Dumas (père) Alexandre

24 / 07 / 1802-05 / 12 / 1870
Maurice Tourneux

Les divers épisodes de la vie de Dumas ont été tant de fois contés par lui-même ou par d’autres jusque dans leurs moindres détails qu’il suffirait de résumer brièvement les principales circonstances de cette existence si prodigieusement active, ainsi que les grandes œuvres qui en marquent les étapes, puis de grouper, dans l’ordre chronologique, et par leur nature même, les autres écrits de Dumas, dont la paternité lui a été contestée, ou ceux-là même qu’on pourrait, de son propre aveu, retrancher de son avoir. (...)

Restée veuve en 1806 et réduite aux modiques ressources que lui concédait le titre de son mari, Mme Dumas ne put faire donner au fils issu de cette union qu’une éducation extrêmement sommaire et incomplète. L’enfant tenait, par contre, de son père, une constitution athlétique, une aptitude naturelle à tous les exercices du corps et une santé robuste. Les premiers chapitres de ses Mémoires renferment de nombreuses preuves de ce triple privilège, dont Dumas se montre presque aussi fier que de ses dons intellectuels et qui favorisèrent singulièrement les frasques de son adolescence, longuement contées aux mêmes pages. D’abord clerc d’avoué à Villers-Cotterets, puis à Crépy-sur-Oise, il vint en 1823 à Paris solliciter l’appui des anciens compagnons d’armes de son père, ralliés, pour la plupart, à la Restauration. Éconduit de divers côtés, il ne fut accueilli avec bienveillance que par un membre de l’opposition, le général Foy qui, aussi frappé de ses talents de calligraphe qu’affligé de son ignorance, lui procura une place d’expéditionnaire dans les bureaux de la chancellerie du duc d’Orléans. Le jeune homme, qui se proposait bien un jour de vivre de sa plume, se trouva néanmoins fort heureux de devoir à son écriture un traitement de 1200 fr. qui lui permettait de ne plus être à la charge de sa mère et lui laissait assez de loisirs pour apprendre tout ce qu’il ne savait pas et nommément l’histoire de France. Bientôt il osa faire imprimer ses premiers essais : une Élégie sur la mort du général Foy (1825, in-8); un dithyrambe en l’honneur de Canaris (1826, in-12) et un petit volume de Nouvelles contemporaines (1826, in-12). En même temps, il collaborait à deux vaudevilles, La Chasse et l’Amour (Ambigu-Comique, 22 septembre 1825) et La Noce et l’Enterrement (Porte Saint-Martin, 21 novembre 1826), tous deux signés Davy et dont il partagea les minces profits avec son camarade de jeunesse, Adolphe de Ribbing (de Leuven), James Rousseau, Lassagne et Gustave Vulpian. D’autres tentatives dramatiques plus sérieuses, tirées de la conjuration de Fiesque ou de l’épisode des Gracques, demeurèrent alors inédites, tandis qu’un passage d’Anquetil lui inspirait le drame d’où datent ses véritables débuts : Henri III et sa cour (cinq actes, en prose), représenté sur le Théâtre-Français le 11 février 1829, et demeuré depuis au répertoire (*), lui valut de véritables ovations; le duc d’Orléans, bien que fort peu sympathique à son subordonné, ne dédaigna pas de donner lui-même le signal des applaudissements et le nomma bibliothécaire adjoint aux appointements annuels de 1500 fr. Alexandre Dumas avait écrit avant Henri III un autre drame reçu dès le 30 avril 1828 par le comité du même théâtre et dont diverses circonstances avaient fait ajourner la représentation : ce drame, c’était Christine ou plutôt, pour lui donner le titre sous lequel il fut définitivement joué à l’Odéon le 30 mars 1830, Stockholm, Fontainebleau et Rome, trilogie en cinq actes et en vers, avec prologue et épilogue. Son succès ne fut pas moins vif que celui de Henri III, et Dumas se vit dès lors considéré comme l’émule de Victor Hugo; mais cette rivalité n’avait pas encore altéré leurs bons rapports personnels. Convié par Hugo à une lecture de Marion Delorme, alors arrêtée par la censure, il avoua hautement son admiration; de son côté, dit-on, Victor Hugo aurait, aidé d’Alfred de Vigny, retouché une centaine de vers de Christine, mal accueillis le soir de la première représentation.
Dumas avait depuis quelques mois dit pour toujours adieu à la vie administrative et travaillait à plusieurs drames lorsque éclata la révolution de 1830. Il fit le coup de feu parmi les insurgés et, sur l’ordre de La Fayette, se rendit en hâte à Soissons où, avec le concours de quelques habitants, il protégea une importante poudrière et en assura la possession au parti vainqueur. Puis il partit pour la Vendée avec mission d’y provoquer la formation d’une garde nationale chargée de défendre le pays contre une nouvelle chouannerie que tout pouvait faire craindre. Admis au retour à faire connaître au roi lui-même son impression sur l’état des esprits, Dumas ne lui dissimula pas combien le remède lui semblait dangereux et insista sur la nécessité d’ouvrir à travers le Bocage et le Marais des voies de communication qui rendraient plus difficile la guerre civile qu’on redoutait. Bien que le second de ses conseils ait été suivi plus tard, le résultat de l’enquête ne raffermit point le crédit de Dumas auprès de Louis-Philippe; son élection de capitaine dans l’artillerie de la garde nationale parisienne, devenue l’un des foyers de l’opposition à la monarchie du 9 août, une visite intempestive aux Tuileries avec l’uniforme de ce corps supprimé par décret la veille même, le refus de prestation de serment exigé pour la remise du brevet et des insignes de la croix de Juillet, la présence de Dumas aux obsèques du général Lamarque, prélude des journées des 5 et 6 juin 1832, tels sont les principaux épisodes de cette période de politique militante à laquelle, par bonheur, Dumas ne tarda pas à renoncer, mais qu’il fallait rappeler sommairement ici.

