Pays, paysans, paysages

Pays, paysan, paysage

 Suite aux élections québécoises du 7 avril dernier, marquée par la défaite du Parti québécois et de son projet souverainiste, je me suis plongé dans la presse internationale dans un effort pour mieux comprendre les événements locaux en les rattachant aux grandes tendances mondiales. Comme il arrive souvent dans les recherches de ce genre, j'ai trouvé mieux et plus que ce que je cherchais. Je m’intéressais au sort des pays et j’ai découvert qu’il était lié à celui des paysans et des paysages. D’où le titre de mon article et cette revue de presse par laquelle il commence.

 Pays

 Mainmise de Google sur les revenus publicitaires locaux et nationaux.

 Un grand patron de la presse allemande, Matthias Döpfner, de la Bild Zeitung, a osé dire le fond de sa pensée sur cette question, à ses risques, car de son propre aveu, il avait tout à perdre en s’attaquant à un Goliath qui se moque des règles de la transparence. Voici ce qu'on pouvait lire dans Le Monde du 17 avril 2014 :

 «D'après les chiffres fournis par la fédération des éditeurs de presse allemands, Google encaisse outre-Rhin 70 % des recettes publicitaires du Net, soit environ 3 milliards d'euros. En face, les principaux éditeurs se partagent la somme de 300 millions. « Ce sont eux qui investissent dans les contenus que Google rentabilise », résume leur porte-parole, Peter Klotzki.

 Pour Matthias Döpfner, ce qui se joue aujourd'hui dans la presse – « l'expropriation des contenus » – n'est qu'une première étape. « Lorsque la même chose se produira avec les données personnelles des gens (…), la question de savoir à qui elles appartiennent sera l'une des principales questions politiques d'avenir. »

 Questions difficiles à résoudre dans un secteur où les frontières tant géographiques qu'intellectuelles restent floues, et face à un groupe dont le directeur général, Larry Page ,« rêve d'un lieu sans protection des données ni responsabilité démocratique».

 Pour mettre ces événements en perspective, il faut se rappeler qu'au début de la décennie 1930 le Canada, avec l’appui du Québec, a créé la société Radio-Canada pour empêcher les Google de l’époque de créer un monopole dans le domaine de la radio. On invoquait une autre raison, mais on croit maintenant rêver en l’évoquant : la souveraineté culturelle. L’éducation est du ressort des pays, osait-on dire, la radio est un outil d’éducation, donc il faut que les pays en conservent le contrôle et les revenus.

 Les élections québécoises du 7 avril

 «La part des revenus publicitaires en ligne que se réserve Google». Voilà l’une des vraies affaires dont il aurait dû être question lors de la campagne électorale qui s’est terminée au Québec le 7 avril dernier. On a plutôt vu un élan vers la souveraineté et vers la diversité culturelle se briser contre une conception sans originalité du progrès économique, conception à laquelle le parti québécois, au pouvoir, s’était d’ailleurs rallié, ne s’y opposant que par une revendication identitaire frileuse et maladroite appelée Charte de la laïcité. Quant au reste, ce parti jouait les mêmes cartes de la mondialisation que son adversaire principal, le parti libéral. Pas un mot sur la déshumanisation résultant des plus récentes suppressions d’emplois : facteurs, changeurs du métro de Montréal, préposés à la lecture des compteurs d’électricité; pas un mot sur la nature des nouveaux emplois promis. S’agira-t-il d’emplois sous laisse électronique comme ceux qu'Amazon vient de créer à Châlon sur Saône? Il faut s’attendre en effet à ce que, en attendant que le prix des robots baisse, on robotise les travailleurs pour leur faire remplir les mêmes tâches à bon compte.

