Les érables de Norvège envahissent le mont Royal

Daniel Baril
Le parc du Mont-Royal est un patrimoine naturel à préserver, affirme le botaniste Jacques Brisson.
En 2005, le mont Royal a été classé arrondissement historique et naturel, ce qui en fait l’un des rares sites au Canada à posséder cette double désignation. Mais le milieu naturel est en voie d’être profondément transformé, si ce n’est pas de disparaitre.

La forêt d’origine qui couvrait le mont Royal était composée d’érables à sucre, de caryers et de chênes rouges. Selon des relevés faits dans le parc par Jacques Brisson, professeur à l’Institut de recherche en biologie végétale, et son étudiante à la maitrise Joëlle Midy, l’érablière du mont Royal est encore dominée par l’érable à sucre, mais l’érable de Norvège s’imposera à la prochaine régénération.

«Parmi les arbres de plus de 10 ans, nous avons dénombré 4200 érables à sucre et 1200 érables de Norvège. Mais pour ce qui est des semis et des gaules, le rapport est exactement l’inverse; il y a trois fois plus d’érables de Norvège que d’érables à sucre», a précisé le professeur dans une communication présentée au congrès de l’ACFAS le 17 mai.

Un bon guerrier

L’érable de Norvège a été introduit au Québec et ailleurs en Amérique pour sa résistance à la pollution urbaine et pour sa croissance rapide. C’est cet érable qu’on retrouve en bordure des rues de Montréal. Il en existe plusieurs variétés, dont le Crimson, avec son feuillage rouge distinctif, et le Columnar, planté dans les endroits exigus en raison de sa forme en colonne.

L’invasion du mont Royal est due à des interventions humaines effectuées dans les années 60 et 70 afin de reboiser certaines parties du parc, alors qu’on en ignorait les conséquences à long terme. Le boisé qui longe le boulevard du Mont-Royal dans l’arrondissement d’Outremont en est un exemple.

Dans le secteur du campus, l’érablière d’origine est assez bien conservée dans la partie la plus haute, mais le boisé entre la station de métro Université-de-Montréal et les Résidences est maintenant dominé par des semis d’érables de Norvège.

«L’érable de Norvège est plus prolifique que l’érable à sucre et tolère mieux l’ombre, explique Jacques Brisson. C’est pourquoi il s’étend plus rapidement. Il a peut-être aussi d’autres avantages compétitifs que nous ne connaissons pas du côté des herbivores et des agents pathogènes.»

Un emblème malmené

Cet arbre ressemble à s’y méprendre à l’érable à sucre. Le profane doit attendre l’automne pour pouvoir les distinguer; contrairement à l’érable à sucre, qui se pare de teintes rouges et orangées, l’érable de Norvège vire au jaune et à l’ocre. C’est pourquoi les rues de Montréal sont si peu colorées à cette saison alors que les forêts des Laurentides et de l’Estrie sont flamboyantes.

On peut aussi les différencier par les samares. Celles de l’érable à sucre sont inclinées vers le bas et tendent à être parallèles tandis que celles de l’érable de Norvège sont alignées à l’horizontale. Les feuilles permettent également d’établir la différence entre les deux arbres, mais il faut être un botaniste averti pour la relever: on compte cinq pointes principales sur la feuille de l’érable à sucre et sept sur celle de l’érable de Norvège. Mais étant donné la diversité de formes entre les feuilles d’une même espèce et dans un même arbre, il faut en examiner plusieurs pour poser un diagnostic clair.

Malgré cette proximité, il n’y aurait pas d’hybridation entre les deux espèces, affirme Jacques Brisson.

Cette ressemblance en a toutefois confondu plus d’un, comme le professeur s’est amusé à le signaler. En 2002 par exemple, la Monnaie royale canadienne a produit une pièce de collection de cinq dollars frappée d’une feuille d’érable et de ses samares, mais c’est un érable de Norvège qui y figure à titre de symbole national! La même erreur a été répétée à deux occasions par Postes Canada sur ses timbres, malgré le fait que la confusion avait été signalée.

Même sur la pièce commune de un cent, ce n’est pas l’érable à sucre qu’on voit. Les feuilles correspondent à celles de l’espèce indigène, mais elles sont disposées en alternance sur le rameau, alors qu’elles devraient être en opposition. «C’est un arbre inexistant», déclare Jacques Brisson.

Menaces sur l’écosystème

Aux yeux du botaniste, non seulement l’invasion menace le mont Royal en tant qu’hôte du symbole national, mais elle pourrait également avoir des répercussions écologiques sur l’ensemble des espèces animales et végétales de la montagne.

«L’érable de Norvège réduit la lumière en sous-bois et nous avons observé une croissance plus lente des frênes et des érables à sucre là où il est dominant. L’effet est léger pour le moment, mais il va aller en s’aggravant au fur et à mesure que les repousses de l’érable de Norvège vont croître. Il pourrait aussi y avoir des effets inconnus sur les insectes.»

Aux États-Unis et en Ontario, l’érable de Norvège est maintenant considéré comme une espèce envahissante dont il faut limiter l’expansion. Selon le professeur Brisson, la conservation de l’intégrité de la forêt du mont Royal nécessite une intervention pour contrer l’envahisseur. Sans aller jusqu’à l’abattage des arbres matures, il lui apparait possible et facile de ralentir la progression de l’érable de Norvège par l’éradication des jeunes pousses. C’est ce qu’il entend proposer dans un rapport à remettre à la Ville de Montréal.

Le professeur estime également que le parc du Mont-Royal a une valeur éducative et que ses caractéristiques esthétiques liées à la présence d’érables à sucre ajoutent à la nécessité d’en préserver le caractère unique.


Daniel Baril, "Les érables de Norvège envahissent le mont Royal", Forum (Université de Montréal), vol. 40, no 31, 29 mai 2006.

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Association des Restaurateurs des Cabanes à Sucre du Québec

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Institut québécois de l'érable

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