L'Encyclopédie sur la mort


Évangiles de la paix et le nucléaire

Éric Volant

Le nucléaire est d'actualité: Iran, Pakistan, Corée du Nord. Il en était de même dans les années 1980. À cet époque, des chrétiens se posaient la question; Qu'en est-il de l'évangile que l'on dit «de paix» et la course aux armements? Qu'en est-il aujourd'hui? Aux Etats Unis, la principale opposition aux essais et à l'armement nucléaire vient des Eglises : spécialement les Eglises dites de Paix ainsi que les Méthodistes et dans l'Eglise catholique, les Jésuites et les Franciscains. Les responsables de l’Eglise catholique et des principales communautés chrétiennes présentes en Ecosse ont adressé, le 14 mars 2007, une lettre aux parlementaires écossais dans laquelle ils expriment leur opposition au remplacement du Système d’Armes Nucléaires Tridents. Ci-dessous, après un préambule concernant l'actualité du problème, un texte publié en 1984 sur ses enjeux éthiques .
Préambule au texte: le contexte présent
En procédant, lundi, à un essai nucléaire, suivi depuis de cinq tirs de missiles, la Corée du Nord vient de rappeler à ses voisins, et au monde, qu'elle constitue toujours une sérieuse menace. Les spécialistes des questions stratégiques n'en ont jamais douté. Avec l'Iran et le Pakistan, ce pays est sur la liste noire des zones de grande instabilité. Le fameux « axe du mal », dont l'expression n'a plus cours depuis l'arrivée d'Obama, mais dont la réalité demeure.

Aussi grotesque et paranoïaque que puisse paraître le régime stalinien de Kim Jong Il, une chose est sûre : il fait preuve d'un timing diplomatique implacable. En 2006, il avait choisi le jour où le Premier ministre japonais, ennemi historique, posait le pied en Corée du Sud pour effectuer le premier essai nucléaire. Un essai considéré comme un échec partiel, mais qui marquait une étape décisive.

Le 5 avril dernier, au moment même où Barack Obama, en visite à Prague, rêvait d'un « monde sans armes atomiques », Kim Jong Il envoyait un missile dans le ciel nippon. Une façon de faire monter les enchères. Comme pour mieux se rappeler à l'attention du président américain, davantage préoccupé par Téhéran que par Pyongyang.

Texte intégral : Laurent Marchand, «Le nucléaire arme diplomatique», jeudi 28 mai 2009 http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Le-nucleaire-arme-diplomatique-_3632-948906_actu.Htm

L’Assemblée Générale de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN), réunie à Saintes le 17 juin 2006, a décidé de poser aux citoyens et à leurs élus la question suivante :

« Voulez-vous que la France demande à tous les Etats nucléaires, signataires ou non du TNP, de négocier, adopter et mettre en œuvre au plus tard en 2010 un calendrier d’élimination de leurs arsenaux nucléaires sous un contrôle international strict et efficace, qu’elle suspende jusqu’en 2010 inclus ses programmes de nouveaux armements nucléaires et affecte leur budget à la satisfaction de besoins sociaux, sanitaires, culturels, éducatifs, environnementaux ou humanitaires ? »

Ce questionnaire citoyen découle de « l’Appel à référendum pour un désarmement nucléaire, biologique et chimique, intégral, universel et contrôlé » lancé par ACDN il y a exactement dix ans, le 18 juin 1996, qui a recueilli des milliers de signatures. Cette campagne pour un référendum a d’ores et déjà reçu le soutien du réseau mondial « Abolition 2000 ».

Texte intégral:
"Appel du 18 juin" La campagne pour un référendum sur le désarmement nucléaire est lancée
COMMUNIQUE DE PRESSE d’ACDN
http://acdn.france.free.fr/spip/article.php3?id_article=202&lang=fr

À consulter:
BARRS J. «La paix et la justice à l'âge du nucléaire», La Revue Réformée, 1988, vol. 39, no157, p. 3-32. L'auteur décrit les principes bibliques de la justice et comment ils peuvent s'appliquer à notre situation
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=11932473

