L'Encyclopédie sur la mort


Se supprimer ou choisir la vie malgré tout?

Lytta Basset

Le psychologisme ambiant a tendance à réduire l'expérience du suicide à un dysfonctionnement psychologique: «Tu fais simplement une dépression!» On peut y voir au contraire une volonté de trouver un sens dans l'absurdité de l'existence. Pendant presque vingt siècles, l'Église, de concert avec l'État et la société civile, a massivement condamné le suicide comme «l'anti-pouvoir par excellence». Le questionnement de l'auteur ne sera pas théorique (le suicide est-il permis?). mais nourri de l'expérience personnelle : le suicide m'est-il permis à moi dans la douleur qui est la mienne?

L'extrait choisi porte sur les perspectives éthiques du suicide. D'autres pages de l'article sont consacrées à la question : «ce qui peut aider à choisir la vie malgré tout: les aides affectives, réflexives et spirituelles».
Du côté de l'éthique, il n'existe aucune argumentation convaincante. Selon l'éthicienne catholique A. Pieper, interdire absolument le suicide reviendrait à obliger l'humain à vivre à tout prix, en toutes circonstances. C'est «restreindre la liberté d'une manière moralement inadmissible» (16). Or, en éthique, le bien humain suprême n'est pas la vie, mais la liberté morale - toujours limitée par la liberté des autres, il est vrai. « Le suicide est une action permise, une action qui est donc déclarée comme moralement possible - non comme moralement nécessaire ni comme moralement impossible [...]. Je puis moralement mettre moi-même un terme à une vie devenue pour moi absurde, qui n'est plus digne de l'homme, mais je ne suis pas obligé moralement de le faire» (17). Et le théologien protestant P. Bühler va dans le même sens: «Il est impossible d'avoir un jugement éthique radical sur l'acte du suicide» (18).

Personnellement, il m'arrive de m'émerveiller de ce que tant d'humains aient le courage de vivre. Psychologues, humanistes, guides spirituels en conviennent: aucun amour authentique ne peut exiger qu'autrui vive. Le judaïsme a bien pressenti cela. Luther aussi, qui voyait dans la personne suicidée une victime de «la mélancolie*et de l'attaque satanique contre la foi» (19), il faisait la distinction entre le geste et son auteur qui, lui, n'étant pas exclu de la grâce, devait être enterré comme les autres. C'est que le Dieu biblique veut l'humain libre. Ne contraignant personne à vivre, il présente toujours la vie comme un choix.

«Contrairement à celle des animaux*, la vie de l'homme n'est pas une contrainte dont il ne peut se débarrasser, affirmait le théologien protestant D. Bonhoeffer*: il est libre de la vivre ou de l'anéantir» (20). Et le théologien catholique H. Kung ne dit pas autre chose: en créant l'humain libre, Dieu lui donne la possibilité, voire le droit de décider du moment et de la modalité de sa propre mort. En lien avec l'expérience croyante, H.-B. Peter s'inscrit dans la même ligne:«C'est la relation avec Dieu qui nous fait sentir ce qui est permis ou interdit du point de vue théologique, non pas du point de vue moral ou juridique. Dans cette perspective de la foi, il est tout à fait pensable que [...] dans les cas concrets où la vie devient insupportable, Dieu puisse juger que le suicide est autorisé, voire recommandé [...]. Que ce soit de point de vue chrétien, ou éthique et philosophique, il ne saurait y avoir une «condamnation à vivre» (21).

Notes
16. Annemarie Pieper, «Arguments éthiques pour la permission du suicide», Concilium, n° 199, 1985, p. 69.
17. Ibid., p. 70.
18. Pierre Bühler, «Le suicide: quelle liberté? Une approche éthique», dans Le suicide. Un choix? (collectif), Tout comme vous, Actes du congrès de l'ANAAP (7 décembre 1993), spécial n° 7, juillet 1994, p. 6.
19. Martin Luther, «Tischreden Nr 222», Werk-Ausgabe, vol.10, p. 112, cité par Hans-Balz Peter, «La dimension éthique. Le suicide est-il justifiable à certaines conditions?», dans Hans-Balz Peter et Pascal Mösli (dir.) Suicide. La fin d'un tabou? Genève, Labor et Fides, coll. «Le champ éthique», n° 41, 2003, p. 79.
20. Dietrich Bonhoeffer, Éthique, rassemblé et édité par Eberhard Bethge, traduit de l'allemand par Lore Jeanneret, Genève, Labor et Fides, 1997 [1965], p. 133.
21. Hans Balz Peter, art. cit., p. 90 et 92.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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