L'Encyclopédie sur la mort


Légende de la mort (La)

Anatole Le Braz

Anatole Le Braz ( 1859-1926) naquit à St-Servais, petite commune des Côtes d'Armor, mais passa l'essentiel de son enfance à Ploumiliau. Bon élève dans un lycée de St Brieuc qui porte aujourd’hui son nom, le jeune Anatole prépara sa licence de lettres au lycée St Louis, à Paris. Il devint professeur de philosophie à Quimper et ce fut là qu’il se mit à écrire de nombreux ouvrages sur la Bretagne, ses traditions, ses paysages. Sa Légende de la Mort est plus un recueil de témoignages et d’histoires vraies que de fabulations et de contes. On y parle beaucoup de l’Ankou*, le Charretier de la Mort breton, que l’on doit se garder soigneusement de croiser sur sa route sous peine de prendre sa place au 1er de l’An suivant; des intersignes, signes annonciateurs de la mort d’un proche; des fantômes, bien sûr mais aussi de l’Enfer, du Paradis, de l’Ame et des villes englouties. Les connaisseurs en civilisation celtique pré-chrétienne n’auront aucune peine à constater que, sous une couche de la religion catholique, la Bretagne qu’évoque Le Braz a su garder intactes ses traditions animistes et merveilleuses que l’on retrouve par exemple, d’une autre façon, dans les légendes arthuriennes. Monument à la gloire de l'imaginaire breton, La Légende de la mort est le fruit de longues années de collecte auprès des paysans et des marins d'Armorique à qui Anatole Le Braz rend la part qui leur revient : dans son introduction, il parle d' « une œuvre dont j'ai lieu de me montrer d'autant plus satisfait qu'elle n'est pas, à proprement parler, de moi, mais de toute la Bretagne celtique. Évoquant, plus loin, les circonstances de son enquête, il précise : pendant près de quinze années consécutives, je n'ai guère cessé ... de solliciter la mémoire populaire, parcourant à ce dessein toute la Bretagne ... Je revois les scènes et les villages : c'est tantôt un intérieur de sabotiers, dans l'Argoat ... tantôt la chambre de veille, au phare de l'île de Sein, le gardien de service assis à son banc de quart et les réflecteurs de la lanterne balayant de leurs feux paisibles la mer démontée ...»

Anatole Le Braz, La légende de la mort chez les Bretons armoricains, dans Magies de la Bretagne [vol. 1) édition établie par Francis Lacassin. Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1994.
Introduction sur l'Ankou popularisé par les travaux de Le Braz

Hervé, Rennes « L’Ankou est l’ouvrier breton de la mort chargé de moissonner les défunts de village en village, de ville en ville. Il n’a pas un seul jour de repos. Les rares témoins qui l’ont croisé et qui sont restés vivants, le décrivent comme un homme très grand et squelettique, au visage cadavérique encadré de longs cheveux blancs et ombragé d’un large chapeau. Vêtu d’un manteau noir, il serre dans sa main droite une faux dont le tranchant est tourné vers l’extérieur pour pousser en avant plus facilement les cadavres vers le royaume des ténèbres. Empruntant de vieux chemins forestiers, l’Ankou voyage sur une charrette dont l’essieu mal graissé fait Wik ! Wik !. L’Ankou ne voyage pas seul et se fait précéder par ses amis préférés : la famine, la peste et le choléra, annonçant toujours son arrivée par le croassement d’un corbeau ou le hululement d’une chouette. Inutile de préciser qu’il est formellement déconseillé de monter dans la charrette nocturne de l’Ankou sous peine de trépasser très vite. Mais attention, pour les bretons, la mort n’est pas une fin et le dernier voyage dans la charrette de l’Ankou n’est qu’un passage vers un autre monde plus chaud et plein d’hydromel. Selon l’ethnographe du XIXe siècle, Bernard Marillier, l’Ankou serait « la survivance d’un ancien culte ancestral » symbolisant le dernier mort de l’année. Pour tous ceux qui veulent voir l’Ankou (en toute sécurité), il est conseillé de visiter l’église de Ploumilliau (4 km de Saint-Michel-en-Grève) qui abrite une statue en bois de l’Ankou. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’écrivain Anatole Le Braz né justement dans ce village popularisera au début du vingtième siècle l’Ankou en recueillant auprès des dernières conteuses ses funestes aventures dans l’ancienne Bretagne pour en écrire une anthologie du folklore breton devenue aujourd’hui classique, La Légende de la Mort chez les bretons armoricains. »(Claude Arz, auteur de Haut lieux, croyances et légendes de la France mystérieuse, SRD, 2006)

Extraits de La Légende de la mort

Les intersignes

Les intersignes annoncent la mort. Mais la personne à qui se manifeste l'intersigne est rarement celle que la mort menace. Si l'intersigne est aperçu le matin, c'est que l'événement annoncé doit se produire à bref délai (huit jours au plus). Si c'est le soir, l'échéance est plus lointaine; elle peut être d'une année et même davantage. Personne ne meurt sans que quelqu'un de ses proches, de ses amis ou de ses voisins, n'en ait été prévenu par un intersigne. Les intersignes sont comme l'ombre, projetée en avant, de ce qui doit arriver.