Texte
«On trahit toujours Jésus par des baisers, fussent-ils théologiques» (1). C'est ainsi que Dietrich Bonhoeffer* fit une mise en garde contre toute récupération de l'évangile. Les chrétiens sont tentés de chercher dans l'évangile une approbation ou une justification de leur propre cause politique. Ils risquent ainsi de réduire la référence à Jésus-Christ à un argument d'autorité. Le souci de la vérité nous oblige d'entretenir un soupçon légitime à l'égard des arguments qui se réclament du «vrai» Jésus. Derrière les affirmations sur le sens «authentique» de la parole évangélique se cachent souvent des partis-pris idéologiques. C'est ainsi qu'en 1789 on n'hésita pas à développer le thème du «sans-culotte de Nazareth» et qu'en 1848 on vit le Christ se ruer sur les barricades (2). Des hommes politiques dont les ambitions furent, le moins qu'on puisse dire, très ambiguës, revêtirent aux yeux de chrétiens la figure du Christ.

En 1984, cette utilisation théâtrale de l'évangile à des fins militaires et patriotiques paraît comme des perversions de l'image de Dieu. Sommes-nous, pour autant, plus à l'abri de ces manifestations d'un « Dieu pervers»? (3) Les humains résistent difficilement à la tendance de créer Dieu à leur image. Il est évident que les modèles d'un «Jésus libérateur» ou d'un «Dieu noir »(4), respectivement en opposition à la dictature militaire en Amérique latine ou à la théologie des blancs oppresseurs aux États-Unis, rencontrent davantage notre sensibilité contemporaine qu'un «Dieu des armées» officielles. Un «Christ thérapeute», un «Christ pacifique» ou un « Christ écologiste» se trouvent d'ailieurs aujourd'hui relativement bien à l'aise avec un Christ « libérateur des opprimés».

Évangiles de la paix
Les évangiles ont été rédigés dans un style littéraire que l'on pourrait qualifier d'«annonce d'une bonne nouvelle». Ils ont été destinés aux communautés chrétiennes comme porteurs de promesses. Ces promesses, les chrétiens doivent refuser de les oublier, surtout celles qui sont restées en suspens. Faire mémoire de Jésus, c'est activer le « souvenir dangereux» de Jésus de Nazareth et de faire remonter à la surface ce qui, de la bonne nouvelle, ne s'est pas encore accompli. Il n'y a rien de plus démobilisant que cette faculté d'oublier les espoirs suscités par l'événement-Jésus-Christ et d'escamoter la longue histoire de sang et de larmes qui les a suivis. La mémoire des promesses et des souffrances du passé est véhicule de la liberté future (5). Ce sont précisément les promesses non encore réalisées qui deviennent normatives et impératives pour la mission actuelle des chrétiens.

Qui est Jésus ? (6 )
Certains voient en Jésus un zélote. Il est vrai que, dans son entourage immédiat, on trouve un disciple, appelé « le Zélote» (Marc 3 : 18). Jésus se rend au désert (Marc 1 : 12-13), lieu de rassemblement préféré des zélotes. Ceux-ci cherchent à libérer la Judée de l'occupation romaine par la violence révolutionnaire. De cette violence, Jésus fait la preuve quand il chasse avec un fouet les vendeurs du temple, disperse la monnaie des changeurs et renverse leurs tables (Jean 2 : 14-15). Les paroles de Jésus sont à s'y méprendre: « N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive» (Matthieu 10 : 34). Elles signifient que la paix ne peut s'obtenir sans effort. Or, ces paroles ont été interprétées par des militants comme un appel à la violence. Il en va de même pour : «Le Royaume des cieux est assailli avec violence; ce sont les violents qui l'arrachent» (Matthieu Il : 12). En réalité, il s'agirait là plutôt d'une charge violente de Jésus contre les zélotes qui auraient voulu établir le Royaume des cieux par les armes.

D'autres voient en Jésus un homme du compromis et du conformisme. En effet, il compte parmi ses disciples un percepteur de l'impôt romain. Il se prononce sur la légitimité de cet impôt en faisant des distinctions habiles: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» (Marc 12 : 17). Il fréquente les publicains qui, non sans raison, suscitent le mépris des pharisiens parce qu'ils sont des amis du régime. Pour d'autres encore, Jésus est un contestataire radical qui provoque le scandale. Aux zélotes, adversaires jurés de tout ce qui n'est pas juif, il oppose un Dieu qui «fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes» (Matthieu 5 : 45). Aux pharisiens, il déclare que les publicains et les prostituées arrivent avant eux au Royaume de Dieu (Matt., 21 : 31). Il donne les samaritains et les païens en exemple aux juifs. Il ne craint pas non plus la compagnie des femmes dont il associe quelques-unes à son groupe de disciples. L'autorité avec laquelle il prend ses distances à l'égard des diverses factions de la société juive font de Jésus une personnalité fort écoutée, respectée ou haïe.

