Doctrine Gérin-Lajoie

La « doctrine Gérin-Lajoie »

Le 27 février 1965 était signée à Paris - non pas hors de la connaissance, mais sans l'aval du gouvernement fédéral - la première entente internationale entre les gouvernements du Québec et de la République française, portant sur un programme d'échanges et de coopération dans le domaine de l'éducation. La solennité de l'événement en soulignait toute la portée. Grâce à la complicité active de la France, sous l'impulsion du Général de Gaulle, le Québec s'engageait dans la voie de l'affirmation de sa personnalité internationale.

Quelques semaines plus tard, le 12 avril 1965, devant le Corps consulaire de Montréal, l'homme politique qui avait signé l'entente au nom du gouvernement (libéral) du Québec, monsieur Paul Gérin-Lajoie, alors vice-président du Conseil des ministres et ministre de l'Éducation, exposait le fondement juridique et politique de la position innovatrice adoptée par les autorités gouvernementales et inspirée, selon ses termes, par « la détermination du Québec de prendre dans le monde contemporain la place qui lui revient ». Retenons quelques extraits de ce discours capital :

Au moment où le gouvernement du Québec prend conscience de sa responsabilité dans la réalisation du destin particulier de la société québécoise, il n'a nulle envie d'abandonner au gouvernement fédéral le pouvoir d'appliquer les conventions dont les objets sont de compétence provinciale. De plus, il se rend bien compte que la situation constitutionnelle comporte quelque chose d'absurde.

Pourquoi l'État qui met un accord à exécution serait-il incapable de le négocier et de le signer lui-même? [...]

Il fut un temps où l'exercice exclusif par Ottawa des compétences internationales n'était guère préjudiciable aux intérêts des États fédérés puisque le domaine des relations internationales était assez limité. [...] Mais, de nos jours, il n'en est plus ainsi. Les rapports interétatiques concernent tous les aspects de la vie sociale. C'est pourquoi, dans une fédération comme le Canada, il est maintenant nécessaire que les collectivités membres qui le désirent participent activement et personnellement à l'élaboration des conventions internationales qui les intéressent directement.

Il n'y a, je le répète, aucune raison que le fait d'appliquer une convention internationale soit dissocié du droit de conclure cette convention. Il s'agit de deux étapes essentielles d'une opération unique. Il n'est plus admissible, non plus, que l'État fédéral puisse exercer une sorte de surveillance et de contrôle d'opportunité sur les relations internationales du Québec.


C'était affirmer clairement, d'une part, la capacité juridique du Québec d'exercer au plan international les compétences constitutionnelles qu'il possédait déjà au plan interne et, d'autre part, la volonté politique du gouvernement du Québec d'agir en ce sens, tout en reconnaissant, comme le précisera Gérin-Lajoie, la responsabilité du gouvernement fédéral dans l'établissement de la politique étrangère du Canada et, bien entendu, les prérogatives attachées à ses compétences propres. C'est à l'essence de cette prise de position, dite « doctrine Gérin-Lajoie », qu'on se réfère, quand on évoque la thèse du « prolongement externe des compétences internes » comme constituant le fondement constitutionnel de la politique du Québec en matière de relations internationales.

L'orientation est maintenue

 Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis à Québec ont maintenu l'adhésion à la thèse formulée par Gérin-Lajoie au nom du gouvernement dirigé par Jean Lesage. (...)

Yves Martin, "Le Québec, maître d'oeuvre de ses relations internationales"

Articles





Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?