Outre les promesses attendues de transparence et d’intégrité, pas un mot sur les valeurs, ni aucun message explicite sur le sens de l’histoire dans lequel les Québécois sont entraînés; un message implicite toutefois : dans un Québec déjà hyper médicalisé, malade de sa santé, un médecin aux quatre postes les plus importants : le premier ministre, Philippe Couillard, le ministre de la santé, Gaétan Barrette, le ministre de l’éducation, Yves Bolduc, le secrétaire du conseil exécutif, patron de tous les fonctionnaires, Juan Roberto Iglesias. Ou bien ce nouveau gouvernement engagé sur la voie de l’austérité fera les coupures là où elles s’imposent avec le plus d’évidence, et où elles ne feront de mal à personne : en cessant par exemple de rembourser les médicaments inefficaces et en éliminant les actes médicaux superflus. Ou bien il faudra conclure que le corporatisme est plus fort que jamais au Québec et que le quatuor médical abandonne la maîtrise du jeu en santé à l’industrie médicale. On aura alors la preuve qu'il faut séparer le pouvoir médical de l’État. Premier test : quelle sera la position du quatuor face à la compagnie Gilead qui offre le Soldavi, son médicament contre l’hépatite C, à 84,000$? (voir à ce propos notre article intitulé Eternity is Money).

 

Abandon de souveraineté dans les traités internationaux

 Nous serons bientôt rattrapés par la réalité des traités de libre-échange négociés dans le plus grand secret. Les Européens commencent à voir les enjeux du traité négocié avec les USA, qui duplique le traité en cours de négociation entre le Canada et l'UE. Dans les deux cas, on tente de remplacer la justice de l'État pour arbitrer les litiges entre celui-ci et les grandes entreprises par une justice arbitrale privée, à laquelle ces entreprises sont associées par la nomination d'arbitres.

 Paysans

 Suicide parmi les paysans

 «Mort sur la ferme! Les paysans sont une race en voie d’extinction, notamment parce qu’ils se suicident à un rythme record.» Tel est le message que l’on pouvait lire sur la page couverture du de l’édition du 18 avril de Newsweek. Depuis la crise de la décennie 1980, apprend-on ensuite, le taux de suicide des paysans américains est demeuré deux fois plus élevé que celui de la moyenne de la population. En Inde, 270 000 paysans se sont suicidés depuis 1995. En France, un paysan se donne la mort tous les deux jours. En Chine, les paysans s’enlèvent la vie pour protester contre la saisie de leur terre à des fins d’urbanisation. En Angleterre, la catastrophe de la vache folle a provoqué une cascade de suicides parmi les paysans. En Éthiopie, leur gouvernement les dépouille de leurs terres ancestrales sans même les en aviser : ils apprennent un jour en gardant leur troupeau que leurs terres appartiennent à des Indiens. Dans un article récent de The Guardian, on situe le nombre d’hectares vendus au cours des cinq à dix dernières années entre 56 millions et 227 millions d’hectares, dont 70% en Afrique. Pour fins de comparaison, le territoire de la France est de 55 millions d’hectares.

En Afrique, les données sont encore imprécises, mais on n’exagère sûrement pas en affirmant que l’équivalent de l’ensemble du territoire français été vendu à des étrangers : pays arabes producteurs de pétrole, Européens, Indiens, Américains, Chinois.

Quant au Québec, il ressemble aux États-Unis sur ce point comme sur tant d’autres. «Selon les données disponibles, un agriculteur sur deux serait en détresse psychologique et les agriculteurs québécois sont deux fois plus susceptibles de passer à l'acte que le reste de la population en général.

J’hésite à raconter l’histoire de l'américain Dean Pierson: il a tué ses 51 vaches, avant diriger sa carabine contre sa propre tête.

 Les explications données à ce suicide dans Newsweek du 18 avril 2014 sont vraisemblables mais superficielles. Les uns mettent en cause les pesticides, d’autres les armes à feu, d’autres les fluctuations du marché, d’autres encore le get big or get out. À cette liste, il faudrait ajouter les effets secondaires des médicaments psychotropes prescrits aux paysans en détresse, mais il ne faut pas demander à un journaliste de Newsweek de formuler une hypothèse si contraire à l’esprit du temps dans son pays.