Ce répertoire de représentations de Jésus montre l'impossibilité de dessiner avec quelque exactitude la physionomie morale et politique du « vrai» Jésus ou du « bon» chrétien. Ce qui, cependant, se profile à travers les récits fondateurs du christianisme, c'est la figure messianique de Jésus. Écouter ces récits, c'est entendre l'écho répété de la foi des premiers chrétiens en un don messianique de la paix.

Jésus et le don messianique de la paix
«Messie» signifie l'oint de Dieu; celui qui est mis à part pour une mission. Publiquement, Jésus ne revendique pas ce titre, parce qu'il le trouve trop gênant. En effet, dans la mentalité du peuple, la messianité était trop directement associée au rôle politique et militaire du « Fils de David ». Il est probable que Jésus eût une conscience personnelle de sa messianité, mais il choisit de ne pas en parler. Il préfère s'identifier à la figure du serviteur souffrant, évoquée par le prophète Isaïe (Matt., 12: 18-21; Isaïe 42 : 1-4). Tandis que le peuple attend un Messie conquérant, Jésus suit la voie d'un juste qui souffre.

Ce sont les disciples qui attribuent à Jésus le titre de Messie (dérivé de l'hébreu) ou Christ (dérivé du grec) : «Dieu l'a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié» (Actes 2 : 36). Et Jean de terminer son évangile en disant que celui-ci a été écrit «pour que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayiez la vie en son nom.» (Jean 20 : 31). Or, les évangiles accomplissent la fusion de deux figures. En décrivant la scène du baptême de Jésus, ils associent intimement la figure du Messie à celle du serviteur souffrant et bien-aimé de Dieu (Matt., 3 : 17 ; Marc 1 :11).

Selon la tradition judéo-chrétienne, le caractère fondamental de la mission messianique consiste à guider les pas des hommes sur la route de la paix (Is., 2 : 5 ; 59 : 8 ; Luc 1 : 79). En effet, le Messie est appelé le prince de la paix (Isaïe 9 : 5) qui fera habiter le loup avec l'agneau et fera le léopard se coucher avec le chevreau (Is., Il : 6). Luc présente d'ailleurs la naissance de Jésus comme le gage de la paix messianique, annoncée par les prophètes : «sur la terre paix pour les hommes, ses bien-aimés.» (Luc 2 : 14). Dans le sermon sur la montagne, Jésus se révèle lui-même comme porteur de la paix messianique. Il associe à son projet tous les faiseurs de paix: «Heureux ceux qui font oeuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.» (Matt., 5 : 9).

Cette paix, Jésus a voulu l'établir par le sang de sa croix (Col., 1 : 20). Pas de paix sans rupture ni déchirure! Dans le crucifié du Golgotha les chrétiens découvrent le visage pathétique d'un Dieu qui désire ardemment la paix entre les humains. Confesser Jésus aujourd'hui comme messie, c'est refuser d'oublier le souvenir dangereux du serviteur souffrant. Croire à la résurrection, c'est raviver les espoirs déçus par une société qui foule aux pieds tant de cadavres. (7) Les promesses de paix gravées dans la croix du Christ semblent aujourd'hui reculer plus que jamais. Attendre le don de la paix messianique, c'est espérer contre toute espérance malgré la bombe de Hiroshima, la Shoah*, les massacres du Vietnam et de la Corée, les disparitions en Argentine, les guerres du Proche Orient, la destruction en plein vol d'appareils de l'aviation civile, la prolifération des armes nucléaires, les tortures dans les camps militaires.

