L'Encyclopédie sur la mort


Médias

 

Médias et mort

Pour une approche culturelle de la mort, les médias sont une source importante de représentations qui nous renseigne sur la mentalité et les attitudes collectives à l'oeuvre dans une collectivité à propos de cette composante non négociable de l'existence humaine, privée ou publique, c'est-à-dire: la mort, son mystère et ses rites, son sens ou non-sens, l'organisation de son avant et de son après comme de son présent.(G. Howarth, Death & Dying, A sociological Introduction, Cambridge, Polity, 2007), p. 102-112). Selon certaines théories, ce sont les médias qui façonnent l'opinion publique, les croyances et les comportements populaires à l'égard de la mort, du mourir et du deuil*. Selon d'autres, tous ces éléments trouvent leur place dans les médias pour la bonne raison que ceux-ci reflètent les images et les valeurs véhiculées dans la société: les médias sont le miroir des idées reçues et des préjugés, des espoirs et des inquiétudes, des peurs et des fantasmes du peuple.

Glennys Howarth est plutôt d'avis qu'il existe une relation symbiotique entre médias et société. (J.G. Blumer and Katz, E, The Use of Mass Communications, London, Sage, 1974; D. McQuail, Mass Communications Theory: an introduction, London, Sage, 1994). Les médias et la société deux s'influencent mutuellement et sont en constante interaction. Les médias jouent un rôle d'information, d'éducation et de critique de la société, tandis que, par ailleurs, les journalistes, éditeurs, chroniqueurs et rédacteurs de rubrique (columnistes), les cinéastes et les réalisateurs de la télévision, des films documentaires et des émissions populaires partagent les tendances et les modes de leurs contemporains en matière de dispositifs funéraires ainsi que les sentiments courants d'acceptation ou de refus de la mort. L'esprit collectif vis-à-vis de la mort se reflète aussi dans leurs écrits, créations, émissions ou productions.

Les recherches de Victor Goldberg («Death takes a holiday, sort of» dans J. Goldstein, ed., Why We Watch: the attractions of violent entertainment, New York, Oxford University Press, 1998) suggèrent que dans les sociétés occidentales on assiste à une croissance de l'imaginaire de la mort (violence, horreur) dans l'univers culturel, les arts et les médias y compris, durant une période de l'histoire où la relation directe des individus avec la mort serait en décroissance. Par exemple, les décès dans les hôpitaux créent l'éloignement du milieu familial; les morts au front lointain et les désastres en terre étrangère demeurent une réalité objective projetée sur l'écran qui, par leurs répétions, nous rendent indifférents; toutes les modalités d'évitement, déni,ou refus de la mort sont des ruses pour neutraliser la mort. Or, les médias persistent dans leur rappel de la mort: elle existe dans toute sa laideur comme un sceau qui marque notre chair.

D'une part, les médias gardent un espace assez importante à la mort en tant que perte individuelle des êtres chers: nécrologies, annonces de funérailles, publicité des entreprises funéraires ou des assurances-vie, pré-arrangements funéraires, etc.). D'autre part, les rapports médiatiques sur les guerres et les désastres naturels attirent l'attention du public sur la nécessité des interventions de type humanitaire auxquelles la population peut participer par des dons ou des soins aux victimes*. Dans ce sens, T. Walter pense que le rôle des médias s'est substitué à celui accompli précédemment par la religion*: exposer l'horreur des événements et susciter l'espoir dans la bonté fondamentale d'une communauté, d'une collectivité et de l'humanité tout entière ( T. Walter, «Disaster. modernity, and the media» dans K. Garces-Foley, ed., Death and Religion in a Changing World, Armonk, N.Y., M.E. Sharpe, 2004).


