L'Encyclopédie sur la mort


Récupération du suicide des hommes par les antiféministes

Francis Dupuis-Déri

«Il n'existe pas d'explication simple à la question: "Pourquoi les hommes se suicident plus que les femmes?"». C'est avec cette citation en exergue que Francis Dupuis-Déri débute son article intitulé «Le chant des vautours: de la récupération du suicide des hommes par les antiféministes». «Le thème du suicide des hommes, écrit-il, revient régulièrement dans les écrits des masculinistes, qui associent souvent ce phénomène aux avancées du féminisme en général et au choix des femmes* de se séparer de leur conjoint. Ces explications peuvent être interprétées comme une responsabilisation, voire une culpabilisation des femmes face au suicide des hommes. » (p. 147) «Contrairement à ce que proposent les masculinistes, ce serait une redéfinition des rôles sexuels qui pourrait réduire le taux de suicide chez les hommes, plutôt qu'un renforcement de la différence et de la complémentarité entre le «masculin» et le «féminin»(p. 173). Nous présentons ci-dessous la conclusion de cette étude très éclairante.
Au-delà de propositions d'approches à privilégier dans le cadre d'interventions pour prévenir le suicide, [...], il convient pour conclure de revenir sur la portée politique du discours masculiniste sur le suicide des hommes. Que ce discours soit motivé ou non par.une réelle préoccupation face au suicide chez les hommes, il a pour effet (1) de détourner l'attention des suicides de femmes; (2) de falsifier la signification de plusieurs suicides d'hommes qui ont posé ce geste sans lien aucun avec les femmes et (3) de dénigrer et de culpabiliser les féministes et les femmes en les accusant d'être responsables du suicide des hommes.

Cette analyse fallacieuse de masculinistes sur les suicides des hommes participe d'une stratégie de contrôle et de domination des hommes sur les femmes, et cela de plusieurs façons. D'abord, des masculinistes minent la crédibilité du mouvement féministe en accusant les féministes et les femmes d'être responsables de la mort des hommes. Ensuite, en ne parlant que des suicides des hommes et jamais de ceux des femmes, des masculinistes justifient que les hommes monopolisent les ressources accordées à la prévention du suicide et abandonnent à leur sort de nombreuses,femmes envisageant le suicide. Enfin, des masculinistes culpabilisent des femmes et minent leur autonomie ainsi que leur volonté de s'émanciper de relations de couple qui ne les satisfont pas par l'amalgame qu'ils proposent entre la problématique du suicide des hommes et les relations de couple.

Les femmes ont acquis le droit de divorcer il y a à peine une génération. Toutefois, le discours de masculinistes rappelle régulièrement, et sur le ton de la complainte, qu'environ 65 % des ruptures de couples sont déclenchées par les femmes. Des masculinistes préfèrent reprocher aux femmes d'abandonner les hommes qui ensuite se suicideraient en masse, plutôt que de se demander ce que les hommes font ou ne font pas pour ainsi déplaire à leur conjointe. Des masculinistes expriment donc, à travers leurs analyses antiféministes et misogynes sur le suicide des hommes, un« besoin immature et inconscient d'être aimé inconditionnellement par autrui (141) », sans chercher dans les attitudes et comportements des hommes ce qui pourrait ne pas être digne d'amour, et donc d'engagement émotif et sexuel. Rappelons que Georges Dupuy prétend qu'« il y en a la moitié [des hommes] qui se suicident pour des raisons de rupture conjugale» et que F4J estime pour sa part ce ratio à 75 %. Si les masculi"nistes ne remettent pas explicitement en cause le droit des femmes de divorcer, ils laissent entendre qu'une femme assassine un homme lorsqu'elle s'émancipe de sa relation avec lui. Ce discours renforce la position des hommes face aux femmes en minant leur potentielle autonomie. Le discours masculiniste sur le suicide profite à des hommes qui pourront continuer d'exercer leur contrôle sur leur conjointe. Ce discours fait écho à la volonté et aux intérêts des hommes qui exigent que les femmes soient à l'écoute de leurs besoins et qu'elles se sentent responsables de leur bienêtre autant matériel qu'émotif.


140. Janie Houle, op. cit., p. 190.
141. André Paquet,« La violence intrinsèque ou le droit d'être aimé », dans Venant Cauchy (dir.), Violence et coexistence humaine: Actes du n' Congrès mondial de l'ASEVICO, vol. IV, Montréal, Montmorency, 1995, p. 121.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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