La paix du Christ passe par une longue et patiente résistance à toute forme de violence. Elle n'est pas une attitude de faiblesse, mais une œuvre de la vertu de force. (8) Un certain pacifisme inspiré par la crainte pour sa propre peau n'a rien à voir avec la paix du Christ. Adhérer à la paix messianique, c'est se dépouiller de sa propre paix privée et participer aux efforts douloureux d'une recherche de solution collective. Pour Mounier, la guerre* n'est pas la seule démission possible. Acheter la paix au prix d'un accroissement de bassesses signifierait un nouveau recul de la paix du Christ. Il cite à son appui Charles Péguy* « Vous n'avez pas le droit d'écarter la guerre à tout prix, même au prix du salut éternel de la France. » (9) Il s'agit pourtant de risquer la paix à tout prix et de toutes ses forces. (10)

Pour une éthique de paix messianique La mémoire subversive d'une promesse de paix, au milieu des menaces d'une guerre nucléaire, doit se traduire en actes. La promesse évangélique de paix apporte avec elle nécessairement des
exigences de paix. Il s'agit de trouver, selon l'actualité historique, la manière la plus appropriée pour faire de la paix une réalité. Cependant, les récits évangéliques ne fournissent guère d'indications précises sur une manière chrétienne de faire la paix, encore moins sur des modalités concrètes d'intervention en faveur de la paix. On ne peut pas se réfugier derrière l'autorité de la parole de Dieu ni se soustraire à l'analyse rigoureuse de la réalité historique. Les chrétiens doivent assumer eux-mêmes l'entière responsabilité du choix de leurs méthodes et de leurs stratégies de paix. Or, c'est au niveau des options concrètes, que les chrétiens peuvent s'opposer.

Les attitudes
Certaines attitudes semblent pourtant s'imposer; d'autres sont à proscrire. La restauration de la paix suppose une paix intérieure, liée à la conversion du coeur avec Dieu. Cependant, la paix intérieure des individus bien intentionnés ne suffit pas pour résoudre les conflits. La somme des paix intérieures ne peut jamais être l'équivalent de la paix universelle. Aussi importante qu'elle soit, la paix du coeur ne fait qu'entretenir l'illusion de la paix et n'abolit la guerre que d'une façon symbolique. Une rhétorique qui se sert de l'arme de la paix pour confondre ses adversaires n'est pas non plus suffisante. Il ne suffit pas qu'un président des États-Unis, lors du petit-déjeuner national de prière, s'écrie: « Au nom du Christ, arrêtez» (la course aux armes nucléaires) pour être assuré de sa volonté effective de paix. Dans le contexte de l'annonce des dépenses militaires accrues, il y a quelque chose d'obscène dans le rapprochement que le président Reagan fait entre la prière et l'arme nucléaire: «la prière avait une puissance comparable à celle d'une arme nucléaire et elle constituait le meilleur outil dont nous disposons pour résoudre les problèmes du monde.» La moralité des discours des politiciens masque trop souvent des intérêts pervers de domination.

En tout temps, la guerre peut être considérée comme un fléau. La guerre moderne - nucléaire ou non - est «à la fois un cataclysme disproportionné à toute cause possible et une catastrophe spirituelle totale.» (11) Tout en se situant, dans la perspective d'une paix messianique, des théologiens, comme Coste et Moltmann, distinguent entre une violence juste et une violence injuste.(12 )Dans certaines situations de détresse, une éthique de détresse est légitimée. Celle-ci peut se manifester, par une guerre contre un injuste agresseur. Elle s'inspire alors du principe de la légitime défense collective. Elle peut s'appliquer également dans le cas d'une guerre révolutionnaire contre un injuste oppresseur. La responsabilité éthique peut exiger qu'on assume les armes. Elle signifie alors la prise en charge d'une faute collective et s'accompagne nécessairement d'un sentiment de culpabilité*. Toute action historique, violente ou non, a besoin d'expiation à cause de l'ambiguïté des raisons qui l'appuient et des effets qu'elle suscite. Aucune action ne peut revendiquer le privilège d'une pureté sans mélange.