 De toute évidence le mal est plus profond : le paysan n’aime plus son métier depuis qu'on l’a industrialisé et technicisé à outrance brisant ainsi son lien symbiotique et sacré avec la terre. Terra educat. La terre nourrit. Quand on a de bonnes raisons de penser que la terre empoisonne plutôt que de nourrir, peut-on encore l’aimer? Ce sont des auteurs comme Bernard Charbonneau en France , Wendell Berry aux États-Unis et Roméo Bouchard au Québec, qu'il faut lire pour bien comprendre ce phénomène.

Vol de profils et viol de visages

 Par paysan, j’entends ici non seulement ceux qui travaillent la terre, mais encore ceux qui vivent en symbiose avec un paysage, ce paysage fût-il urbain. Ce second type de paysan est aussi menacé que le premier. Si nous n’avons pas la sagesse d’utiliser les outils virtuels pour nous rapprocher du réel, notre identité risque fort de se réduire à un profil et un visage numériques dégradés en marchandise.

 Nos cartes de décrit, nos achats en ligne, nos choix sur internet, nos recours au GPS permettent aux manipulateurs du Big Data de dresser notre profil pour en faire un usage dont personne ne pourra jamais préciser les limites. C’est ainsi qu'un père de famille de Minneapolis a appris que sa fille de 17 ans était enceinte. La compagnie Target avait appris l’heureuse nouvelle avant lui en suivant jour après jour l’évolution du profil de sa fille.

 À défaut de présences réelles, les gens aiment bien montrer leur visage en ligne. Quoi de plus naturel. Dans ces conditions toutefois, vous ferez bien de porter un masque opaque si vous participez à une manifestation contre les Big Brothers des agences nationales de sécurité. Sans quoi les algorithmes desdites agences pourront vous identifier et mettre ensuite des drones à votre poursuite. Cette pratique étant devenue possible grâce aux progrès de la biométrie, elle est aussi devenue nécessaire. L’algorithme mesure la distance entre vos yeux et entre vos rides avec une précision telle qu'il peut reconnaître votre visage parmi les millions d’autres visages que contient la base de données. Newsweek a consacré à cette question son grand dossier du 25 avril 2014. 

 Paysages

Dans une livraison récente, le Nouvel Observateur nous faisait découvrir les villes flottantes des maîtres californiens du monde virtuel : usage fou d’un argent fou fourni par une humanité exangue tombée dans le piège de services promis à la plus folle rentabilité à la condition d’être d’abord offerts gratuitement : google, facebook, you tube, twitter, internet Explorer, quels cadeaux en effet, au début! Mais maintenant, quels monopoles et quels fabuleux outils de publicité, de propagande et de surveillance au profit, non pas même d’un pays, les États-Unis, mais d’une bande de transhumanistes ivres de leur succès au point de ne pas se rendre compte qu'ils sont eux-mêmes des engrenages dans un système technicien soumis à une loi de l’accélération totalement indépendante des volontés humaines...

 Commentaires du Nouvel Observateur : «Mais les seigneurs de la Silicon Valley voient encore plus loin : ils imaginent à présent de créer des "pays" à eux, des communautés offshore, où la technologie règne en maître. Leur projet fétiche?? Une myriade de cités marines, ne dépendant d’aucun gouvernement souverain. Dans ces villes flottantes modulaires, on ne paierait pas d’impôts, on réglerait ses factures en bitcoins, on ne consommerait que de l’énergie verte, on apprendrait en ligne, on serait livré par drone et soigné à coups de thérapie génomique…»

 Délirant? Non : face à la faillite des économies occidentales, les fondateurs et dirigeants de Google, Facebook, Amazon ou Apple et leurs financiers californiens pensent qu’ils feraient mieux que les politiques. Persuadés d’être les nouveaux maîtres du monde, les oligarques de la technologie jugent les gouvernements de la planète incapables de suivre le rythme de leurs innovations "de rupture". Ils rêvent de s’émanciper des lois qui s’appliquent au commun des mortels. Et expriment, parfois, des velléités sécessionnistes. Au péril de la démocratie??

 Les journaux du 26 avril nous apprenait que le Québec aura bientôt sa première ville clôturée, conçue sur le modèle des Gated Towns américaines, ces ancêtres des villes flottantes californiennes.

