L'Encyclopédie sur la mort


Expériences de mort imminente (Les)


Yves Bertrand a soutenu sa thèse de doctorat en sciences des religions en août 1997 à l’Université du Québec à Montréal sur le thème : « Le chant du signe : expériences de mort imminente et voie mystique occidentale ». Il nous propose une approche originale des NDE (Near Death Experiences) et de leur empreinte sous un titre significatif. Il est aussi l'auteur de Expériences de mort imminente en quatre tomes.

Quoique Raymond Moody ait affirmé dans son premier livre, La vie après la vie, que son but n’était pas de prouver la survie de la conscience après la mort, il a néanmoins (ré) ouvert le champ d’un vaste questionnement métaphysique. Ce qu’il y avait alors de nouveau résidait beaucoup moins dans la «découverte» de l’étonnante vitalité de la psyché alors même que l’organisme physique s’affaisse (1), que dans le changement du statut épistémologique de l’expérience de la mort imminente elle-même. Moody, en effet, déterminait les contours de l’expérience, en forgeait le concept et lançait le débat.
[...]

Le dialogue de sourds qui s’en est suivi a surtout tourné autour de la question suivante : peut-on intégrer l’EMI à l’intérieur du champ théorique de la science dominante (c’est à dire l’identifier comme une manifestation particulière d’un ordre de phénomènes naturels quelconque (2), ou bien doit-on adopter une nouvelle théorie (c’est à dire prôner un nouveau paradigme (3) ? Et pourtant tout n’est pas aussi simple et tranché.

Les données du problème
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À l’autre bout de l’horizon théorique et en réaction à cette forme de réactionnisme, les diverses interprétations transpersonnelles vont plutôt définir l’EMI comme une expérience d’expansion de la conscience. Le danger qui résiderait ici serait alors de postuler non seulement l’existence d’une autre réalité, mais également le fait que les sujets accèdent bel et bien à cette réalité. (Car même si nous adoptons le point de vue que l’expérience correspond à une plongée dans une zone de la conscience plus profonde, ce qui sera alors reçu par les sujets correspond-il nécessairement à une réalité objective et extérieure (4) ? En fait, nous pouvons le croire mais nous ne pouvons pas le savoir.

Une vérification problématique
Une théorie ne peut être déclarée vraie (vérifiée) que si elle est corroborée par une série d’observations colligées de façon rigoureuse. Une des premières difficultés qui se pose à nous par conséquent est celle de la collecte des données, et ce à un double point de vue. Premièrement, comment réussir un échantillonnage vraiment scientifique - ce qui exigerait des moyens financiers, une volonté politique et la collaboration des institutions médicales, entre autres - alors même que le phénomène, s’il est reconnu, demeure sujet à caution pour la communauté scientifique ? Deuxièmement, et plus fondamentalement, même si nous réussissions à établir un tel échantillonnage, il faut bien se rendre compte que nous n’aurons jamais accès à l’expérience elle-même : tout ce que nous possédons, ce sont les traces qu’elle laisse.
Nous nous trouvons donc dans l’ordre du discours et non des faits. Nous sommes d’abord confrontés aux bornes du langage elles-mêmes, les sujets retraduisant en mots et en concepts ce qui, par définition, relève de l’indicible. Non seulement cela, mais les sujets soit :

1. Ont reçu durant l’expérience elle-même des «images» conditionnées par un contexte historique et culturel(5) ;

2. Soit ont interprété leurs perceptions selon les croyances et concepts véhiculés par leur milieu après leur réanimation (6). Le problème se corse encore du fait que les sujets auront tendance à réinterpréter leur expérience en interaction avec les réinterprétations des chercheurs.

Nous avons donc affaire à des récits, et des récits qui sont reconstruits par les sujets eux-mêmes ainsi que par les chercheurs (notamment à travers les modèles normatifs qu’ils auront établis).

Outre ces difficultés, comment maintenant pouvons-nous vérifier les dires des sujets, de un, et comment allons nous les expliquer ?