Une violente passion conçue pour Mme Mélanie Waldor (fille de Villenave), et à laquelle celle-ci, mariée à un officier, ne pouvait légalement répondre, inspira à Dumas ce drame où, sous le nom d’Antony, il s’est peint lui-même, a-t-il dit, «moins l’assassinat» et où il a peint, sous le nom d’Adèle Hervey, la maîtresse adorée, «moins la fuite», et qui, merveilleusement interprété par Bocage et Mme Dorval (Porte-Saint-Martin, 3 mai 1831), obtint alors une centaine de représentations. En 1834, il fut question de le transporter à la Comédie-Française, mais un article du Constitutionnel le dénonça comme immoral; l’interdiction, alors prononcée par le ministre de l’intérieur, fut levée seulement à la fin du second Empire, et de nos jours (*) Antony a repris sa place dans la série des matinées classiques organisées par l’Odéon. De 1831 à 1843, et sans préjudice des autres œuvres qui seront rappelées plus loin, Dumas occupa les diverses scènes de Paris avec les pièces suivantes: Napoléon Bonaparte ou Trente Ans de l’histoire de France, drame en six actes (Odéon, 10 janvier 1831), écrit en huit jours chez Harel qui retenait l’auteur en chartre privée; Charles VII chez ses grands vassaux, tragédie en cinq actes (Odéon, 20 octobre 1831), mal accueillie du public, malgré des beautés de premier ordre; Richard Darlington, drame en trois actes et en prose avec un prologue (Porte-Saint-Martin, 10 décembre 1831), dû à la collaboration de Beudin et de Goubaux qui en avaient fourni à Dumas l’idée première, empruntée aux Chroniques de la Canongate de Walter Scott, et où Frédérick Lemaître déploya un talent prodigieux; Térésa, drame en cinq actes (Opéra-Comique, Théâtre-Ventadour, 6 février 1832) dont le scénario primitif était d’Anicet-Bourgeois; Le Mari de la Veuve, comédie en un acte et en prose (Théâtre-Français, 4 avril 1832), avec la collaboration d’Anicet-Bourgeois et de Durrieu qui ne furent point nommés sur le titre de la brochure; La Tour de Nesle, drame en cinq actes et neuf tableaux (29 mai 1832), l’un des succès les plus retentissants et les plus prolongés du théâtre contemporain (*), mais qui souleva entre Frédéric Gaillardet, auteur du texte primitif, Jules Janin qui l’avait retouché et Dumas qui avait presque entièrement récrit la pièce, une polémique terminée par un duel avec le premier et par un procès; Catherine Howard, drame en cinq actes (Porte-Saint-Martin, 2 avril 1834), tiré par Dumas d’un autre drame resté inédit et intitulé Edith aux longs cheveux; Angèle, drame en cinq actes (Porte-Saint-Martin, 28 décembre 1833), avec la collaboration d’Anicet-Bourgeois; Don Juan de Maraña ou la Chute d’un ange, mystère en cinq actes, musique de Paccini (Porte-Saint-Martin, 30 avril 1836), imité en partie des Ames du Purgatoire de Prosper Mérimée; Kean, comédie en cinq actes et en prose (Variétés, 31 août 1836), autre grand succès de Frédérick Lemaître qui se renouvela plus tard à l’Ambigu et à la Porte-Saint-Martin; Piquillo, opéra-comique en trois actes avec Gérard de Nerval, musique de Monpou (Opéra-Comique, 31 octobre 1837); Caligula, tragédie en cinq actes et en vers avec prologue (Théâtre-Français, 26 décembre 1837), dont la chute rappela celle de Charles VII et n’est pas mieux justifiée; Paul Jones, drame en cinq actes (Panthéon, 8 octobre 1838), représenté contre le gré de l’auteur qui avait laissé le manuscrit à l’agence dramatique Porcher en nantissement d’un prêt; Mademoiselle de Belle-Isle, drame en cinq actes et en prose (Théâtre-Français, 2 avril 1839), resté au répertoire; L’Alchimiste, drame en cinq actes en vers (Renaissance, 10 avril 1839), auquel, s elon Quérard, Gérard de Nerval et Cordellier-Delanoue auraient collaboré; Bathilde, drame en trois actes et en prose (salle Ventadour, 14 janvier 1839), avec Auguste Maquet (seul nommé sur l’affiche et sur la brochure) et Cordellier-Delanoue; Un Mariage sous Louis XV, comédie en cinq actes, avec Leuven et Brunswick (Théâtre-Français, 1er juin 1841), restée aussi au répertoire (*); Lorenzino, drame en cinq actes et en prose, avec les mêmes collaborateurs (Théâtre-Français, 24 février 1842); Halifax, comédie en trois actes en prose avec prologue (Variétés, 2 décembre 1842); Les Demoiselles de Saint-Cyr, comédie en cinq actes et en prose, avec Leuven et Brunswick (Théâtre-Français, 25 juillet 1843), qui provoqua entre le principal auteur et Jules Janin une polémique violente et qui, mal accueillie le soir de la première représentation, trouva un peu plus tard et garda le succès dont elle était digne; Louise Bernard, drame en cinq actes et en prose, avec Leuven et Brunswick (Porte-Saint-Martin, 18 novembre 1843); Le Laird de Dumbicky, comédie en cinq actes et en prose, avec les mêmes (Odéon, 30 décembre 1843); Le Garde forestier, comédie en deux actes en prose avec les mêmes (Variétés, 15 mars 1845). En dépit de sa longueur, cette liste ne renferme que les pièces signées par Dumas, avouées par lui ou réimprimées dans les deux éditions collectives de son Théâtre (1834-1836, 6 vol. in-8, ou 1863-1874, 15 vol. in-12), mais non celles qu’il tira de la plupart de ses romans.