À l’image des fusées qui suscitent des rêves de colonies sur Mars, les hommes s’éloignent de la terre. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’accélère. Si au moment de l’exposition universelle de 1967 on pouvait encore, dans le respect des faits et des mentalités, célébrer la Terre des hommes, il nous faut aujourd’hui observer la Terre d’un côté, les Hommes de l’autre.

 Si l’on en juge par le cinquième rapport du GIEC :

qui fait état de la croissance de l’émission des gaz à effet de serre, le système politico-économique mondial est incapable de réagir aux défis de l’environnement avec la souplesse des êtres vivants. Faut-il s’en étonner? Ce système voué au développement des machines est lui-même une machine.

 Aldous Huxley et Le Meilleur des mondes

 Ce qui nous ramène au Meilleur des mondes. Cette utopie de Huxley rassemble, illustre et concrétise les grandes tendances dominantes en ce moment : mondialisation, marchandisation, technicisation. Devant ces tendances, pays, paysans et paysages s’effacent peu à peu.

 Pour les lecteurs de Jacques Ellul ou de Lewis Mumford et de bien autres auteurs, Simone Weil, L.Klages, G.Thibon, Ivan Illich, Bernard Charbonneau, c’est là un processus depuis longtemps prévisible et prévu. C’est l’accélération dudit processus qui doit retenir attention en ce moment. Elle atteint un rythme tel que cela devrait normalement semer le doute dans l’esprit des progressistes les plus inconditionnels.

 Dans le roman de Huxley la prédiction est d’une précision étonnante. Petit-fils de Thomas Henry Huxley, un savant comparable à Darwin, frère du biologiste Julian Huxley, lecteur de Freud et de Pavlov, vivant à Londres, au centre de l’empire britannique, il était particulièrement bien placé pour apercevoir les innovations technologiques à l’état d’imperceptibles ébauches.

Il avait d’abord sous-estimé le rythme auquel les changements se produiraient. Le Meilleur des mondes a paru en 1932. Dans la préface de l’édition de 1946, Huxley écrit : «À tout bien considérer, il semble que l'Utopie soit plus proche de nous que quiconque ne l'eût pu imaginer, il y a seulement quinze ans. À cette époque je l'avais prévue dans un avenir étalé sur six cents ans . Aujourd'hui il semble pratiquement possible que cette horreur puisse s'abattre sur nous dans un délai d'un siècle.»

Un siècle, c’est bientôt : 2046. Des savants ont d’autre part prédit que l’année 2045 marquera l’heure de gloire du transhumanisme, plus précisément selon Dmitry Itskov, disciple russe de Ray Kurzweil, l’année de l’immortalité sur terre, de la Singularité, de la transposition du cerveau-esprit sur un disque dur et du transfert de ce disque dans le crâne d’un robot! Ce qui est raconté dans le film Transcendence.

 Familier avec les sciences et les techniques de son époque, Aldous Huxley avait aussi par sa mère, nièce du poète Matthiew Arnold, des racines profondes dans la grande tradition culturelle européenne. Lecteur de Spinoza, traducteur d’Homère, Matthieu Arnold fut aussi un ami de Wordsworth et du Cardinal Newman. Un milieu de cette qualité devait rendre Aldoux Huxley –  il était aussi un ami de D.H Lawrence,l’auteur de Lady Chatterley – , apte à compléter ses prédictions par des jugements de valeur.

Tout cela aide à comprendre pourquoi Le Meilleur des mondes a été le décalogue de deux générations en Occident. Jusqu’à la fin de la décennie 1980, les gens y trouvaient la liste des choses à éviter pour empêcher l’échec irrémédiable de la civilisation: la distraction permanente, l’eugénisme, la pilule du bonheur, la sexualité sans affectivité, la disparition du père, celle de la mère, de la nation (nascere), la rupture du lien avec la nature et avec le passé, le rejet de la mort, l’euthanasie, le conditionnement, la robotisation, une perfection calquée sur celle de la machine, la surveillance permanente, le totalitarisme.

