L'Encyclopédie sur la mort


Vers la fin de l'automne

Cynthia Jeffries

En 1952, lorsqu'elle estima que les sentiments d'Arthur Koestler s'atténuèrent à son égard, Cynthia, sa compagne, a eu des idéations suicidaires. S'il est vrai qu'une personne, qui a attenté à sa vie ou qui a pensé sérieusement au suicide, demeure vulnérable, il est difficile d'associer cet événement de sa vie au fait de sa mort volontaire effective trente ans plus tard. Toutefois, sa référence à une «existence provisoire» peut laisser supposer que sa décision était en suspens et l'exécution de son geste fatal, seulement ajournée.
Vers la fin de l'automne ou le début de l'hiver, un changement se produisit dans ma vie. Il fallut une semaine ou deux avant que la vérité s'impose, car Arthur ne me disait rien. Je venais travailler tous les jours comme d'habitude, mais les trajets jusqu'au pub ensemble pour déjeuner d'un sandwich ou les sorties au cinéma lorsqu'il se sentait déprimé cessèrent complètement. Le pire fut que l'illusion que j'avais parfois d'être proche de lui s'évanouit et fut remplacée par un vide insondable.

Il aurait pu me le dire, pensais-je, désespérée. Son instinct l'avait peut-être averti de n'en rien faire. Je savais qu'il ne voulait pas que je reste sa«petite esclave» pour toujours et qu'il pensait que je devais trouver un mari et vivre ma vie. Je ne trouvais plus aucun réconfort dans la lecture ou la musique, et j'étais confrontée au vide de ma propre personne à qui je ne pouvais échapper, même un instant. Finalement, je trouvai une solution à cette existence intolérable. Pourquoi n'y avais-je pas songé plus tôt, puisque c'était si simple. J'allais me tuer.

Je me sentais soulagée d'un grand poids. Cela m'était égal maintenant. Bien entendu, je ne pouvais pas faire une chose pareille à la maison - l'idée qu'une de mes malheureuses colocataires découvrirait mon cadavre m'était insupportable. Le meilleur endroit était Kensington Gardens. Je m'assiérais sur un banc un soir après la fermeture des portes et j'avalerais une dose excessive de somnifères. Je ne laisserais pas de lettre; mon cadavre ne serait peut-être pas identifié et je quitterais la vie sans qu'on s'en aperçoive. Il y avait un médecin dans Montpelier Place auquel je demanderais de me prescrire des barbituriques. Même sans ces pilules, je pourrais toujours trouver un moyen de mettre fin à mes jours si j'étais désespérée et suffisamment résolue. Et ainsi soutenue par mes pensées de suicide, je continuai de vivre ce que je prenais pour une existence provisoire.

[...]

Un mois après mon départ, il nota dans son carnet: "J'avance péniblement vers la fin du volume II. Cynthia est partie le 30 juillet - je me suis soudain senti terriblement déprimé de la perdre. En partie parce qu'elle est vraiment exceptionnellement gentille, gaie, naïve, dévouée; et aussi parce que c'est une rupture avec un autre fragment de ma vie. Les adieux furent très agréables"

Je devrais découvrir, en arrivant à New York, à quel point mes illusions sur le mariage avaient été infantiles. Elles n'avaient pas leur place sous la lumière crue de la vie quotidienne; avant longtemps, nous étions séparés et le mariage fut dissous.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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