L'Encyclopédie sur la mort


Le rapport Boris Cyrulnik: « Quand un enfant se donne la mort »

Boris Cyrulnik

Début 2011, une jeune fille de 14 ans tentait de se tuer et deux enfants de 9 et 11 ans mettaient fin à leurs jours. En France, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15-24 ans (16,6 % des causes de décès) après les accidents de la route, et représentait, en 2008, 3,8 % des causes de décès chez les 5-14 ans. La multiplication et la médiatisation de ces suicides a amené les pouvoirs publics à se pencher sur ce phénomène qui conduit des jeunes, voire des très jeunes, à passer à l'acte. Au-delà de l'importance des facteurs psychologiques tels que l'indifférence ressentie ou encore l'isolement vécu, il apparaît important de mieux identifier les raisons qui expliquent ces gestes. La secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, Jeannette Bougrab, a confié au Professeur Boris Cyrulnik une mission d'étude destinée à éclairer sur les mécanismes qui peuvent pousser un jeune et un enfant à se donner la mort, et à apporter des pistes d'action pour éviter de tels drames. Ce théoricien de la résilience lui a remis son rapport le 29 septembre 2011. Ce rapport a été publié: CYRULNIK, B., Quand un enfant se donne la mort. Attachement et société. Paris, Éditions Odile Jacob, 2011.
Préface de Jeannette Bougrab

« Jusqu'à présent, personne n'avait osé aborder, voire effleurer cette triste réalité du suicide des enfants, préférant souvent la nier en la dissimulant au travers de jeux dits dangereux. Le suicide touche aussi les plus petits, les enfants, les préadolescents. Je suis convaincue que la lecture de ce livre remarquable permettra de sauver des vies. Je suis convaincue que ce travail est vital afin d'agir pour prévenir la souffrance des enfants qui, par désespoir, faute d'être entendus par les adultes, agissent de manière risquée jusqu'à l'accident fatal prévisible. Le travail inédit réalisé par Boris Cyrulnik à travers une approche pluridisciplinaire mêlant neurobiologie, biochimie, psychologie, sociologie et autres disciplines nous éclaire. Ce livre nous donne de l'espoir. Nous pouvons tous, dès à présent, être des acteurs de la prévention du suicide des enfants. L'amour, l'affection, les liens familiaux, l'écoute d'adultes constituent des protections efficaces. Je crois que le message le plus important de ce livre remarquable de Boris Cyrulnik, c'est que l'histoire n'est jamais écrite. »

Éléments du rapport

Le rapport établit un bilan et avance des pistes de prévention. Pour éviter de se concentrer sur une seule cause, une approche pluridisciplinaire a été privilégiée, mêlant neurobiologie, biochimie, psychologie, sociologie...

Des suicides aboutis sont rares chez les 5-12 ans. Peut-on les prévenir, détecter des signes annonciateurs ? Cyrulnok reconnaît cependant que seuls 20 % des enfants expriment leur mal-être. Cela peut passer par de l'impulsivité, une prise de risque inconsidéré, un décrochage scolaire, un repli sur soi... Autant d'indices cependant difficiles à distinguer du comportement normal d'un enfant qui cherche à identifier les limites.

Boris Cyrulnik ne postule pas une cause unique mais propose une approche systémique :

« L' école, qui aujourd' hui est devenue le nouveau classificateur social, est surinvestie par les parents. Cette institution réalise les conditions expérimentales de l angoisse : immobilité physique et suppression de procédés spontanés de tranquillisation. La désorganisation des rythmes scolaires empêche les apprentissages et augmente le malaise. Le problème du XXIe siècle sera celui des déplacements de population. La première génération chassée de son pays, pillée pendant le voyage et souvent mal accueillie souffre beaucoup mais se suicide peu. C est paradoxalement dans la deuxième génération qu on note le plus de troubles et de suicides des jeunes. Les enfants, nés dans le pays d accueil, suffisamment scolarisés souffrent beaucoup de troubles anxieux et d idéal de soi. La niche affective qui a tutorisé leur développement était appauvrie par le malheur parental ».

Il faut favoriser la stabilité affective, adapter les rythmes aux processus d apprentissage des enfants, encourager les structures socialisantes, privilégier une politique d intégration plutôt que d assimilation : tels sont les moyens de prévention proposés

L’origine du suicide chez l’enfant jeune est multifactoriel : biologique, psychologique et social. Un seul facteur ne suffit pas à expliquer le passage à l’acte. D’un point de vue biologique, certains enfants sont de petits transporteurs de sérotonine. Un bébé isolé sensoriellement dans le ventre de sa mère — parce que celle-ci vit des choses difficiles — ou au début de sa vie stimulera moins ses neurones préfrontaux, ceux qui fabriquent de la sérotonine. Cela donne des enfants très émotifs qui peuvent faire de grands artistes, mais qui seront aussi plus sensibles aux aléas de la vie.

D’un point de vue biologique, si on s’occupe du bébé et de la mère, les fonctions reprennent. Mais pour cela, il faut qu’ils soient suffisamment entourés. Or nous vivons dans une société où ce que j’appelle le « village social » a disparu. On vit de plus en plus seul et cette nouvelle solitude est un élément essentiel pour expliquer le suicide. Toutefois, ce n’est pas le seul. Je le répète, il n’y a pas qu’une seule cause au suicide des enfants. Parfois, tout est réuni et rien ne se passe. Et parfois, il suffit d’une pichenette — une remarque, une punition à l’école — pour que l’enfant passe à l’acte.

Grâce au village social, il n’y a plus un seul et unique responsable. Il consiste en de multiples attachements qui peuvent être familiaux mais pas seulement. Cela peut être les grands-parents, mais aussi les enseignants, les amis, les voisins, etc. Il faut que l’enfant puisse avoir des figures sécurisantes auxquelles s’attacher en cas de problème et qu’il puisse opérer la résilience.

Un enfant de 5 ans qui se donne la mort ne pense pas qu’il va mourir. Il n’a pas la notion adulte de la mort. Ce qu’il cherche, c’est l’immobilité, le temps que les choses s’arrangent.

La prévention passe par des changements profonds au niveau de la naissance, de l’école, de la famille et de la culture. Pour éviter les éventuelles carences sensorielles du bébé, il faut allonger le congé maternité et paternité. Je préconise de développer les métiers de la petite enfance et les crèches. Il faut aussi améliorer le sort des enfants abandonnés, faire en sorte qu’ils ne changent pas constamment de bras. De son côté, l’école peut être une machine à stigmatiser. Je suis opposé à la notation des tout-petits et à l’orientation précoce. Une expérience a été faite dans le nord du Japon, pays qui a connu une forte vague de suicides d’enfants. Une partie des municipalités a décidé de consacrer davantage d’heures au sport et aux loisirs, l’autre a refusé. Bilan dix ans plus tard : les premières ont fortement diminué leur taux de suicide.

(Source : Les News Psycho. « Suicide des enfants : les préconisations de Boris Cyrulnik » le vendredi 30 septembre 2011).

Pour conclure provisoirement, le rapport nous nous fait rendre compte que l'approche psychologique n'est pas suffisante et que, outre des éléments d'ordre biologique, l'environnement social et culturel (famille, école, société) exerce une grand influence sur le développement intégral des enfants et les malaises qu'ils peuvent éprouver dans l'adaptation à leur milieu ainsi qu'aux phénomènes, événements et situations qui s'y produisent.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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