La dissuasion
Pour maintenir la paix, deux options fondamentalement opposées s'affrontent aujourd'hui. Pour les uns, il est impérieux de disposer d'un stock suffisant d'armes nucléaires. Pour les autres, il est également impérieux de stopper immédiatement tout armement nucléaire. La dissuasion nucléaire est une théorie militaire selon laquelle le meilleur moyen d'empêcher la guerre serait encore de provoquer chez l'adversaire un réflexe de peur. Glucksmann se fait le prédicateur de ce type d'«évangile de la fusée ». Malgré son inhumanité évidente, l'arme nucléaire demeure une arme de vérité. Sa présence seule dévoile déjà la cruauté de la situation réelle: «j'existe car les guerres, préalablement, sont; et parce qu'elles furent avant moi mondiales, j'essaime sur toute la planète.» La dissuasion serait l'entente la plus sûre de ceux qui ne s'entendent pas. Elle repose sur le principe d'une justice qui retient dissuasivement de faire ( ... « mal») au lieu de prescrire persuasivement de faire (...du « bien »). » (13) L'auteur aime la paix et n'aime pas la fusée. Cependant, le pacifisme incarne, à ses yeux, la dernière grande tentation suicidaire de l'Europe. La voix de la fusée interpelle les lecteurs: «Confieriez-vous votre enfant à Andropov? » Mais on pourrait rétorquer immédiatement: « Confieriez-vous votre enfant à Reagan? », sachant que derrière ces deux personnages politiques gronde tout un appareil étatique anonyme qui n'a ni couleur ni odeur. Fait à remarquer: pour Glucksmann, la fusée est bien-pensante. Il est peut-être vrai que « pas un seul discours éthique n'a abordé la question des engins nucléaires avec la noblesse et la gravité requise ».(14 )Par ailleurs, l'auteur n'exagère-t-il pas le caractère «raisonnable» de la fusée et de ceux qui la manipulent ? La dissuasion est un raisonnement théorique, mais est loin d'être un moyen sûr. Elle semble, à première vue, faire appel à une éthique de la responsabilité contre les tenants d'une éthique de la conviction. Il n'en est rien! La conviction que le communisme doive disparaître inspire souvent la moralité des discours des politiciens en faveur de la dissuasion. Et l'opposition à toute stratégie de dissuasion peut relever d'un grand sens des responsabilités eu égard aux conséquences néfastes qu'elle peut entraîner. On est en face de deux réalismes ou de deux perceptions différentes de la réalité.

Le général Beauffré, lui-même théoricien de la dissuasion nucléaire, prétend que «la stabilité recommandée par l'arme nucléaire n'est obtenue qu'entre les puissances raisonnables. Il faut se garder de mettre des allumettes entre les mains des enfants... la prolifération des armes nucléaires devra de toute nécessité être arrêtée tôt ou tard.»(15) Dans ce cas, mieux vaut tôt que trop tard! L'hypothèse d'un fou est bien connue, mais une faille dans le jugement d'un responsable politique est déjà suffisante pour déclencher un désastre. L'expérience prouve que l'on ne peut pas trop se fier ni aux discours ni au jugement, ni à la sagesse ni au réflexe des politiciens. Les armes nucléaires sont trop explosives pour être garantes de la paix. Ce serait un signe d'irresponsabilité collective que de croire uniquement à la rhétorique de bonnes intentions morales des chefs d'État.

La paix messianique
Nous vivons dans un monde de monstres froids et gentils que sont devenus les états technocratiques (16). Sur les murs du métro de Longueuil, je lis récemment les graffiti suivants: «technocratie est thanatocratie». Non seulement le pouvoir de la gestion des experts, mais aussi le pouvoir de la technique peut mener au pouvoir de la mort. Un jour, un des monstres froids et gentils des grandes puissances des deux alliances pourrait bien faire éclater poliment une «bombe gentille» ou une «bombe de gentillesse» sur l'univers et détruire les vivants.

Le philosophe allemand, Jaspers, pensait que vivre sous le totalitarisme était égal à ne pas vivre.(17) L'alternative du totalitarisme ou de la destruction massive de toute vie nous plonge dans l'irrationalité la plus complète. Répression démentielle et folie nucléaire sont deux faces identiques d'une humanité aveugle. La seule solution, c'est d'aménager les conditions d'une vie vécue dans la dignité et dans la paix.

Si l'on veut vraiment la paix, il ne faut pas la préparer par la menace des armes nucléaires. Si la paix messianique est notre but ultime, il faut dès aujourd'hui poser des gestes qui la signifient et l'annoncent. Au milieu des guerres meurtrières actuelles, il ne faut pas augmenter les risques de destruction, mais les écarter le plus possible.On a vu à la télévision des jeunes russes et des jeunes québécois manifester leur opposition aux armes nucléaires et leur volonté de paix. Si leur attitude pouvait devenir contagieuse et influencer les décisions de leurs aînés! Au lieu de consentir à ce que les super-puissances jouent avec le feu et préparent un désastre nucléaire, il faudrait que les diverses populations du globe disent un «non» massif aux investissements massifs dans les armes nucléaires.

