L'Encyclopédie sur la mort


La reconstitution historique de la mort

Serge Gagnon

«Les recherches historiques sont rarement gratuites. L'histoire est toujours de quelque manière contemporaine», écrit Serge Gagnon. «Pourquoi écrire l'histoire de la mort?» et «Comment raconter l'histoire de la mort?» se demande-t-il. Dans ses analyses d'un matériel autobiographique, l'auteur veut surtout explorer le pourquoi de la mort. En posant cette question fondamentale, il croit oeuvrer à l'élaboration d'une théologie historique.
Conçue en ces termes, la reconstitution historique de la mort appartient-elle à l'étude des mentalités, de la culture? Est-elle pratique d'une psychologie, d'une sociologie rétrospectives? Ce sont là des appellations courantes. Nous aimerions proposer une étiquette reflétant davantage l'esprit de cet essai. La croyance en la résurrection des morts n'était-elle pas universellement partagée par les chrétientés d'autrefois? En rendre compte, ne serait-ce pas, d'une certaine manière, faire de la théologie historique? Entendons-nous: il n'est pas question de restaurer l'histoire confessionnelle. Il s'agit seulement de reconnaître que la croyance en l'existence d'un Dieu juste et miséricordieux, répartissant les morts en damnés et sauvés, commandait autrefois une panoplie de conduites jugées méritoires ou condamnables. Dès lors, la théologie historique n'a pas à affirmer que Dieu existe. Elle peut s'appuyer sur des fondements méthodologiques déjà mis en oeuvre par Marc Bloch dans Les rois thaumaturges, il y a plus d'un demi-siècle, puis finement commentés et rajeunis par Jacques Le Goff. Ce dernier partage l'interprétation de Bloch: les rois de France et d'Angleterre faisaient des miracles parce que les gens croyaient qu'ils guérissaient: «Ce qui créa la foi au miracle ce fut l'idée qu'il devait y avoir un miracle.» Héritier des Lumières, Bloch s'insurgeait par ailleurs contre cette croyance «obscurantiste». Le progrès du savoir médical l'amenait à conclure qu'il n'y avait pas de miracle. L'histoire des mentalités, rappelle Le Goff, a depuis Bloch, renoncé au militantisme rationaliste: «Non que les historiens se soient mis à croire à nouveau au miracle [,,,] mais parce que les problèmes qu'ils se posent se limitent aux questions que posait Marc Bloch: «Comment et pourquoi a-t-on cru au miracle royal? Une croyance s'éclaire en dehors de sa véracité scientifique.» (1)
Nous inspirant de ce propos de méthode, nous pourrions formuler une problématique particulière à la théologie historique. Toute représentation de l'au-delà est une production imaginaire: Dieu, l'enfer, le paradis existent parce que l'on croit que de telles représentations de l'esprit humain correspondent à des lieux et à des êtres qui ont une existence «matérielle», en dehors de l'esprit humain.

(1) Marc Bloch, Les rois thaumaturges,Gallimard, 1983, préface de Jacques Le Goff, p. XI, XXVI, XXVII.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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