Il nous faut maintenant revenir en arrière et rappeler les titres des principaux récits qui ont tour à tour distrait, ému ou charmé deux ou trois générations et qui se subdivisent en impressions de voyages, en romans et en chroniques historiques.

Dumas a lui-même raconté comment, après l’insurrection de juin 1832 et une atteinte de choléra, dont il se ressentit d’ailleurs une partie de sa vie, les médecins et ses amis lui conseillèrent de quitter Paris durant quelques mois. De cette première excursion à travers la Bourgogne et la Suisse datent ces fameuses Impressions de voyage qui forment l’une des parties les plus attrayantes de son œuvre et qui ont si légitimement contribué à sa popularité. Ce sont, dans l’ordre chronologique: Impressions de voyage [en Suisse] (1833, 5 vol. in-8); Excursions sur les bords du Rhin (1841, 3 vol. in-8); Une année à Florence (1840, 2 vol. in-8); Nouvelles impressions de voyage [Midi de la France] (1841, 3 vol. in-8); Le Speronare (1842, 4 vol. in-8), voyage en Sicile avec le peintre Jadin et son bouledogue Mylord; Le Corricolo (1843, 4 vol. in-8); et La Villa Palmieri (1843, 2 vol. in-8), relatifs au même séjour dans le sud de l’Italie; De Paris à Cadix (1848, 5 vol. in-8); Le Véloce ou Tanger, Alger et Tunis (1848, 4 vol. in-8) qui forme la suite du précédent; Le Caucase (1859, in-4); De Paris à Astrakan (1860, 3 vol. in-12), réimpr. sous le titre collectif de : En Russie. À cette série se rattachent, sans en faire cependant partie : l’ouvrage intitulé Quinze jours au Sinaï (1839, 2 vol. in-8), rédigé sur les notes du peintre Dauzats, ainsi que L’Arabie heureuse, pèlerinage d’Hadji-Abd-el-Hamid-Bey [Du Couret] (1855, 6 vol. in-8, ou 1860, 3 vol. in-8); Les Baleiniers, journal d’un voyage aux Antipodes par le Dr Félix Maynard (1861, 2 vol. in-12) et le Journal de Mme Giovanni à Taïti, aux îles Marquises et en Californie (1855, 4 vol. in-8), présentés comme revus et mis en ordre par Alex. Dumas, sans que sa collaboration soit parfaitement établie.

