L'Encyclopédie sur la mort


La dignité du vieil âge

Thomas Mann

Dans Goethe et Tolstoï (Petite Bibliothèque Payot, 1967), Thomas Mann* explique la profonde influence que la grande personnalité de ces deux maîtres a exercée sur leurs contemporains comme le fruit de la noblesse de leur grand âge, en opposition avec Schiller et Dostoïevski qui n'ont pas eu ce privilège. Par contre, ces deux derniers ont été plus accessibles à leurs contemporains et moins avares de leur temps que Goethe et Tolstoï , qui ont été, somme toute, très décevants pour maint admirateur. La noblesse et la vieillesse sont une affaire de nature et de corps, tandis que l'éthique et la critique appartient au monde de l'esprit.
Mais c'est un fait que ni le génie de Schiller ni celui de Dostoïevski* n'ont fait d'aucun coin de la terre un lieu de pèlerinage miraculeux. Ni l'un ni l'autre de ces hommes n'est d'ailleurs devenu assez vieux pour cela; ils sont morts trop tôt; ils n'ont pas atteint l'âge patriarcal de Goethe* et de Tolstoï*. La nature leur a refusé la dignité et la consécration du grand âge, elle ne leur a pas accordé la faculté d'être caractéristiquement féconds à tous les degrés de la vie, d'exécuter une existence complète et classique. Or, il faut reconnaître une fois de plus que la dignité du grand âge n'a rien à voir avec l'esprit; un vieillard peut être bête et quelconque, cela n'empêche pas les gens de contempler avec un religieux respect ses rides et ses cheveux blancs; c'est une noblesse naturelle que donne l'âge. Mais dire «noblesse naturelle», c'est prononcer un pléonasme. La noblesse est don physique; c'est au corps - et non à l'esprit - que toute noblesse a toujours attaché la plus grande importance, et c'est sans doute pourquoi elle comporte une certaine nuance de rudesse. Mais n'y a-t-il pas aussi, en un certain sens, quelque païenne brutalité dans la gigantesque présomption avec laquelle Gœthe faisait parfois sonner sa résistance vitale, son indestructibilité? Quand, par exemple, à quatre-vingt-un ans, il disait à Sorret : «Ce Sommering qui vient de se laisser mourir à soixante-quinze pauvres années! et même pas! Faut-il que les hommes soient lâches pour ne pas avoir le courage de vivre plus longtemps que cela! Parlez-moi de mon ami Bentham! Voilà un brave fou, au moins! Il se maintient, et il a pourtant quelques semaines de plus que moi.»
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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