées de la raison tend à s'accroître, c'est l'idée démocratique elle-même qui est menacée de dissolution. En effet, les démocraties politiques dites libérales, fondées sur le respect des libertés personnelles et politiques, à cause même des inégalités socio-économiques qu'elles maintiennent, tendent à préserver les libertés de quelques-uns et à devenir de véritable oligarchies, conduisant à l'État de classe. Par ailleurs, les démocraties sociales dites populaires, fondées sur l'égalité concrète des chances et des moyens socio-économiques, à cause même du peu de respect qu'elles accordent aux libertés politiques, deviennent de véritables dictatures à parti unique, débouchant sur l'État totalitaire.

À notre avis, ce que ni les dictatures du prolétariat ni les démocraties libérales ne peuvent réaliser, c'est-à-dire le maintien de l'équilibre entre la liberté et l'égalité de même que l'affirmation conjointe d'une démocratie politique et d'une démocratie sociale, il nous semble que la social-démocratie peut l'accomplir. Elle apparaît, en effet, comme le meilleur compromis pour la sauvegarde des libertés politiques et des libertés sociales. Economie mixte de propriété privée et de propriété publique, d'entreprise libre et d'intervention Étatique, elle ne compense pas l'acquisition des libertés collectives et sociales par la perte des libertés personnelles et politiques. Par le maintien des institutions constitutionnelles pluralistes, elle conserve le meilleur de l'inspiration des démocraties libérales; par l'intervention Étatique, sous forme de nationalisation, de planification économique et de législation sociale, et avec l'aide du progrès technologique, elle assure la diffusion du bien-être et recueille ainsi le meilleur de l'ambition prométhéenne des démocraties populaires.30 Comme l'affirme Rousseau, c'est par législation que sont préservés les droits et libertés politiques des citoyens, et c'est par législation que peuvent être réduits les écarts socio-économiques et que peut être assurée l'égalité. En somme, à l'intérieur de la social-démocratie, droit de propriété, droit d'association, liberté de conscience, liberté de presse, élections libres accompagnent droit au travail, impôt progressif, répartition des revenus, sécurité sociale, accès à l'éducation et participation de tous au bien-être collectif. Ici, dans le projet humaniste de la social-démocratie, la science et la technique sont mesurées par les principes de liberté et d'égalité, énoncés par la raison. La social-démocratie exige un règne des fins et donc le contrôle de l'entendement par la raison.

Le déclin des idéologies, la fin du politique, la mort de la démocratie, voilà qui indiquerait une éclipse de la raison au coeur de nos sociétés contemporaines, puisque fondamentalement l'idéologie est un discours de la raison, le politique, une décision de la raison et la démocratie, une institution de la raison. Aucun domaine n'échappe à la raison, ni la pensée, ni l'action, ni les institutions de la culture. Une occultation temporaire de la raison par l'entendement ne signifie pas la transformation définitive de l'homme en mécanisme dominé par la science ou le dogmatisme. Au contraire, les conditions du débat idéologique existent toujours, le politique laisse encore une place aux choix fondamentaux et les hommes exigent de plus en plus la participation sociale et politique. Il faut oeuvrer à maintenir partout les conditions du débat idéologique, afin de libérer le politique du fatalisme scientifique et du dogmatisme doctrinaire. Il faut maintenir vivante l'action politique, afin de libérer la démocratie de la tyrannie technocratique et bureaucratique. Alors, la raison retrouvera sa place dans l'histoire, celle qui lui revient de droit, la première. La tâche de l'homme n'est-elle point de rendre possible ce qui est nécessaire?»


Notes

1 HORKHEIMER, M., Eclipse de la raison. Paris, Payot, 1974; HABERMAS, J., La technique et la science comme «idéologie». Paris, Gallimard, 1973; MARCUSE, H., L'homme unidimensionnel. Paris, Editions de Minuit, 1968.
2 TILLICH, P., Théologie systématique, t. 1, Raison et révélation. Paris, Editions Planètes, 1970, p. 143 ss.
3 Nous réinterprétons donc ici la distinction kantienne entre raison et entendement. Cette distinction appartient aussi à Hegel.
4 HORKHEIMER, M., op. cit., pp. 21, 40, etc.
5 ARON, R., L'opium des intellectuels. Paris, Gallimard, coll. Idées, no 175, p. 421.
6 BIRNBAUM, P., La fin du politique. Paris, Seuil, 1975, p. 30 ss,
7 COX, H., La cité séculière. Tournai, Casterman, 1968, p. 87 ss.
8 BIRNBAUM, P., op. cit., p. 43 ss.
9 ARON, R., Essai sur les libertés. Paris, Calman-Lévy, coll. Pluriel, Le livre de poche, no 8301, p. 71 ss.
10 BIRNBAUM, P., op. cit., p. 53 ss.
11 BAECHLER, J., Qu'est-ce que l'idéologie? Paris, Gallimard, Idées, no 345, p. 19.
12 WEBER, M., Le savant et le politique. Paris, Union générale d'éditions, coll. 10/18, no 134, p. 76 ss.
13 HORKHEIMER, M., op. cit., p. 91ss.
14 HABERMAS, J., op. cit., p. 33.
15 MARCUSE, H., op. cit., p. 193 ss.
16 BAECHLER, J., op. cit. L'auteur présente une approche très claire et très féconde de l'idéologie, qu'il juge d'ailleurs irremplaçable par la science. Mais c'est finalement, à la manière de Max Webber, au nom de l'irrationalité des valeurs et des finalités de l'existence. C'est identifier rationalité et science. Nous pensons, au contraire, qu'il existe une rationalité des valeurs et des fins qui relève, non de l'entendement, mais de la raison.
17 BIRNBAUM, P., op. cit., p. 45; HABERMAS, J., op. cit., pp. 97 ss.
18 HABERMAS, J., op. cit., p. 97 ss; Théorie et pratique. Paris, Payot, 1975, pp. 87 ss.
19 BURDEAU, G., L'État. Paris, Seuil, coll. Politique, no 35, p. 147 ss.
20 Ibid, p. 57 ss.
21 ARON, R., Plaidoyer pour l'Europe décadente.Paris, Laffont, Le livre de poche, coll. Pluriel, no 8320, p. 525 ss.
22 ARON, R., op. cit., p. 61.
23 BIRNBAUM, P., op. cit., introduction.
24 HABERMAS, J., La technique et la science comme «idéologie», op. cit., p. 75 ss.
25 BIRNBAUM, P., op. cit., p. 236 ss.
26 ARON, R., Essai sur les libertés, op. cit., p. 215.
27 Ibid., p. 212.
28, TOCQUEVILLE, A., De la démocratie en Amérique. Paris, Union générale d'éditions, coll. 10/18, nos 111 et 112.
29 BURDEAU, G., La démocratie. Paris, Seuil, coll. Politique, no 1, pp. 63 ss; ARON, R., op. cit., p. 71 ss.
30 ARON, R., op. cit., p. 71 ss.

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