L'Encyclopédie sur la mort


La montagne de Narayama

Shichirô Fukazawa

Dans un monde obsédé par la faim, Fukawaza a su créer une figure féminine, préoccupée de l'avenir de sa famille. En ce qui concerne le Japon, il a su dégager ainsi «un sentiment très ancien de la vie, de la mort, de la nature où tout se fond.» (B. Frank, «Introduction», Narayama, p. 14)

Encore un mois et ce serait: la fête de Narayama. Dès lors qu'une chanson avait fait son apparition, de proche en proche on se mettait à la chanter, et elle parvenait aux oreilles d'O Rin.

«O Tori-san de la Maison au sel sa chance est bonne
Le jour qu'elle va à la montagne il neige»

Dans le village, l'expression «aller à la montagne» a deux sens complètement différents. Dans les deux cas, c'est la même prononciation, c"est je même accent, mais tout le monde peut distinguer duquel des deux sens il s'agit. En parlant du travail, monter dans la montagne pour aller chercher du bois à brûler ou pour faire du charbon de bois, c'est aller à la montagne, mais l'autre sens, c'est le sens d'aller à Narayama. C'était une tradition de dire que si, le jour où l'on va à Narayama, il neige, on est quelqu'un dont la chance est bonne. À la Maison au sel, il n'y avait personne du nom d'O Tari-san, mais c'était quelqu'un qui, je ne sais combien de générations avant, avait vraiment existé et, du fait que le jour où elle était allée à Narayama il avait neigé, elle avait été mise en chanson et elle était restée dans la légende comme le personnage typique de quelqu'un dont la chance est bonne. Dans ce village, la neige n'était pas une chose rare. Quand venait l'hiver, il neigeait de temps en temps dans le village même et le sommet des montagnes, à l'hiver, devenait blanc de neige; mais en ce qui concerne la personne appelée 0 Tori-san, ce qu'il y avait, est que la neige était tombée au moment où elle était arrivée à Narayama. Si l'on va sous la neige, c'est que la chance est mauvaise, mais dans le cas d'O Tari-san, ç'avait été idéal. Aussi cette chanson contenait-elle, en plus, un autre sens: elle donnait à entendre que, quand on va à la montagne, on n'y va pas l'été, et qu'il faut dans toute la mesure du possible y aller l'hiver. Et c'est pourquoi les gens qui allaient au pèlerinage de Narayama choisissaient pour s'y rendre un temps où il semble devoir neiger. C'était une montagne où, si la neige s'accumule, on ne peut aller. Narayama, où habite un dieu, était une montagne située en un lieu éloigné, que l'on gagne en passant sept vallées et trois étangs. Que si, après avoir parcouru un chemin sans neige, la neige ne tombe pas lorsque vous êtes arrivé, on ne peut pas dire que votre chance est bonne. Cette chanson prescrit donc aussi des délais assez limités, c'est-à-dire: Va avant que la neige ne tombe.

Il y avait longtemps qu'O Rin avait fait ses préparatifs intérieurs pour aller au pèlerinage de Narayama. Il fallait fabriquer du sake pour le banquet du moment du départ et puis, il y avait la natte pour s'asseoir, une fois qu'elle serait dans la montagne, mais cette natte était déjà prête depuis plus de trois ans. Il fallait que fût réglée la question d'une seconde femme pour Tappei devenu veuf, et cela aussi faisait partie des dispositions à prendre. Or, tant le sake du banquet que la natte et la question de la bru, tout était en ordre. Il restait cependant encore une chose qu'il lui fallait accomplir.

O Rin, après s' être assurée que personne ne regardait, saisit la pierre à feu. Ouvrant la bouche, elle tapa sur ses dents de devant en haut et en bas avec la pierre à feu, gat gat. Elle pensait ainsi casser ses solides dents. [...]

Quand elle irait au pèlerinage de Narayama et qu'elle s'installerait sur une planche accrochée au dos de Tappei, elle voulait pouvoir y aller comme une belle vieille femme à qui il manque des dents. C'est pourquoi, subrepticement, elle essayait de les casser en se tapant dessus avec la pierre à feu.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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