C’est par de courtes nouvelles que débuta le romancier qui devait entreprendre et mener à leur fin les plus longues et les plus captivantes inventions de la littérature moderne. Le Cocher de cabriolet, Blanche de Beaulieu (déjà publiée dans les Nouvelles contemporaines), Cherubino et Celestini, Antonio, Maria, et Le Bal masqué, Jacques Ier et Jacques II ont été réimprimés sous le titre de Souvenirs d’Antony (1835, in-8); Pauline et Pascal Bruno ont reçu le titre collectif de La Salle d’armes (1838, 2 vol. in-8). Viennent ensuite des œuvres de plus longue haleine : Le Capitaine Paul (1838, 2 vol. in-8), dont, si l’on en juge par un ex-dono de Dumas, l’idée première appartiendrait à Dauzats; Acté, suivi de Monseigneur Gaston de Phebus (1839, 2 vol. in-8); Aventures de John Davy (1840, 4 vol. in-8); Le Capitaine Pamphile (1840, 2 vol. in-8); Maître Adam le Calabrais (1840, in-8); Othon l’Archer (1840, in-8); Aventures de Lyderic (1842, in-8); Praxède, suivi de Don Martin de Freytas et de Pierre le Cruel (1841, in-8); Georges (1843, 3 vol. in-8), dont, selon Mirecourt, Félicien Malefille aurait pu revendiquer la paternité; Ascanio (1843, 5 vol. in-8), sur lequel, toujours d’après le même pamphlétaire, M. Paul Meurice aurait pu faire valoir les mêmes droits; Le Chevalier d’Harmental (1843, 4 vol. in-8), d’où date l’alliance intime, féconde et hautement avouée par le premier, de Dumas et de Maquet à laquelle on a dû successivement : Sylvandire (1844, 3 vol. in-8); Les Trois Mousquetaires (1844, 8 vol. in-8), le plus amusant et le plus célèbre des romans de cape et d’épée et ses deux suites dignes de leur aîné : Vingt ans après (1845, 10 vol. in-8) et Dix ans plus tard ou le Vicomte de Bragelonne (1848-1850, 26 vol. in-8); Le Comte de Monte-Cristo (184-1845, 12 vol in-8), dont Fiorentino réclamait une part formellement niée par Dumas et restée inconnue à Maquet; Une Fille du Régent (1845, 4 vol. in-8); La Reine Margot (1845, 6 vol. in-8); La Guerre des femmes (1845-1846, 8 vol. in-8); Le Chevalier de Maison-Rouge (1846, 6 vol. in-8); La Dame de Monsoreau (1846, 8 vol. in-8); Le Bâtard de Mauléon (1846, 9 vol. in-8); Mémoire d’un médecin (1846-1848, 19 vol. in-8) et ses deux suites : Ange Pitou (1853, 8 vol. in-8) et La Comtesse de Charny (1853-1855, 19 vol. in-8); Les Quarante-Cinq, suite et fin de La Dame de Monsoreau (1848, 10 vol. in-8). Alexandre Dumas, qui se flattait « d’avoir des collaborateurs comme Napoléon a eu des généraux », eut recours encore à Hipp. Auger pour Fernande (1844, 3 vol. in-8), à M. Paul Meurice pour Amaury (1844, 4 vol. in-8), à Paul Lacroix pour Les Mille et un fantômes (1849, 2 vol. in-8), La Femme au collier de velours (1851, 2 vol. in-8), et pour Olympe de Clèves (1852, 9 vol. in-8), etc. Parfois même il lui est arrivé de mettre ou de laisser mettre son nom sur la couverture de livres qu’il n’avait pas même lus, ainsi qu’il l’a reconnu plus tard pour Les Deux Diane de