Médias et suicide

La corrélation entre les médias et la propagation du suicide mérite une attention particulière en raison de la déontologie journalistique applicable aux journalistes aussi bien qu’aux patrons. À ce sujet, deux articles ont été publiés dans The New England Journal of Medicine (vol. 315, no 11, 1986): le premier est de David P. Phillipps et Lundie L. Carstensen intitulé «Clustering of Teenage Suicides after Television News Stories about Suicide» (p. 685-689). Les auteurs ont retenu trente-huit émissions de télévision qui annoncent la nouvelle d’un suicide, présentent une histoire fictive de suicide ou donnent des informations générales sur le phénomène. Puis, ils ont enregistré le taux de suicide parmi les adolescents avant et après la date où ces émissions ont eu lieu. Le nombre de suicides d’adolescents jusqu’à sept jours après ces émissions (1666) est significativement plus élevé que celui prévu (1555). Les suicides d’adolescents augmentent plus que les suicides des adultes à cette occasion (6,87% contre 0,45%). De cette étude quantitative peu convaincante, les auteurs concluent, peut-être un peu trop rapidement, à l’existence de ce qu’ils appellent «l’imitation». Ce comportement suicidaire serait propre à un ensemble de personnes, qui ne sont pas regroupées de façon structurée, mais qui se reconnaissent dans un héros, une star ou une idole à laquelle ils s’identifient. On appelle clusters (bouquets, grappes, amas) ces groupes spontanément formés autour de comportements semblables ou de valeurs communes. Le second article, intitulé «The Impact of Suicide in Television Movies. Evidence of Imitation», est de Madelyn S. Gould et David Shaffer (p. 690-694). Les auteurs étudient la variation du nombre de suicides et de tentatives de suicide* dans le New York métropolitain durant l’automne et l’hiver 1984-1985, deux semaines avant et deux semaines après la présentation à la télévision de quatre films comportant une histoire fictive de suicide. Ils constatent une hausse dans le nombre de tentatives de suicide après les émissions (22) par rapport à celui d’avant (14) ainsi que dans le nombre de suicides accomplis après trois des émissions par rapport à celui que l’on avait prédit. On peut mettre en doute la validité ou la signification de ces statistiques*, mais l’impact qu’ils ont sur les comportements suicidaires est un problème qui préoccupe les médias américains, qui réclament des principes directeurs. L’Association américaine de suicidologie (aas) leur propose des «Media Guidelines» dans son bulletin Newslink (vol. 13, no 2, 1987, p. 10), dont voici les principales recommandations: «Afin de prévenir l’imitation des suicides médiatisés, il est important de ne pas rapporter les détails de la méthode employée par le suicidant, de ne pas présenter le suicide comme geste incompréhensible (par exemple, “Il avait tout pour lui”), de ne pas donner une vision romantique des raisons du suicide (par exemple: “Nous voulons être ensemble pour toute l’éternité”), de ne pas simplifier les motifs du suicide (“Un homme se suicide parce qu’il devait porter une prothèse”). L’annonce d’un suicide devrait figurer dans les pages intérieures du journal […]. Il faudrait éviter le terme “suicide” dans le titre et la photo du suicidé. En général, il importe de présenter le suicide de manière qu’il ne devienne pas trop paralysant ou admirable (“un acte de courage”) ni que le suicidé, en posant son geste, devienne “digne d’admiration”. Afin de contribuer à prévenir le suicide, les médias sont priés d’évoquer, lors de l’annonce du suicide d’une personnalité connue, d’autres voies que le geste extrême. Ils don ne r ont plutôt des exemples d’issues positives à une crise suicidaire, ils diffuseront des informations sur les ressources communautaires disponibles (centre de prévention, ligne téléphonique, etc.) en indiquant leurs coordonnées et en y incluant une liste d’indices qui peuvent révéler une intention suicidaire (insomnie, perte d’appétit, désespoir, pleurs, partage de biens, etc.)»

On peut contester cette liste de consignes journalistiques, surtout lorsqu’elles suggèrent une certaine forme d’occultation des faits selon une logique du tabou*. Le silence dont on veut entourer le suicide n’est pas toujours la meilleure façon de le prévenir. Il faut mettre les jeunes, les parents et la population en général devant l’évidence si crue qu’elle puisse paraître. Dans le milieu scolaire comme dans le milieu du travail, une information judicieuse, livrée par des animateurs compétents, aura l’effet bienfaisant d’éclairer les esprits et de dédramatiser le problème sans engendrer la moindre contagion. Cela dit, en ce qui concerne les médias, la discrétion ainsi qu’une ferme résistance au sensationnalisme et à l’exhibitionnisme valent mieux que le silence. Les vedettes fabriquées par les médias ont, sur le comportement des jeunes*, un effet immense. En s’identifiant à leur idole, ces derniers risquent de perdre leur propre identité. À l’annonce du suicide d’une personnalité mythique dans laquelle les «fans» reconnaissent l’incarnation de leurs aspirations et de leurs rêves, une épidémie de suicide est à craindre et peut parfois se produire effectivement. On appelle ce genre de contagion l’«effet Werther». En 1774, une série de suicides de jeunes Allemands aurait été provoquée par la publication du roman de Goethe* dont Werther est le héros et qui se tue avec une arme à feu* en proie à un chagrin d’amour. Ceux qui se reconnaissaient dans les tourments du jeune Werther auraient eu la tentation de le suivre dans la mort. Mais cette corrélation demeure difficile à prouver. Les jeunes, qui auraient effectivement attenté à leur vie, avaient sans doute déjà des problèmes existentiels ou psychosociaux à résoudre autres que ceux de la déception amoureuse. De nos jours, l’annonce du suicide de Kurt Cobain*, chanteur du groupe Nirvana, qui s’est produit à Seattle le 8 avril 1994, aurait poussé plusieurs adolescents américains et canadiens à l’imiter. Cependant, cette conclusion alarmiste est contredite par les faits. En effet, le centre de crise de Seattle a été inondé d’appels téléphoniques de jeunes en crise, mais grâce à l’organisation par ledit centre d’un grand rassemblement où des milliers de jeunes ont pu se recueillir et exprimer leur deuil*, l’éventuelle épidémie de suicides a pu être évitée. Pour couvrir cet événement, les médias ont suivi l’esprit des règles de leur profession en montrant davantage la carrière parcourue par l’idole que les détails de son acte suicidaire. Et s’il y a eu quand même quelques cas isolés de suicide ou de tentatives de suicide, on ne peut les attribuer ni aux médias ni à Cobain. Le suicide médiatisé d’une figure emblématique peut constituer l’élément déclencheur d’un acte suicidaire, plus particulièrement chez une personne déjà fragilisée par des idéations et des désirs de cette nature.

