Licorne

Article d'une encyclopédie médicale réputée de la fin du 19e siècle:

"La licorne, telle que les anciens la concevaient, portant une corne sur le front, n’existe sans doute pas comme type zoologique. Pallas fait remarquer que, chez les antilopes, certains individus portent plusieurs cornes, d’autres n’en possèdent qu’une; et Cuvier, que des antilopes peuvent être réduites à une seule corne, par monstruosité ou par suite de mutilation. On s’accorde assez généralement aujourd’hui à penser que la licorne des anciens n’était autre que l’antilope oryx.

Qu’était cette corne, puisque l’animal qui était censé la fournir n’existe pas? Quelles étaient ses prétendues propriétés?

Ambroise Paré (L. XXI, c. 47-65) qui, dans un long article sur la licorne, a contribué plus que personne à reléguer parmi les êtres fabuleux cette « beste estrange », fait remarquer que la corne elle-même a été décrite de vingt manières différentes; et, avec d’autres savants de son temps, il attribue à un grand poisson de mer, le rohart (narval), les cornes droites dont on montrait alors des échantillons. Ce sont en réalité des défenses de narval, que les Norvégiens et les Danois rapportaient des mers polaires et vendaient à haut prix comme cornes de licornes. Ces défenses, qui atteignent quelquefois une hauteur de 8 à 10 pieds, tantôt lisses, tantôt sillonnées de rainures en spirales, sont paires; mais il est rare que toutes deux se développent simultanément; le plus souvent, l’une d’elles reste à l’état rudimentaire, tandis que l’autre (la gauche d’ordinaire) s’allonge pour se terminer en pointe mousse.

Quoi qu’il en soit, on attribuait à cette substance des vertus extraordinaires contre le mal caduc, le spasme, la fièvre quarte, la morsure des chiens enragés et des vipères, les piqûres de scorpions et généralement contre toutes les plaies venimeuses. Il suffisait même de tenir la corne à l’opposite du lieu où se trouvait le venin pour que celui-ci se découvrît. Sur quoi Paré fait une judicieuse remarque. Ce sont, dit-il, ces promesses impossibles qui « donnent occasion à ceux qui ont quelque peu d’esprit, de tenir pour faux tout le reste qui en a esté dit et escrit. » Il a, du reste, constaté par l’expérience que tous ces récits sur les vertus de ce produit animal n’ont aucune espèce de fondement.

La corne de licorne conservait encore sa réputation au siècle dernier, bien qu’on connût alors son origine. Voici ce qu’en dit Lemery dans son Dictionnaire des drogues (Paris, 1760, in-4o, p. 522, article Narwal) : « Elle contient beaucoup de sel volatil et d’huile. Elle est cordiale, sudorifique, propre pour résister au venin, pour l’épilepsie. La dose est depuis 1 demi-scrupule jusqu’à 2 scrupules. On en porte aussi une amulette pendue au cou, pour préserver du mauvais air : mais il ne faut pas attendre d’effet de cette amulette. »

source: A. Dechambre, article « Licorne » de : M. A. Dechambre (dir.), Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Deuxième série. Tome deuxième, Lar-Loc. Paris, Victor Masson , P. Asselin, 1869, p. 544-545

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