M. Paul Meurice (1846-1847, 10 vol. in-8), ou pour Le Chasseur de Sauvagine de M. G. de Cherville (1859, 2 vol. in-8), où sa part effective se réduisit, dit-il, à mettre un point sur l’i du dernier mot du titre. En revanche, on ne lui a jamais disputé plusieurs autres romans moins célèbres, il est vrai, que ceux dont les titres sont rappelés plus haut : Gabriel Lambert (1844, 2 vol. in-8); Le Château d’Eppstein (1844, 3 vol. in-8); Cécile (1844, 2 vol. in-8); Les Frères Corses (1845, 2 vol. in-8), émouvant récit, dédié à Prosper Mérimée.

Malgré cette production sans exemple et qui dépassait tout ce que la cervelle et même la main humaine avaient pu jusqu’alors concevoir et exécuter, en dépit des procès suscités, et le plus souvent gagnés par les directeurs de journaux dont les traités restaient en souffrances, Dumas trouvait encore le temps de surveiller la construction de la villa de Monte-Cristo, près de Saint-Germain, et qui engloutit une partie des sommes fabuleuses que lui rapportait sa plume, de parcourir d’octobre 1846 à janvier 1847 l’Espagne et l’Algérie, en compagnie de son fils, de Maquet, de Louis Boulanger, de Desbarolles et d’Eugène Giraud, de prendre enfin la direction du Théâtre-Historique dont le duc de Montpensier lui avait fait obtenir la concession et où il se proposait « d’offrir chaque soir au peuple une page de notre histoire ». L’inauguration en eut lieu le 20 février 1847 avec La Reine Margot, drame en cinq actes et treize tableaux, tiré du roman portant le même titre, avec le concours d’Auguste Maquet qui, outre deux adaptations antérieures des Mousquetaires (Ambigu, 27 octobre 1845), et de La Fille du Régent (Théâtre-Français, 14 avril 1846), produisit dans les mêmes conditions : Le Chevalier de Maison-Rouge (Théâtre-Historique, 5 août 1847), dont le souvenir s’est perpétué par le fameux refrain Mourir pour la patrie! devenu peu après le chant patriotique de 1848; Monte-Cristo, drame en quatorze tableaux divisés en deux « soirées », innovation assez malheureuse, suivie plus tard de deux autres « soirées »: Le Comte de Morcerf et Villefort (1851); Catilina, drame en cinq actes (Théâtre-Historique, 14 octobre 1848); La Jeunesse des Mousquetaires, drame en cinq actes et quatorze tableaux, avec prologue et épilogue (Théâtre-Historique, 10 février 1849), l’un des grands succès de Mélingue; La Guerre des femmes, drame en cinq actes et dix tableaux (avril 1849); Le Chevalier d’Harmental, drame en cinq actes et dix tableaux (Théâtre-Historique, 26 juillet 1849); Urbain Grandier, drame en cinq actes, avec prologue (Théâtre-Historique, 30 mars 1850). C’est sur la même scène que furent encore représentés Le Comte Hermann, drame en cinq actes (22 novembre 1849), interprété par Mélingue, Laferrière et Rouvière, et une adaptation d’Hamlet, en cinq actes et en vers, qu’il a signée avec M. Paul Meurice et qui figure au répertoire actuel* de la Comédie-Française (15 décembre 1847).