 Loin d’être considérées comme des choses à éviter, les mêmes tendances sont perçues aujourd’hui comme des signes de progrès. Sauf le totalitarisme. Par leur usage des cartes de crédit, du GPS, des réseaux sociaux, des moteurs de recherche, les gens acceptent librement de se placer sous surveillance. Les risques qu'ils prennent ainsi semblent à leurs yeux largement compensés par les nouveaux choix qui s’offrent ainsi à eux.

 Le génie de Huxley a été de montrer que les nouvelles tendances par rapport auxquelles on a déjà beaucoup de peine à se situer quand on les considère séparément, forment un système  cohérent. L’histoire va dans ce sens. Il n’est plus permis d’en douter (voir en annexe notre commentaire sur le Meilleur des mondes destiné à ceux qui n’en conservent qu'un vague souvenir).

L’avenir

 On est à l’heure du «ou bien ou bien». L’avenir des pays, des paysans et des paysages est dans la résistance à ce Système  mondialisation-meilleur des mondes. Cette résistance doit elle-même être systémique. Les tâches à accomplir s’imposent avec la force de l’évidence. Si on ne s’en acquitte aujourd’hui par idéal, il faudra le faire demain par nécessité pour l’excellente raison qu'il faudrait dix planètes pour alimenter un tel progrès.

 Voici quelques-unes de ces tâches. On remarquera qu'elles correspondent à des choix déjà faits par de nombreux groupes et individus. Notre premier but en les présentant ici en conclusion est de faire apparaître la nécessité d’une démarche lente en vue d’un lointain consensus, dont le point de départ serait une réflexion sur les questions fondamentales, la première de ces questions étant : Où voulons-nous aller? Vers «la mondialisation-meilleur des mondes» ou vers une association de petits mondes imparfaits, mais vivants et humains? Pour mériter le titre de partis nouveaux ou renouvelés, les partis politiques devront d’abord faire la preuve qu'ils ont été capables d’une telle réflexion. Ils devront certes composer avec une réalité dont la maîtrise leur échappera en grande partie, mais ils ne pourront éviter que leurs concessions au Système ne soient perçues comme des prostitutions, à moins qu'ils n'aient fait la démonstration de leur pertinence.

 Philosophie

* A la liberté capricieuse du consommateur, substituer la liberté responsable du citoyen et de l’habitant de la Terre.

 * Au corporatisme, substituer des communautés de destin où le spéculateur doit se solidariser avec l’éboueur son voisin, plutôt qu'avec ses homologues de la planète entière.

 * À l’hétéronomie de la machine, substituer l’autonomie du vivant. Faire en sorte que les gens vivent plutôt que de se contenter de fonctionner.

 * Au soma et autres solutions magiques et extérieures, substituer une spiritualité centrée sur un lien symbiotique avec la nature, sur l’incarnation et sur une humilité donnant le sens de limite et de la finitude.

 Politique et économie

* Aux grands réseaux virtuels mondiaux et monopolistiques, substituer des chaînes de réseaux nationaux et régionaux, comme on l’a fait pour la radio au moment, vers 1930, où les États-Unis envisageaient d’un monopole mondial dans ce domaine. C’est à ce moment que la Société Radio-Canada a été créée. Au lieu de la faire disparaître, comme le gouvernement Harper a commencé à le faire, on devrait la développer dans une autre direction, pour lui permettre de faire concurrence à Google et à Facebook. Si le gouvernement d’Ottawa refusait de s’engager dans cette voie, le Québec, souverain ou non, devrait confier ce mandat à Télé Québec.

 * Affirmer haut et fort que les données personnelles sur Internet appartiennent aux personnes et non aux entreprises qui en font commerce.

 *Limiter à 10% la part de la publicité en ligne offerte aux monopoles comme Google.

 * Protéger davantage le territoire agricole. En Uruguay, où une telle protection n’existe pas, les multinationales et les pays étrangers ont en quelques années pris possession de 30% du territoire.

* Soutenir l’agriculture biologique et les fermes de petite et de moyenne taille.

 * Donner à tous accès à la propriété.

 * Économiser l’énergie.