La question de la preuve
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En ce qui a trait à l’existence d’une réalité transcendante, comment pourrions-nous même imaginer pouvoir la démontrer puisque, par définition, cette réalité échapperait à toute les lois physiques de notre monde ? (A moins, bien sûr, de construire des modèles théoriques fondés sur le postulat d’un continuum psycho-spirituel, mais en quoi cette modélisation constituerait-elle une preuve) ?

Bien sûr, nous ne pourrions avancer que si expérience il y a et que si nous ne pouvons pas vérifier la réalité des perceptions reçues, nous pouvons du moins déduire l’existence d’un autre monde à partir des traces psychologiques et spirituels qu’elle laisse. Or, la question est encore une fois plus complexe. Car si nous pouvons vérifier la nature des transformations survenues chez les sujets à propos de leurs valeurs et de leurs croyances, comment allons-nous vérifier celles de leurs comportements ? Or, si quelque chose à été démontrée ces dernières années, c’est bien que l’E.M.I. ne comporte aucun effet automatique et peut même conduire à des comportements de type pathologique. A cet égard, l’E.M.I. ne se distingue guère des expériences mystiques - dont elle possède plusieurs caractéristiques -, le «moment mystique» devant être considéré non pas comme un événement unique et magique, mais plutôt, pour reprendre l’expression de Michel de Certeau, comme un mot à lire dans une phrase.

Bref, tout ce que démontre l’E.M.I., c’est qu’il se passe quelque chose au plan psychique au moment de la mort, et ce quelque chose peut servir de source de sens et de support d’évolution chez les sujets. Mais ce qu’éprouvent les sujets ne prouve ni l’existence de Dieu, ni celle d’un au-delà. Mais que les sujets réanimés aient réellement ou non visité le pays des morts (qui est aussi celui des dieux), la valeur et le sens de leur expérience demeurent les mêmes. Ils ont été au-delà de la condition humaine, de ses limites, de ses contraintes et de sa relativité, et ont éprouvé en leur être ce qui constitue en soi un inconcevable et un inimaginable : l’Absolu. C’est à dire qu’ils ont eu accès à un domaine qui ne peut être ni montré, ni démontré (comme tout ce qu’il y a d’essentiel...).

NOTES
1. Jung croyait déjà que la libido, qui se divise durant le processus vital en une partie physique et une autre psychique, se réunifiait au moment de la mort, d’où un accroissement de la vitalité psychique.
2. C’est le cas, par exemple, de la théorie du psychiatre Russell Noyes qui a utilisé le concept de dépersonnalisation, que l’on retrouve dans les névroses de type hyperanxieux, afin d’expliquer le phénomène.
3. C’est ce que réclament les tenants du courant transpersonnel.
4. Ainsi, Jung se dressait-il contre la théorie "réductionniste" de Freud sur la nature des expériences mystiques en les définissant comme une expérience de rencontre direct avec les archétypes de l’inconscient collectif. Il pouvait dès lors les décrire en termes de transcendance et non plus de régression, sans pour autant être obligé de statuer sur le caractère ontologique desdits archétypes.
5. "Tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui reçoit" disait déjà Thomas d’Aquin. Voir à ce sujet les diverses recherches transhistoriques et transculturelles qui ont été menées, et qui tendent à démontrer l’existence d’un lien entre les représentations présentes dans l’E.M.I. et le milieu culturel et historique d’origine des sujets.
6. Les perceptions peuvent-elles être «pures» ? Cette question hante les études sur la mystique depuis toujours. Voir à ce sujet l’article de M.C. McLaughlin, «The Linguistic Subject and the Conscious Subject in the Mysticism Studies», Studies in religion/sciences religieuses, vol.5, n°2, 1996, p.175-192.

Texte intégral:
www.paranormal-info.com/Des-traces-que-la-maree-efface.html

Liens
Expériences de mort imminente (épuisé)
Frontières, volume 8, numéro 3, hiver 1996.
http://www.frontieres.uqam.ca/8_3.html

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10

Notes

Source: Yves Bertrand, «Des traces que la marée efface»

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