Selon la tradition chrétienne, le Royaume de la paix n'est pas une oeuvre humaine, mais un don de Dieu. Nos paix humaines, soient-elles mondiales, ne sont qu'un prélude et qu'un avant-goût de la paix messianique promise. Elles seront toujours fragiles et menacées et ne constitueront qu'une trêve ou détente entre puissances belligérantes. Écouter les récits fondateurs de la foi peut mener les croyants des diverses religions à espérer activement le Royaume de la paix. Cette écoute patiente et cette espérance active, comment peuvent-elles se manifester? Ou l'utopie comment peut-elle être anticipée? En faisant advenir, dans les situations conflictuelles du présent, des larges aires de justice et de non-violence, de respect et de coopération entre les peuples. Cet imaginaire de l'espérance qui occupe une place centrale dans l'expérience des monothéismes n'est-elle qu'une illusion? Ou permet-elle effectivement de donner sens et orientation à l'action politique? La paix messianique peut-elle devenir opérationnelle aujourd'hui?

Notes
1. Paroles citées en exergue par Michel Schoonbrood, «Paix sociale et référence à Jésus-Christ», La pratique de la théologie politique, Tournai, Casterman, 1974.
2. Des exemples flagrants de la récupération de l'évangile pour la «bonne cause» ont été recueillis par F. P. Bowman, Le Christ romantique, Genève, Droz, 1973.
3. M. Bellet, Le Dieu pervers. Paris-Tournai, Desclée-De Brouwer, 1979. L'auteur s'érige contre les modèles pervers d'un Dieu-Amour qui se présente davantage comme un dieu cruel et sadique.
4. L. Boff, Jésus-Christ libérateur. Essai de christologie critique. Paris, Cerf, 1974; H. Cone, God of the Oppressed. New York, Seabury Press, 1975 ; B. Chenu, Dieu est noir. Paris, Centurion, 1977.
5. J.B. Metz, La mémoire de la souffrance, facteur de l'avenir: une forme actuelle de la responsabilité chrétienne». Concilium, 76 (1972), p. 9-25. L'expression de «souvenir dangereux», Metz l'emprunte à Marcuse, Eros et civilisation. Paris, Editions de Minuit, 1963, p. 201 et L'Homme unidimensionnel, Paris, Editions de Minuit, 1968, p. 123 ; É. Volant, Le jeu des affranchis, Montréal, Fides, 1976, p. 247-255.
6. Pour l'élaboration de cette réponse, nous nous sommes, pour une bonne partie, inspirés de J. Martucci, « La révolution de Jésus ». Jésus? de l'histoire à la foi. Montréal, Fides, 1974, p. 49-65. En 2009, il faudrait se référer davantage à Jésus de l'histoire à travers le monde sous la direction de Chrstian Boyer et de Gérard Rochais, Fides, 2009. «La question du Jésus de l'histoire reste envisagée et connue de nos jours presque uniquement dans une perspective nord-américaine et européenne, et on ignore généralement ce qui se fait ailleurs dans le monde, en Afrique, en Orient, en Amérique du Sud. Le présent ouvrage tente de combler partiellement cette lacune. Vingt-trois exégètes et historiens provenant de vingt-trois régions du monde ont accepté de présenter les grandes lignes de la recherche récente sur Jésus telle qu'elle s'effectue dans leur coin de la planète.» (Fides)
7. J. Moltmann, Le Dieu crucifié. Paris, Cerf, 1974.
8. E. Mounier, « Les chrétiens devant le problème de la paix» (1939), Oeuvres. Paris, Editions du Seuil, 1961, 781-837.
9. C. Péguy, cité par E. Mounier, o.c., p. 836.
10. Voir dans la présente Encyclopédie: Guerre et paix - Réflexions éthiques*.
11. E. Mounier, op. cit., p.835.
12. R. Coste, Les communautés politiques, Paris, Desclée, 1967, p. 253-259 ; J. Moltmann, L'espérance dans l'action, Paris, du Seuil, p. 63-84.
13. A. Glucksmann, La force du vertige, Paris, Grasset, 1983, p.15 et 33.
14. A. GIucksmann, o.c., p. 313. L'auteur cite ici J.R. Oppenheim : Garder sa déraison.
15. A. Beauffré, Dissuasion et stratégie. Paris, 1964, p. 108-109.
16. H. BolI, Protection encombrante (Points). Paris, Seuil, 1983, p. 112.
17. K. Jaspers, La bombe atomique et l'avenir de l'homme, Paris, Buchet-Castel, 1963, p. 56-116.











Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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