L'Encyclopédie sur la mort


La mort, le propre résultat de la vie

Arthur Schopenhauer

«Dans la Spéculation transcendante sur l’intentionnalité apparente dans le destin de l’individu, essai des Parerga, Arthur Schopenhauer risque l’hypothèse d’un sens métaphysique de la vie de l’individu dont le destin singulier serait conduit par la Volonté de vivre jusqu’au renoncement libérateur. [...] L’importance de l’individu en est magnifiée, lui que la Volonté de vivre dirige à son insu à travers bien des misères jusqu’à ce qu’il la reconnaisse comme sienne à l’heure de la mort. Elle inspira au jeune Nietzsche* son zèle pour le génie prédestiné. Sensible à cette méconnaissance, Thomas Mann* nota que Sigmund Freud* avait opéré une «traduction » psychologique de la métaphysique de cet essai.»
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Effectivement, lorsque Freud cherche à définir l'instinct de mort*, il se réfère à Schopenhauer: «Nous sommes entrés, sans y prêter attention, dans le port de la philosophie de Schopenhauer; pour lui la mort est bien "le propre résultat" de la vie et, dans cette mesure, son but, tandis que la pulsion sexuelle est l'incarnation de la volonté de vivre.» (Au-delà du principe de plaisir (1920), traduction française par Jean Laplanche et J. B. Pontalis dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2001, p. 107-108) Freud aima citer cette petite phrase que l'on retrouve dans ce texte: «chaque être vivant ne veut mourir qu'à sa manière». Chaque être humain, de manière douce ou violente, de manière plus ou moins détournée ou excessivement détournée, est conduit au renoncement à la vie ou à l'accomplissement de sa fin, de son destin.
Car, bien que la Volonté de vivre reçoive sa réponse dans le cours du monde en général, en tant qu'il est le phénomène de son effort, pourtant chaque homme est cette Volonté de vivre, d'une manière tout à fait individuelle et unique, en quelque sorte un acte individualisé d'elle-même [...] Or, comme [...] nous avons reconnu le détournement de la Volonté de vivre comme étant le but ultime de l'existence temporelle, nous devons donc supposer que chacun y est progressivement conduit par le chemin tout individuel qui lui convient, donc bien souvent, par des voies détournées. Et comme bonheur et jouissance travaillent, à vrai dire, dans un sens opposé à ce but, alors, nous voyons en accord avec lui la trame de chaque vie humaine infailliblement tissée de malheurs et de peines, quoique dans une proportion très inégale, rarement en excès comme dans les dénouements tragiques: dans ces cas, il semble que la Volonté soit, pour ainsi dire, poussée violemment au renoncement à la vie, et doive parvenir à la renaissance, comme par l'effet d'une opération césarienne. Enfin, cette direction invisible, qui ne se révèle que sous une apparence douteuse, nous accompagne ainsi jusqu'à la mort, ce véritable résultat de la vie, et, en tant que tel, son but. À l'heure de la mort, toutes les puissances mystérieuses (bien qu'elles soient vraiment enracinées en nous-même), qui déterminent le destin éternel de l'homme, se rassemblent et entrent en action. De leur conflit, s'ensuit le chemin que l'homme doit maintenant parcourir, se prépare même sa palingénésie, avec tout le bien et tout le mal qu'elle contient et qui est irrévocablement déterminée à partir de lui. - Là-dessus repose le caractère éminemment grave, de la plus haute importance, solennel et terrible de l'heure de la mort. Cette mort est une crise au sens le plus fort du mot - un Jugement dernier.» (Arthur Schopenhauer, «Extrait de Parerga et Paralipomena dans Le sens du destin, traduction française de M.-J. Pernin-Ségissement, Paris, Vrin, 2009, p. 110-111, cité par Claude Rabant, Métamorphoses de la mélancolie, Paris, Hermann, 2010, p. 202)
note: les italiques sont de nous.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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