La révolution de février 1848 ne fut pour Dumas qu’une suite de déceptions et le signal du déclin de son extraordinaire fortune. Collaborateur d’une feuille quotidienne éphémère, La Liberté (mars-juin 1848), et fondateur d’une revue politique intitulée Le Mois (15 avril), qui n’eut pas une destinée beaucoup plus brillante, candidat malheureux dans Seine-et-Oise et dans l’Yonne, bientôt menacé dans la source principale de ses revenus par l’amendement Riancey qui assujettissait à un droit fiscal le roman-feuilleton, traqué par ses créanciers personnels et par ceux du Théâtre-Historique, dont la crise que l’on traversait avait entraîné la fermeture, il quitta Paris vers la fin de 1851 et vint se fixer à Bruxelles où il demeura jusqu’en 1854. C’est là qu’il écrivit : Un Gil Blas en Californie (1852, 2 vol. in-8); Mes Mémoires (1852-1854, 22 vol. in-8); Isaac Laquedem (1852, 2 vol. in-8), sorte de contre-partie du Juif Errant d’Eugène Suë, annoncée comme devant former trente volumes, mais qui fut arrêtée par la censure impériale; Le Pasteur d’Ashbourn (1853, 8 vol. in-8); El Saltéador (1853, 3 vol. in-8); Conscience l’Innocent (1853, 5 vol. in-8); Catherine Blum (1854, 2 vol. in-8); Ingénue (1854, 7 vol. in-8), dont la publication dans Le Siècle fut interrompue sur la réclamation d’un descendant de Restif de la Bretonne; Les Mohicans de Paris (1854-1858, 19 vol. in-8), dont Paul Bocage fut le collaborateur, ainsi que pour Salvator (1855-1859, 4 vol. in-8), qui en forme la suite. Grâce au dévouement de M. Noël Parfait, ancien représentant du peuple, exilé par le coup d’État et qui avait remis quelque ordre dans les finances de Dumas, celui-ci put, à son retour en France, retrouver une tranquillité relative. De 1854 à 1860, il fonda et dirigea Le Mousquetaire, devenu, en 1857, Le Monte-Cristo, «rédigé par M. Dumas seul», fit représenter Romulus, comédie en un acte et en prose (Théâtre-Français, 15 janvier 1854), dont O. Feuillet et Paul Bocage furent les collaborateurs; La Jeunesse de Louis XIV, comédie en cinq actes et en prose, reçue mais non jouée au Théâtre-Français, représentée au Vaudeville à Bruxelles le 20 janvier 1864 et reprise en 1874 à l’Odéon; La Conscience, drame en cinq actes (Odéon, 7 novembre 1854); L’Orestie, tragédie en trois actes et en vers (Porte-Saint-Martin, 5 janvier 1856); Le Verrou de la reine, comédie en trois actes (Gymnase, 5 décembre 1856), intitulée d’abord La Jeunesse de Louis XV et remaniée après son interdiction par la censure; L’Invitation à la valse, comédie en un acte (ibid., 3 août 1857); L’Honneur est satisfait, comédie en un acte (ibid., 19 juin 1858); Les Gardes forestiers, drame en cinq actes (Grand-Théâtre de Marseille, 23 mars 1858), tiré de Catherine Blum, roman cité plus haut; La Dame de Monsoreau, drame en cinq actes avec prologue (Ambigu, 10 novembre 1860), le dernier et l’un des meilleurs que Maquet ait signés avec lui; enfin, il écrivit deux de ses meilleurs romans, Les Compagnons de Jéhu (1857, 7 vol. in-8), et Les Louves de Machecoul (1859, 10 vol. in-8).

