L'Encyclopédie sur la mort


L'épreuve des veuves (Water)

Ella Marder

C'est désormais la condition misérable des veuves hindoues que dénonce la cinéaste Deepa Mehta, née à Amritsar (Inde) en 1950 et installée à Toronto depuis 1973. Le film Water s'ouvre sur le visage espiègle et souriant de Chuyia, une jolie fillette aux longs cheveux noirs. Elle est assise dans une carriole avec à son bord un mourant dont elle chatouille les pieds. Aujourd'hui, il est son mari et demain ne le sera plus. Veuve à 8 ans, l'enfant devra se plier aux préceptes sacrés vieux de deux mille ans auxquels obéissent encore la plupart des ashrams de veuves en Inde.
Water de Deepa Mehta,
avec Lisa Ray, Seema Biswas, Sarala.
1 h 57.


Si la réalisatrice plante son décor dans la société coloniale de 1938, c'est qu'à cette époque, les mariages d'enfants étaient encore très répandus bien qu'interdits depuis les années 20. Si, d'autre part, elle choisit de raconter le destin malheureux des veuves hindoues en peignant celui d'une petite fille, c'est afin de montrer «à travers un regard innocent» comment l'apôtre de la non-violence Gandhi, en 1938 déjà, prêchait pour libérer les femmes de coutumes inhumaines, contraires aux droits les plus élémentaires, et comment la montée en puissance des fondamentalistes hindous demeure un sujet préoccupant.
Soixante ans après la partition de l'Inde et la mise en vigueur de nouvelles lois, des dizaines de millions de veuves sont encore abandonnées à leur sort. Les textes religieux stipulent que seule «la femme vertueuse demeurée chaste après la mort de son mari va au paradis» . Comme elles représentent un fardeau financier pour leurs familles, les veuves sont reléguées dans des ashrams. Là, vêtues de blanc, le crâne rasé, ces «parias» attendent la mort dans la prière et la mendicité.
Manifestations. «Les enfants ne savent pas comment fonctionnent les lois et sont pourtant des juges acerbes. Ils sont intelligents, honnêtes et cruels à la fois. Observer la fracture d'un pays, sa misère politique, ses factions religieuses à travers les bouleversements que l'arrivée d'une fillette insouciante et directe pouvait déclencher au sein d'un groupe de solitudes résignées me paraissait donc intéressant.»

La caméra, fluide, dessine, enveloppe, accompagne ces personnages de recluses oubliées. Parmi les quatorze actrices, il y a Seema Biswas (dans un registre intimiste), Lisa Ray (belle à mourir, toute en tendresse), et surtout l'enfant pakistanaise Sarala, charisme affolant de boute-en-train à l'optimisme communicatif.

(Extraits de Ella Marder, «L'épreuve des veuves» dans Quotidien, Mercredi 6 septembre 2006 : http://www.liberation.fr/culture/cinema/202698.FR.php)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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