 * Créer des emplois qui puissent donner un sens à la vie

 

Annexe

 Dans le Meilleur des mondes, la sexualité est séparée à la fois de l’affectivité et de la reproduction. Elle est un jeu sans engagement ni prolongement dont les acteurs sont interchangeables. Tu me plais, je te plais, n’attendons pas de nous aimer pour nous satisfaire l’un par l’autre et l’un de l’autre. Il pourrait en résulter un attachement, fâcheux prélude à ce qu'on appelait les familles. Dans le Meilleur des mondes, la famille, source de tant de maux dans le passé, est interdite. Ni vierge, ni mère! C’est le grand commandement qui pèse sur le destin des femmes.

 Nous n’en sommes pas encore tout-à-fait là, mais les tendances les plus fortes, comment en disconvenir,  convergent dans cette direction. La fécondation in vitro, de par sa nature même faisait passer le père au second plan, la mère porteuse réduisait le rôle de la mère à un lien juridique, et à l’horizon l’utérus artificiel aggrave ce problème. «D’ici la fin du siècle, prédit le biologiste Jacques Testard, si l’économie ne fléchit pas, la totalité des fécondations se fera in vitro

 L’eugénisme s’est imposé dans ces conditions sans se heurter au moindre obstacle digne de ce nom. Dans des cas comme celui de la trisomie 21 la culpabilité est même reportée sur la femme qui refuse le diagnostic prénatal de crainte qu'il n’entraîne un avortement non désiré. On n’est pas encore à la fabrication de classes sociales génétiques comme dans le Meilleur des mondes, mais en Chine du moins, où il n’existe pas de tabous en cette matière, les jeunes génies de la génétique, regroupés dans le plus grand centre de recherche en génomique au monde, le BGI, affirment avec une candide fierté que leur but est de fabriquer des hauts quotients intellectuels en série. Quand on aura trouvé la formule pour atteindre cet objectif, on aura chemin faisant découvert les formules plus simples des êtres inférieurs, et ces êtres inférieurs il faudra bien les créer à leur tour pour s’assurer que toutes fonctions nécessaires dans une société soient bien remplies. C’est ainsi qu'en dessous des alpha, on verra apparaître des bêtas, des kappas, des deltas et des epsilons!

 Après l’eugénisme, logiquement l’euthanasie, ce que Huxley avait parfaitement compris. La vie d’un vieillard inutile n’a pas plus de sens que celle d’un embryon taré. D’où dans le Meilleur des mondes, le départ forcé à soixante ans. Forcé non, car au pays de Sa Forderie, on n’a pas recours à la contrainte physique; on se limite à la contrainte psychologique obtenue par voie de conditionnement. Nous n’en sommes pas là, nous permettons l’euthanasie, non pour nous débarrasser des grands malades contre leur gré mais pour les aider disposer d’eux-mêmes selon leur volonté. L’argument économique toutefois n’est jamais totalement absent et il affleure souvent à travers l’idéal humanitaire de donner à chacun le choix du moment de sa mort. Et il y a un point commun encore plus inquiétant entre la fin de vie dans le Meilleur des mondes et celle d’aujourd’hui : l’atmosphère dans les départements de soins palliatifs :

 «C’était une vaste pièce, claire sous le soleil et la peinture jaune, et contenant vingt lits, tous occupés. Linda mourait en compagnie — en compagnie et avec tout le confort moderne. L’air était constamment vivifié par des mélodies synthétiques gaies. Au pied de chaque lit, en face de son occupant moribond, il y avait une boîte à télévision. On laissait fonctionner la télévision, tel un robinet ouvert, du matin jusqu’au soir. Tous les quart d’heure, le parfum dominant de la salle était changé automatiquement.