Le voyage de Dumas en Italie (1860), la part plus ou moins effective qu’il prit à l’expédition de Garibaldi en Sicile, son séjour à Naples de 1860 à 1864 inaugurent le début de la dernière période de sa vie. Les œuvres s’y succèdent encore, de plus en plus hâtives et improvisées, et sans qu’à de rares exceptions près, on y sente percer, comme jadis, l’ongle du lion. Il suffira de citer : Madame de Chamblay (1863, 2 vol. in-12), dont l’auteur tira un drame en 1868 (Porte-Saint-Martin); Les Mohicans de Paris, drame en cinq actes (Gaîté, 20 août 1864), interdit par la censure et autorisé par Napoléon III à qui Dumas avait adressé une curieuse supplique; La San Felice (1864-1865, 9 vol. in-18); Les Blancs et les Bleus (1867-1868, 3 vol. in-12), épisode des guerres de Vendée, qui fournit aussi le sujet d’un drame joué sous le même titre au Châtelet en 1869.

Si longue que soit l’énumération qui précède, elle resterait notablement incomplète si l’on n’y faisait point figurer trois séries d’écrits où Dumas, tout en donnant carrière à son imagination, a entendu raconter sa propre existence, celle de plusieurs de ses contemporains et de ses amis, enfin quelques-uns des principaux épisodes de l’histoire de France. Outre ses Mémoires déjà cités, on trouvera beaucoup de particularités curieuses, mais le plus souvent sujettes à contestations, dans un fragment placé en tête de la première édition de son Théâtre: Comment je devins auteur dramatique, dans ses Souvenirs de 1830 à 1842 (1854, 2 vol. in-8); dans ses Causeries (1860, 2 vol. in-18); dans Bric-à-Brac (1861, 2 vol. in-18), enfin dans l’Histoire de mes bêtes (1868, in-18). Le second groupe est formé par Un Alchimiste au XIXe siècle (le comte de Ruolz), premier chapitre de La Villa Palmieri, tiré à part; Le Maître d’armes (1844, 3 vol. in-8), mémoires de Grisier; Une Vie d’artiste (1854, 2 vol. in-8), histoire de la jeunesse et des débuts de Mélingue; La Dernière Année de Marie Dorval (1854, in-18), touchant appel à la charité publique pour parvenir à lui ériger un tombeau; les Mémoires de Garibaldi (1860), soi-disant traduits sur le manuscrit original; Les Morts vont vite (1861, 2 vol. in-18), intéressantes réminiscences sur Béranger, Musset, Achille Devéria, Eugène Suë, Chateaubriand, le duc et la duchesse d’Orléans, etc. En 1833, une première étude historique : Gaule et France, était présentée comme devant former la tête d’une série de Chroniques qui ne fut pas continuée après la seconde : Isabelle de Bavière (règne de Charles VI) (1836, 2 vol. in-8), car on ne peut donner ce nom aux compilations que Dumas a signées depuis et qu’il suffit de rappeler pour mémoire: Louis XIV et son siècle (1845-1846); Michel-Ange et Raphaël (1846); Louis XV (1849); La Régence (1849); Louis XIV (1850); Le Drame de Quatre-vingt-treize (1851); Histoire de deux siècles (1852); Histoire de la vie politique et privée de Louis-Philippe (1852); Les Grands Hommes en robe de chambre (César, Richelieu) (1857). Mettons à part La Route de Varennes (1860, in-18), amusant récit d’une excursion en Champagne, d’après l’itinéraire même de la famille royale, mais où une inexactitude lui valut un long procès définitivement jugé en sa faveur. À ces spéculations de librairie, on préférera toujours les deux ou trois contes écrits pour les enfants et restés des modèles du genre : Histoire d’un casse-noisette (1845, 2 vol. in-12, ill. par Bertall); La Bouillie de la comtesse Berthe (1845, in-12, ill. par le même) et Le Père Gigogne (1860, 2 vol. in-12).