Plusieurs personnes sont victimes* d’un battage médiatique qui véhicule des soupçons, des accusations, des calomnies à leur endroit. Ces campagnes de «salissage» à la radio, à la télévision et dans les journaux contre leur intégrité ont le pouvoir de les détruire ou de réduire considérablement leur pouvoir de rebondir, surtout si elles inventent de toutes pièces ou maximisent des erreurs et des omissions éventuelles.

Sur la couverture médiatique du terrorisme récent, les médias devraient-ils s’abstenir de rendre compte de chaque attentat suicide*, prise d’otages ou déclaration de dirigeants terroristes? D’une part, elle donne aux terroristes la tribune qu’ils recherchent, mais, d’autre part, la liberté d’expression demeure un droit essentiel. Paul Wilkinson, directeur du centre pour l’étude du terrorisme et de la violence politique de St. Andrews en Écosse, estime que, «pour les démocraties, mettre un terme à la couverture médiatique de la violence politique serait une grande erreur». Selon lui, par des comptes rendus objectifs et factuels, les médias peuvent contribuer à la mise en place d’un débat critique, capable de fournir à la réflexion et à l’action politique une connaissance plus juste de la situation réelle sur le terrain. Wilkinson soutient que la plupart des grands médias renoncent à publier des images et des articles particulièrement horribles. En revanche, d’autres experts pensent qu’il «est facile de franchir par inadvertance la limite entre la couverture d’un événement et la diffusion de propagande pour le groupe terroriste». Lord William Rees-Mogg, ancien rédacteur en chef du journal londonien The Times, trouve opportun de poser des questions comme: «Un compte rendu peut-il contribuer à mettre des vies en danger, voire à tuer des gens? S’agit-il d’une information importante pour le grand public, même si elle n’est pas agréable?» La réponse à ces questions d’ordre éthique «n’est pas la même dans tous les cas. Les journaux doivent faire preuve de nuances. » Parfois, il est juste de publier et parfois il n’est pas mensonger de publier. Cependant, il est important que le public soit bien informé (J. M. P. Jun, «Médias: dilemme sur la couverture du terrorisme», Radio Free Europe/Radio Liberty, le 7 février 2006, <http://www.rferl.org/>).

RÔLE DES MÉDIAS

« [...] si l'éducation du public est un enjeu important, il convient d'évaluer l'innocuité des interventions médiatiques, le risque étant de normaliser le suicide et d'en assurer sa promotion.» (P. Courtet, «Les stratégies de prévention du suicide qui ont montré leur efficacité» dans P. Courtet, dir., Suicides et tentatives du suicide, Flammarion, 2010. p. 239) Si en principe nous sommes d'accord avec une possibilité de risque, les médias ont aussi à l'égard du public un rôle d'information. Il est vrai que la quantité d'informations sur la guerre*, les meurtres, les agressions sexuelles, les attentats suicide, les séismes et autres catastrophes, sur les élections ou les stratégies politiques, sur les jeux olympiques et les championnats mondiaux ont un effet de banalisation comme celle des enjeux sociaux des suicides. Mais «banalisation» n'est pas nécessairement synonyme de «normalisation», encore moins de «promotion» ou de «contagion». La grande majorité du public se désintéresse des événements ou des situations trop médiatisées (par exemple, la famine) et est, par ailleurs, capable de faire les distinctions qui s'imposent. Par contre, toute la couverture sensationnelle et détaillée du suicide devra être évitée, car elle pourra avoir un effet pervers sur certaines personnes plus fragiles.

LE PHÉNOMÈNE INTERNET

«Au 1° août 2005, il y avait plus de 17 000 sites web japonais* qui proposainet des informations sur le suicide. Hagihara et coll. ont observé que l'usage d'Internet était un prédicteur du suicide chez les hommes, mais non chez les femmes. De même, on observe que la diffusion d'Internet au Japon a été suivie par une augmentation importantes des pactes* suicidaires, notamment chez les jeunes. Phénomène préoccupant, les sites qui encouragent le suicide et qui donnent des conseils sur les méthodes pour se suicider sont très facilement accessibles via les moteurs de recherche classiques. Comme on le sait, Internet pose un problème particulier du fait de la difficulté à réglementer les informations qui y sont diffusées. Ainsi le développement mondial de cet outil doit nous inciter à réfléchir à des moyens de prévention.» (J.-P. Kahn et R. Cohen, »Impact des médias sur le suicide: comment transformer l' "effet Werther" en prévention du suicide?» dans P. Courtet, op. cit.,p. 325)



Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12

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