—Nous essayons, expliqua l’infirmière qui avait pris le Sauvage en main dès la porte, nous essayons de créer ici une atmosphère complètement agréable — quelque chose d’intermédiaire entre un hôtel de premier ordre et un palace de cinéma sentant, si vous saisissez bien ce que je veux dire.» p.335

 L’âme d’un être humain ce sont les pierre précieuses qui se déposent au fond du vase lorsqu’il est au repos. Il y a deux façons non pas de tuer cette âme, la chose est impossible, mais de l’empêcher de se manifester : la torture et le conditionnement par l’intensité du message et sa répétition, qui brise le lien entre le fond de l’être et la sensibilité et la distraction permanente qui maintient l’eau du vase dans une agitation telle que jamais les pierres ne peuvent se déposer et donner ainsi une seconde dimension à la personne. La première méthode est celle de Staline et d’Hitler, celle aussi du roman de Orwell, 1984. La seconde méthode, la tyrannie du bonheur, est celle de Huxley : un bonheur constamment renouvelé de l’extérieur, à chaque instant de nouveaux stimuli suscitant une nouvelle réponse. Se distraire à en mourir, dira Neil Postman à propos du monde réel actuel.

 Cela suppose une possibilité de choix illimitée pour ce qui est des choses superficielles et extérieures : spectacles de théâtre, de cinéma, destinations de voyage, partenaires sexuels du moment — une liaison de quatre mois c’est un retour à un passé honni et à toutes ses inutiles et douloureuses attentes non satisfaites.

 De toute évidence Huxley connaissait encore mieux les drogues que les techniques de conditionnement, ce qui permet de comprendre pourquoi le soma, le parfait antidépresseur a une telle importance dans ce roman. À l’origine, le soma était une drogue tirée d’une plante inconnue (asclepias acida peut-être), précise Huxley dans The Brave New World revisited. L’envahisseur Aryen l’avait introduite en Inde où elle était consommée selon des rites précis dans les cérémonies religieuses les plus solennelles. Un hymne védique dit qu'elle était une bénédiction pour ceux qui la buvaient : elle les remplissait de courage, de joie, d’enthousiasme, elle illuminait leur esprit et, dans une expérience immédiate de la vie éternelle, leur apportait une confirmation de leur immortalité.

 Mais le soma des origines, comme toutes les drogues depuis, avait hélas son envers. Il était si dangereux que même le dieu du ciel Indra s’exposait à la maladie en le consommant. Quant aux êtres ordinaires qui osaient se mesurer aux dieux en la consommant à leur tour, ils en mouraient souvent.

 Le soma du roman n’a aucun effet secondaire qu'elle qu'en soit la dose : une faible dose procure la béatitude, une dose moyenne donne des visions, une dose forte induit en quelques minutes un sommeil réparateur. L’excès, les fortes doses répétées provoquent certes la mort, mais cette mort étant un délice n’est pas la mort. On reconnaît là un autre thème du Meilleur des mondes : la mort apprivoisée au point d’être niée. On familiarise les enfants avec la mort – car ils devront tous gentiment déposer leurs armes à soixante ans, en l’associant dans leur esprit, par voie de conditionnement, à des odeurs et des sons agréables.

 Point de mère, point de père, point de lien avec le passé. Rupture aussi de tous les liens avec la nature. «Les primevères et les paysages, fit-il observer, ont un défaut grave : ils sont gratuits. L'amour de la nature ne fournit de travail à nulle usine. On décida d'abolir l'amour de la nature, du moins parmi les basses classes; d'abolir l'amour de la nature, mais non point la tendance à consommer du transport. Car il était essentiel, bien entendu, qu'on continuât à aller à la campagne, même si l'on avait cela en horreur. Le problème consistait à trouver à la consommation du transport une raison économiquement mieux fondée qu'une simple affection pour les primevères et les paysages. Elle fut dûment découverte. — Nous conditionnons les masses à détester la campagne, dit le Directeur pour conclure, mais simultanément nous les conditionnons à raffoler de tous les sports en plein air. En même temps, nous faisons le nécessaire pour que tous les sports de plein air entraînent l'emploi d'appareils compliqués. De sorte qu'on consomme des articles manufacturés, aussi bien que du transport. »p.59

 Les sports olympiques actuels ne sont-ils pas caractérisés par l’emploi d’appareils de plus en plus compliqués? Mais dans ce cas, il y a encore place pour le progrès puisqu’il existe encore des marcheurs aimant les fleurs sauvages… et s’accommodant des moustiques, depuis longtemps chassés du Meilleur des mondes.

 

 

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