Les toutes dernières et si tristes années de la vieillesse de Dumas furent adoucies par le dévouement de sa fille, Mme Petel, et par la sollicitude de son fils, qui finit par pourvoir à tous les besoins de sa vie matérielle; ce fut dans la ville de Puys, près de Dieppe, qu’il s’éteignit le 5 décembre 1870, sans avoir conscience des désastres infligés à la France, et sa mort passa forcément alors inaperçue. Au mois d’avril 1872, sa dépouille fut exhumée de la tombe provisoire où elle était déposée et transportée, selon un vœu souvent exprimé par lui, au cimetière de Villers-Cotterets, en présence de la plupart de ses amis, collaborateurs ou interprètes encore survivants. Le 4 novembre 1883, fut inauguré sur la place Malesherbes, à Paris, le monument dû à Gustave Doré, qui n’avait pu en voir l’achèvement et où il avait placé au pied de la statue assise du grand romancier le personnage le plus populaire de son œuvre (d’Artagnan), encadré par deux groupes symbolisant les diverses classes de lecteurs que charmeront toujours ses légendaires exploits.

Les indications bibliographiques des œuvres citées au cours de cet article se réfèrent toutes à leurs éditions originales, mais les divers écrits de Dumas (à l’exception de ses poésies qui n’ont jamais été réunies(*)) ont été l’objet de deux réimpressions générales en quelque sorte permanentes, l’un en livraisons in-4 illustrées, l’autre dans le format in-18 et comprenant beaucoup de romans (authentiques ou apocryphes) parus antérieurement sous d’autres titres; cette partie de la bibliographie de Dumas n’a pas été traitée par MM. Parran et Glinel dont les travaux n’en sont pas moins fort intéressants et fort utiles.

Les portraits originaux de Dumas ne sont pas aussi nombreux que pourrait le faire supposer sa très réelle célébrité. On ne peut guère citer, parmi les documents les plus importants, que deux lithographies d’Achille Devéria, l’une en pied (sur un canapé), l’autre en buste et toutes deux fort belles; un médaillon en bronze de David d’Angers; une autre lithographie par Lelièvre (1833); un pastel par Eugène Giraud (1845); un portrait en costume de Circassien par Louis Boulanger (Salon de 1859), appartenant au fils du modèle; une statue par Carrier-Belleuse, à Villers-Cotterets; de très nombreuses caricatures et un certain nombre de photographies; l’une d’elles, représentant Dumas en manches de chemise et tenant dans ses bras une célèbre écuyère américaine, miss Adah Menken, fut retirée du commerce sur la plainte de la famille.

(*) Au moment de la publication de cette notice, c’est-à-dire vers 1885.


source: Maurice Tourneux, article «Dumas» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, H. Lamirault, [191-?]. Tome quinzième (Duel-Eoetvoes), p. 36-39.

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Discours prononcé à l'occasion du transfert des cendres d'Alexandre Dumas au Panthéon

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Discours prononcé le samedi 30 novembre 2002, à 19 heures, lors d'une cérémonie organisée au Panthéon, à Paris.

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