Si nous étions moins préoccupés de ce que nous faisons ou de ce qui se fait autour de nous en ce monde, nous serions au courant de presque tout ce qui se passe dans l'autre.

Les personnes qui nient les intersignes en ont autant que celles qui en ont le plus. Elles les nient uniquement parce qu'elles ne savent ni les voir, ni les entendre; peut-être aussi parce qu'elles les craignent et qu'elles ne veulent rien entendre ni rien voir de l'autre vie.

La main sur la porte

C'était au Pont-Labbé, il y a bien soixante-dix ans. Ma grand-mère était très malade, presque à l'article de la mort. Ma mère la veillait, en compagnie de ses trois soeurs. Vers le milieu de la nuit, ma mère dit à ses trois soeurs qui étaient encore un peu jeunes et que la fatigue accablait :

- Allez vous reposer, enfants. La moitié de la nuit est déjà passée. Je veillerai bien, seule, maintenant, jusqu'au matin.

Et les trois fillettes de gagner leur chambre commune. Au moment où celle qui était entrée la dernière fermait la porte, elle fit un grand cri:

- Voyez donc!

Sur le bois de la porte une main s'étalait, les cinq doigts ouverts, une main maigre, osseuse et ridée, avec de grosses veines saillantes. Et cette main était toute pareille à celle de la moribonde. Les jeunes filles furent prises de tristesse; elles s'agenouillèrent au pied de leurs lits pour faire leur prière, comme elles avaient coutume.

Mais elles eurent beau enfoncer leurs têtes dans les matelas des lits et appliquer toutes leur pensée à l'oraison qu'elles récitaient, elles songeaient toujours, malgré elles, à la main, et ne pouvaient s'empêcher de glisser un regard de côté pour voir si elle apparaissait encore.

La main restait collée à la même place.

Soudain, ma mère monta : - Venez, dit-elle, je crois que c'est la fin.

Elles redescendirent toutes les quatre et arrivèrent juste à temps pour recevoir le dernier soupir de la vieille.

(Conté par Mme Riolay. - Quimper, juin 1891)

Le don de voir

Certaines gens ont plus que d'autres le don de voir. Dans mon jeune temps on se montrait du doigt, non sans une secrète épouvante, les personnes qui étaient douées de ce pouvoir mystérieux.

- Hennès hen eus ar pouar! disait-on (Celui-là a le pouvoir). Dans cette catégorie privilégiée, il faut ranger en première ligne ceux « qui ont passé en terre bénite et en sont sortis avant d'avoir été baptisés. »

Voici le cas : un enfant vient de naître. Le recteur, que l'on est allé trouver, a fixé l'heure du baptême. Mais vous savez comme les gens de la campagne sont peu exacts. Père et matrone, parrain et marraine flânent en chemin, s'attardent aux auberges s'il y en a sur la route, n'arrivent au bourg que longtemps après l'heure convenue. Le prêtre s'est lassé de les attendre vainement ou a été appelé par quelque autre devoir de son ministère.

Nos gens se rendent au porche, trouvent l'église déserte. À leur tour de s'y morfondre. Il n'y fait pas chaud. L'enfant crie. La matrone, la groac'hann-holenn (la vieille-au-sel), déclare que si l'on reste là, le nouveau-né risque « d'attraper sa mort ». On gagne quelque endroit mieux abrité, l'auberge la plus voisine. On y patiente, en vidant chopine, jusqu'au retour du prêtre. L'enfant a passé au cimetière, terre bénite, et en est sorti sans avoir été fait chrétien. Il aura le don de voir.

L'aventure se produit souvent. De là vient que tant de Bretons ont la faculté de voir ce qui reste invisible aux yeux de la plupart des hommes.

(Communiqué par René Alain, garçon de bureau aux Archives départementales, ancien chantre à Penhars. - Quimper)

IMAGES
L'ankou (La legende de la mort Anatole Le Braz)
Hervé, Rennes

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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