L'Encyclopédie sur la mort


La Santa Muerte

Silvia Mancini

Dans les marges de Mexico City, à côté des quartiers bourgeois et petit-bourgeois habités par des bons catholiques ou des évangéliques zélés, mais aussi par la jeunesse porteuse d'une contre-culture commerciale, le culte de la Santa Muerte fédère les porte-parole d'un monde en guerre contre la mort elle-même, la précarité, la faim, le chômage chronique, la pauvreté et la maladie qui rôdent dans ces quartiers. Véritable forme de résistance aux maux d'un capitalisme agressif diffusé par la politique officielle de l'État, cette forme de culte véhicule une logique symbolique précise, la même qui organise dans les polythéismes anciens les relations entre les humains et les non-humains, est à l'oeuvre dotée d'un pouvoir autoréparateur et constructeur puissant.
[La figure de la Santa Muerte] remplit une fonction attractive qui totalise et incarne, sous ses traits squelettiques, tous ces aspects de la réalité sur lesquels les humains n'ont pas d'emprise (les hasards, les diverses formes de négativité, l'incertitude, la maladie, la malchance, la mort elle-même). En tant qu'entité mythique, la Santa offre ainsi un visage et un nom aux impondérables de l'existence sans nom et sans visage. [...] cette fonction de la Santa Muerte c'est l'humanisation du « non-humain », soit l'ensemble des facteurs qui résistent à l'action transformatrice et ordinatrice des humains.

[...]

Prisonniers d'un régime de vie sans issue et aux tracés déjà connus, dans l'impossibilité de conduire leur existence selon une direction « choisie » et « voulue », en se prévalant du pouvoir absolu de la Santa sur le monde, les fidèles ont eux-mêmes accès à l'action, à l'activité, à la puissance à l'état pur - autant de dimensions inaccessibles autrement. En somme, elle est le « monde », en ce qu'il a de négatif et de potentialités prometteuses - monde appréhendé sous une forme personnelle afin de le rendre susceptible de rapport et de direction. Voilà pourquoi elle constitue un vecteur essentiel dans le processus d'humanisation de l'existence, lequel va de pair avec le processus d'urbanisation qui a consisté à transformer l'espace chaotique, localisé en marge de la ville, en « un monde habité ».

Source

Silvia Mancini, « La Santa Muerte et l'histoire des religions » dans Francis Mobio, Santa Muerte. Mexico, la Mort et ses dévots, Paris, Auzas, « Imago », 2010, p. 157-158.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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